La vida corona
Et si une autre pandémie débarquait? Pour se préparer à toute éventualité, l’armée française a constitué une équipe d’auteurs de science-fiction, chargés de réfléchir à demain.
Des auteurs de science-fiction travaillent pour l’armée et des jeunes Corses se battent dans une cave.
On croirait le nom d’une équipe de sous-titreurs de séries télé. Ou celui d’un jeu vidéo pour adolescents. C’est pourtant tout autre chose: la Red Team réunit plusieurs auteurs de science-fiction et prospectivistes chargés de concevoir des “scénarios rompant avec l’existant” pour le compte de l’armée française. Si le concept existe déjà depuis plusieurs années aux États-unis, on doit sa transposition française à Emmanuel Chiva, directeur depuis 2018 de l’agence de l’innovation de défense (AID), dépendant du ministère des Armées. L’ambition est claire: solliciter des gens capables d’imaginer l’au-delà afin de permettre aux spécialistes de l’agence de se projeter à leur tour dans un futur plausible qu’ils n’auraient pas vu venir. Par exemple, une pandémie? “On ne s’autorise pas à penser à certaines choses, alors que ces auteurs, si”, explique Emmanuel Chiva, pour qui
“la science-fiction est, pour citer Isaac Asimov, ‘la seule branche de la littérature qui se soucie des réponses de l’être humain au progrès de la science et de la technologie’”.
C’est lors d’une visite au festival international de science-fiction Les Utopiales, à Nantes, qu’emmanuel Chiva a eu la révélation. Sur place, il propose au président de l’événement de rassembler des créatifs, des auteurs et des dessinateurs et de leur poser un problème sous forme de jeu. Le thème porte sur “le drone de surface marin du futur à l’horizon 2080”. Résultat: “Ils nous ont totalement surpris”, admet
Emmanuel Chiva. L’homme, 50 ans, a pourtant un parcours qui l’a habitué aux surprises. Titulaire d’un doctorat en biomathématiques à Normale-sup, il a commencé sa carrière en créant, avec les membres du groupe de bioinformatique de L’ENS, l’entreprise MASA (Mathématiques appliquées SA), destinée à développer leurs sujets de recherche sous forme de produits ou de services dans le domaine de la modélisation, de L’IA et de la robotique. Cela a débouché sur Conflict Zone, un jeu de stratégie en temps réel et en 3D, sorti en 2001. “On s’est dit que si l’on voulait montrer des choses intéressantes en intelligence artificielle, il fallait que ce soit à travers des supports que tout le monde comprend”, expliquet-il. À l’époque, Emmanuel Chiva montre le jeu à la Direction générale de l’armement (DGA). Cette démo lancera l’activité de simulation militaire et d’entraînement des généraux, qu’il dirigera ensuite pendant une dizaine d’années. S’ensuivront d’autres expériences dans le domaine de L’IA et de la simulation militaire, avant que la ministre des Armées, Florence Parly, le nomme directeur de L’AID à sa création, en 2018. Une promotion à laquelle Emmanuel Chiva a dit oui sans hésiter. “C’est une chance historique de pouvoir être le chef d’orchestre de l’innovation au profit d’une mission aussi noble que celle de protéger la population.” Son rôle exact, décrit-il, consiste à “orienter et piloter l’innovation de défense au sein des armées. Par exemple, demain, on sait qu’on va devoir se doter d’un système de combat aérien ou d’un porte-avions nouvelle génération, de nouvelles technologies dans le domaine de la propulsion ou de la robotique. C’est notre métier d’arriver à préparer ce dont on aura besoin et de l’analyser avant que nos adversaires ne s’en emparent”. Encore en cours de constitution, la Red Team, elle, devrait dévoiler une partie des résultats du premier scénario au Forum innovation défense en novembre prochain. Le Covid-19 aura-t-il des influences sur le travail des auteurs? “J’imagine qu’ils pourraient imaginer une pandémie d’un autre type”, pointe Emmanuel Chiva, sans en dire plus. La suite au prochain épisode, donc.