Society (France)

La vieille dame et le proprio

Le 11 mai dernier, à Biarritz, France Barets, 83 ans, sortait de chez elle pour profiter d’une balade tant attendue. Problème: le propriétai­re de son logement décidait dans le même temps qu’il avait aussi la liberté de l’empêcher d’y revenir.

- – WILLIAM THORP / ILLUSTRATI­ON: SIMON BAILLY POUR

Elle aussi attendait la date avec impatience. Le 11 mai dernier, premier jour de déconfinem­ent, France Barets, 83 ans, fait comme tout le monde: elle sort enfin de chez elle, passe voir une amie, fait quelques emplettes, puis rentre avec une vague impression de normalité retrouvée. Mais en débarquant dans le hall de son immeuble du quartier Bibi Beaurivage, à Biarritz, elle tombe de haut: ses affaires gisent sur le sol. Sa serrure a été changée. Le message est clair: France Barets, sans conjoint ni enfants, vient d’être expulsée par le propriétai­re de son appartemen­t.

En quelques heures à peine, la vieille dame a rejoint ces légions de femmes, d’hommes et d’enfants qui, chaque année, se retrouvent à la rue. En 2018, on comptait 15 993 ménages expulsés de leur domicile en France. “Et on peut multiplier par plus de deux ce chiffre, car il ne prend en compte que ceux qui ont été délogés avec l’aide des forces de l’ordre, explique Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé-pierre. Il y en a des milliers d’autres qui quittent leur logement après avoir reçu différents courriers de justice ou juste subi la pression de leurs propriétai­res.” D’après lui, la durée moyenne d’une procédure d’expulsion varie de un à deux ans. Pour France Barets, il n’aura fallu qu’un petit mois –et aucune procédure. Début avril, elle n’avait pas payé son loyer. “Elle dit que c’est un problème lié à La Poste et au confinemen­t. Elle ne sait pas faire de virement”, défend son avocate, Maître Véronique Decis. Le propriétai­re de son appartemen­t exige alors son départ au 31 avril. “Elle était malade et nous étions en plein confinemen­t, reprend l’avocate. Elle n’était pas du tout en mesure de quitter son logement. Il lui a alors dit qu’elle devait partir au plus tard le 15 mai, et on a compris que le problème n’était pas vraiment le loyer non payé. Il avait des locataires Airbnb qui arrivaient, le Sud-ouest étant une zone verte.”

Interrogé sur le cas, Julien Denormandi­e, le ministre de la Ville et du Logement, a jugé la situation “moralement inacceptab­le” et rappelé que la pratique est illégale. “Les expulsions en France nécessiten­t une décision de justice, et nous sommes en plus en pleine trêve hivernale puisqu’elle continue cette année jusqu’au 10 juillet, à cause du coronaviru­s. C’était donc une violation de domicile”, détaille Maître Decis. La vieille dame a pu récupérer ses clés et réintégrer son logement rapidement. Fin d’une mauvaise histoire, donc? Pas vraiment. À son retour, les verres, assiettes, couverts, poêles et casseroles avaient disparu des placards, de même que les draps, serviettes de bain, l’aspirateur et le fer à repasser. Le canapé avait été remplacé par deux chaises en bois. “Tout ce qui faisait que c’était un meublé, en somme, soupire son avocate. Le propriétai­re s’est dit: ‘OK, j’ai peut-être perdu, mais je vais faire en sorte qu’elle disparaiss­e vite.’

Elle doit aujourd’hui tout racheter pour pouvoir y vivre décemment.” Bienvenue dans le monde d’après.

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