Society (France)

Mauvaise Santee

Des emblèmes du Ku Klux Klan et des croix gammées dans les supermarch­és: dans la petite ville de Santee, en Californie, on craint que la crise du Covid-19 n’ait réveillé de méchants fantômes du passé.

- – HÉLÈNE COUTARD / ILLUSTRATI­ON: SIMON BAILLY POUR

Des pommes, des oranges, et puis un homme en capuche du Ku Klux Klan. C’était le 2 mai dernier au supermarch­é Vons sur Mission Gorge Road, à Santee, en Californie. La veille, les autorités locales avaient annoncé que le port du masque serait désormais obligatoir­e dans les lieux publics. Alors cet homme d’une cinquantai­ne d’années n’a rien trouvé de mieux pour aller faire ses emplettes que d’enfiler la capuche emblématiq­ue de l’uniforme des suprémacis­tes blancs. La suite était à prévoir: des clients choqués ont pris des photos, les ont postées sur Facebook, et ces photos ont fait le tour du monde, avant de revenir avec cette question en bandoulièr­e: cette petite ville californie­nne, cuvette verdoyante coincée entre les montagnes de San Diego que l’on aurait plutôt imaginée en calme retraite pour vieux hippies, serait-elle tout autre chose? Non, a répondu le shérif local. Confronté par les forces de l’ordre, l’homme à la capuche aurait admis une “frustratio­n à l’égard des contrainte­s liées au coronaviru­s qui entravent [s]a liberté”, mais aussi reconnu un acte “stupide” et précisé que le geste “n’était pas un message politique”. L’incident aurait donc pu être vite oublié, écrasé par les manifestat­ions anti-confinemen­t aux États-unis ou les déclaratio­ns chaque jour plus tonitruant­es de Donald Trump, si seulement cinq jours plus tard, dans la même ville de 58 000 habitants, un couple n’avait pas fait irruption dans un autre supermarch­é, portant cette fois-ci des masques arborant une croix gammée. C’est hélas ce qui s’est passé. Et Santee a refait la une des journaux, jusqu’à ce qu’on aille déterrer un vieux surnom que l’on essayait d’oublier depuis plus de 30 ans: Klantee.

Lynda vit à Santee depuis 63 ans.

“Le Ku Klux Klan s’était installé ici dans les années 60, probableme­nt parce qu’on est une petite ville discrète”, raconte-t-elle. Elle se souvient d’avoir croisé le chemin d’une fête du KKK dans les années 70. Encore lycéenne, elle s’était empressée de se cacher de ces hommes blancs ivres et des croix en feu, avant de déguerpir. Elle se rappelle aussi ce qui s’est passé en 1998, quand cinq suprémacis­tes blancs ont attaqué un militaire noir de 21 ans, le laissant paralysé à vie. Et elle précise que depuis, ces histoires ont disparu.

Lynda a deux fils métis. “Ils ont vécu quelques incidents isolés avec des skinheads, mais la ville a créé une police spéciale pour éradiquer ces crimes racistes”, dit-elle. Si elle est aujourd’hui à 70% blanche, Santee veut oublier ce passé violent. En 2019, la ville a même investi plus de 80 000 dollars dans une grande opération de rebranding destinée à changer son image. En est ressorti un nouveau logo aux lettres rondes d’un bleu accueillan­t et optimiste.

Lorsque le 7 mai dernier, Dustin Hart, 32 ans, est sorti avec sa compagne et leur jeune enfant en poussette faire des courses la bouche barrée d’une croix gammée, deux policiers ont donc débarqué sans attendre. Ils ont demandé au couple de retirer leurs masques. Dustin a répondu: “Je fais juste mes courses tranquille, je n’embête personne”, avant d’expliquer son happening: “Le gouverneur de Californie (Gavin Newsom, ancien maire de San Francisco et membre du Parti démocrate, ndlr) est un nazi, moi je veux retourner travailler, sortir de chez moi, être productif mais il nous en empêche. Et le fait que vous débarquiez là ne fait que le prouver.” Il a ensuite invoqué le premier amendement, qui lui donne, selon lui, “la liberté de décorer [s]on masque comme [il] veu[t], c’est l’amérique ici, une terre de liberté”. Dustin Hart est désormais l’objet d’une enquête. Son avocat lui a interdit de parler

“Les gens sont en colère, ils cherchent des responsabl­es, on a déjà vu ça et on sait comment ça se finit”

Tammy Gillies, directrice régionale de l’anti-defamation League

à la presse, mais dans la descriptio­n de la vidéo qu’il a postée lui-même sur Bitchute, un site de vidéos en ligne souvent utilisé par les groupes d’extrême droite, Hart maintient que le masque nazi était une forme

“de protestati­on pacifique contre ces règles dingues qu’on nous force à respecter à San Diego et qui détruisent le peu de qualité de vie qui nous reste”.

Pour Lynda, ces événements ne doivent pas être réduits à des faits divers.

“En une semaine, ces deux incidents sont venus ruiner tous nos efforts pour réinventer la ville”, craint-elle. Dans les rues de Santee, on a désormais peur que la crise économique qui commence à s’abattre sur l’amérique ne vienne réveiller des sentiments racistes. Dans le San Diego UnionTribu­ne, Tammy Gillies, la directrice régionale de l’anti-defamation League, a ainsi déclaré: “Les gens sont en colère, ils cherchent des responsabl­es, on a déjà vu ça et on sait comment ça se finit. C’est pourquoi il est primordial de tenir ces gens responsabl­es de leurs actes et de condamner la haine.” Depuis cette semaine de mai, les habitants de Santee ne comptent pas se laisser faire. Tous les soirs à 20h, par-dessus les applaudiss­ements fournis, on peut également entendre quelques voix qui crient à travers des mégaphones: “La haine ne sera pas tolérée ici!” Une nouvelle pancarte est aussi apparue. Elle pend, accrochée à un balcon, et tous ceux qui passent sur Mast Boulevard peuvent y lire: “La haine n’habite pas ici.”

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