“DES CATHOS TRADI’ AUX ANTICAPITALISTES DE GAUCHE, LA PALETTE DES ANTI-VACCINS EST TRÈS LARGE”
LUCIE GUIMIER, docteure en géopolitique, spécialiste de la vaccination
Dans le dernier rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), vous révéliez que c’étaient les milieux catholiques traditionalistes qui avaient été à l’origine de l’une des dernières grosses épidémies de rougeole entre 2008 et 2012. Je m’en suis rendu compte en m’intéressant à l’évolution de l’épidémie. Quand il y a d’importants foyers de rougeole, les agences régionales de santé (ARS, ndlr) envoient des épidémiologistes pour essayer de comprendre d’où ça vient. Ils en font des rapports, les ‘bulletins épidémiologiques hebdomadaires’, que j’ai croisés avec d’autres données qui m’ont été transmises par Santé publique France (à l’époque, l’institut de veille sanitaire, ndlr), répertoriant les cas de rougeole par commune, en France. Et j’ai découvert que ces épidémies étaient parties de deux écoles, l’une de garçons, l’autre de filles, qui appartenaient au même réseau, celui de la Fraternité sacerdotale Saint-pie-x, une communauté catholique traditionnaliste assez opaque. Dans ces écoles, plusieurs enfants de la même famille ont contracté la rougeole, et à partir de là le virus s’est diffusé dans les établissements fréquentés, car la couverture vaccinale n’était pas optimale. Ensuite, pendant la période estivale, il y a eu des contaminations dans les camps de vacances appartenant à la même communauté religieuse.
Il y a aussi eu un foyer important dans le sud de l’ardèche. Oui, il y a eu 488 cas dans l’ensemble du département ardéchois en 2011, l’un des départements où les taux de vaccination sont les plus faibles en France. En 2011, au moment de l’épidémie, 84,9% des enfants de 24 mois étaient vaccinés à une dose. Le phénomène concerne plutôt des néoruraux, souvent des jeunes venant de classes favorisées qui ont fait le choix de vivre ‘autrement’, en inscrivant par exemple leurs enfants dans des écoles alternatives, comme celle ouverte par Sophie Rabhi (la fille de Pierre Rabhi) dans le sud du département. On retrouve également dans ces groupes l’idée d’une collusion entre les laboratoires pharmaceutiques et l’état sur la question des vaccins. Et ce qui est intéressant à noter une fois encore, c’est que cet argument, généralement attribué aux anti-vaccins ‘de gauche’, plutôt anticapitalistes, est désormais reprise par Henri Joyeux, par exemple, l’un des fers de lance des mouvements anti-vaccins, qui lui est vraiment issu de la droite conservatrice. C’est aussi un fervent catholique.
Vous trouvez que leurs arguments se rejoignent? Parfois, oui. On trouve aussi chez les deux groupes l’idée qu’il vaut mieux laisser faire la nature, qu’un enfant ‘fasse sa rougeole’ naturellement… Par ailleurs, il ne faut pas réduire les anti-vaccins à ces deux populations. En réalité, la palette est très large. Ces dernières années, avec la démocratisation d’internet, on a en effet observé parmi les anti-vaccins des profils que l’on ne rencontrait pas auparavant, des personnes peu engagées politiquement, avec souvent un faible niveau d’études, qui n’ont pas forcément le bagage pour se défendre face aux théories complotistes rencontrées sur les réseaux sociaux…