Society (France)

“La société israélienn­e a basculé”

- – CHÉRIF GHEMMOUR

Ronen, un habitant du quartier touristiqu­e de Jérusalem, invente une nouvelle forme de “visite guidée”: le tour des attentats de ces dernières années. Voici le point de départ du film israélien Né à Jérusalem

(et toujours vivant), qui doit beaucoup à Yossi Atia, coréalisat­eur, scénariste et acteur principal.

Il semblerait que chaque génération de réalisateu­rs israéliens éprouve le besoin de témoigner de son expérience de la guerre. Amos Gitaï avec Kippour, Ari Folman avec Valse avec Bachir, Yona Rozenkier, récemment, avec Un havre de paix, et vous, enfin, avec Né à Jérusalem (et toujours vivant), qui évoque les attentats terroriste­s des années 2000… Ces films évoquent la guerre réelle, directe, avec des soldats qui sont allés au combat et qui en reviennent avec un traumatism­e. Dans mon film, ce n’est pas exactement la même chose. Là, je parlerais plutôt de guerre civile: c’est l’histoire d’une personne, Ronen Matalon, qui essaye de vivre sa vie à Jérusalem avec, à l’esprit, les attaques terroriste­s qui se sont produites dans son quartier. Une autre différence: les films dont vous parlez sont très sérieux alors que, dans le mien, l’humour occupe une place importante. Mais quelque part, c’est exact, on montre tous comment la guerre, directe ou indirecte, imprime des souvenirs douloureux et permanents chez les gens.

Dans la rue, Ronen décrit froidement des événements passés très violents mais sur un ton presque neutre: ‘18 personnes tuées ici’, ‘Quatorze personnes tuées là’… Oui, c’est une décision personnell­e, je voulais que Ronen ne parle que de sa propre expérience des attentats, pas au-delà. C’est pourquoi il s’exprime sans haine lors de ses visites guidées, il lit froidement aux touristes les plaques commémorat­ives des premiers attentats, sur lesquelles il est écrit: ‘Que ces victimes reposent en paix.’ Puis sur d’autres plaques plus tardives, il lit: ‘Que ces victimes soient vengées.’ Il y a eu une évolution… Dans les années 90, la société israélienn­e croyait à un avenir de paix. Et puis après 2000, elle a basculé dans un sentiment de vengeance, qui émane aussi bien des simples citoyens que du gouverneme­nt.

Le titre de votre film semble suggérer que le peuple israélien survit plutôt qu’il ne vit. Cela fait écho à cette vieille idée que derrière la fierté d’exister en tant que nation, il y a parfois aussi cette peur de disparaîtr­e en tant que peuple… La période 2000-2005

était très particuliè­re, il était en effet plus question de survivre que de vivre. Il y avait cette peur très prégnante de l’avenir immédiat, parce que les attentats pouvaient se produire n’importe où, dans les bus, dans la rue ou dans les cafés. Plus globalemen­t, il n’y a pas ici de réelle peur pour l’existence d’israël. C’est un pays militairem­ent puissant, avec une armée forte, des alliés à l’étranger et le soutien des juifs du monde entier.

Quelles ont été les réactions du public dans votre pays? Traiter d’attentats sanglants avec une certaine forme d’humour, ça a choqué? Pour l’instant, nous avons projeté le film seulement deux fois, lors du festival du film de Jérusalem. Il n’est pas encore sorti en salle. Lors de ces projection­s, les gens se sont reconnus dans les lieux, et ont perçu l’humour, justement. Je peux vous dire qu’en tant qu’habitant et natif de Jérusalem, il y existe une forme d’humour noir autour des attentats. C’est quelque chose de particulie­r, qui fait partie de la culture de la ville.

Miri Regev, membre du Likoud et ministre de la Culture depuis 2015, menace continuell­ement de couper les subvention­s publiques aux créations qu’elle juge déloyales à Israël… Oui, je sais. Vu de l’extérieur, ça semble bizarre pour un pays d’arts et de culture comme le nôtre. Elle est la traduction politique de la domination de la droite dure chez nous. Leur vision du cinéma n’est vraiment pas la mienne. C’est d’un triste…

Comment expliquez-vous le succès internatio­nal actuel des séries israélienn­es –Fauda, When Heroes Fly, Our Boys, Sisters, False Flag ou encore Shtisel? Israël est un petit pays, une petite société, mais avec une grande diversité de sous-cultures qui parlent au monde entier. Ensuite, il y a les deux câblo-opérateurs israéliens que sont Hot et Yes, qui financent toutes sortes de projets, sans impératif absolu de succès commercial immédiat. Cela favorise les projets plus artistique­s, personnels et originaux. Enfin, je pense que nous avons aussi beaucoup de jeunes très créatifs, ces temps-ci.

“Après 2000, la société israélienn­e a basculé dans un sentiment de vengeance, qui émane aussi bien des simples citoyens que du gouverneme­nt”

Quels sont vos projets à venir? Rien de précis. C’est un problème (sourire). Plutôt une ou deux idées de futurs films. L’un d’eux serait une comédie de lycée, avec un ado qui n’a pas envie de servir dans l’armée mais qui veut faire de la radio…

Voir: Né à Jérusalem (et toujours vivant), en salle le 25 mars

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