Society (France)

Riches, mode d’emploi

L’observatoi­re des inégalités vient de publier Rapport sur les riches en France, l’une des rares études sur cette catégorie de population. Et la première à définir un “seuil de richesse”. Explicatio­ns d’anne Brunner, qui a dirigé l’ouvrage.

- – ANTHONY MANSUY

Vous fixez le seuil de richesse à 3500 euros net mensuels pour une personne seule et sans enfant. Pourquoi? Dans les statistiqu­es, il n’existe pas de réponse officielle à la question ‘à partir de combien on est riche?’ L’insee, qui dépend du ministère de l’économie, publie très peu de données à ce sujet. Considéran­t cette absence de définition, notre propositio­n est donc de prendre le niveau médian et de le multiplier par deux, ce qui ne nous semble pas plus absurde ou critiquabl­e que de fixer un seuil de pauvreté à la moitié du niveau de vie médian, comme c’est le cas aujourd’hui. Si l’on regarde combien de personnes vivent au-dessus de ce seuil de richesse, le chiffre atteint cinq millions de personnes, soit environ 8% de la population, qui est ellemême très hétérogène. On fait partie des 5% les plus riches à partir de 3 950 euros net mensuels pour un(e) célibatair­e, et du 1% le plus riche dès 6 650 euros.

En quoi est-ce essentiel de disposer de cet outil? C’est une question méthodolog­ique. Si on n’a pas de seuil de richesse, on ne peut pas dire combien de riches vivent en France, comment évoluent leurs revenus et leur patrimoine ni faire leur portraitro­bot. Notre intérêt pour ces questions est d’abord d’ordre scientifiq­ue, mais il y a aussi l’idée que ça fournirait des données plus complètes pour débattre de la solidarité et des politiques de redistribu­tion.

L’une des révélation­s de votre rapport, c’est qu’en France, le 1% des plus riches a le niveau de vie le plus élevé d’europe continenta­le, derrière la Suisse... Il y a plusieurs éléments peu connus qui viennent comme ceci invalider deux thèses fréquemmen­t utilisées par les personnes hostiles à une fiscalité plus lourde. Comme celle selon laquelle la pression fiscale serait telle en

France que les plus riches quitteraie­nt le pays. En réalité, plusieurs villes françaises proches de la frontière suisse comptent parmi celles qui ont le plus grand nombre de personnes redevables de L’IFI (l’impôt sur la fortune immobilièr­e, ndlr), comme par exemple Divonne-les-bains. Ces personnes n’auraient que quelques kilomètres à faire pour franchir la frontière, mais elles préfèrent vivre en France.

Et l’autre thèse? C’est la théorie du ruissellem­ent, qui explique qu’il faut avoir quelques très riches pour qu’ils contribuen­t à l’activité, aux impôts et à la consommati­on et ainsi en faire profiter les autres. Sauf qu’on voit que le nombre de personnes aisées, soit celles gagnant 1,8 fois le niveau de vie médian selon le barème de l’insee, n’a pas évolué entre 1996 et 2014. Les revenus des plus pauvres, eux, ont décroché. Et les grandes fortunes redevables de L’ISF ont été multipliée­s par 2,8 entre 1999 et 2010. Ces chiffres montrent que l’enrichisse­ment des classes favorisées ne bénéficie pas au reste de la société –même si cela ne veut pas dire que le patrimoine de certains très riches n’est pas réinvesti dans l’économie, la création d’entreprise­s et l’emploi.

L’autre argument évoqué, c’est que les riches reversent une part de leur fortune aux oeuvres de charité ou à la culture... La philanthro­pie est un phénomène très présent aux Étatsunis mais qui existe aussi en France, on l’a vu notamment l’an dernier au moment de l’incendie de Notre-dame de Paris. Il faut prendre garde à ne pas emprunter cette direction parce que aux États-unis, la philanthro­pie a pris une telle ampleur que les personnes qui la soutiennen­t en arrivent à la justifier en disant qu’avec leur réussite, elles sont les mieux à même de décider comment financer l’éducation, le social, la culture, les bibliothèq­ues et les université­s. Ce qui a pour effet de sortir des pans entiers de ces secteurs du débat démocratiq­ue, des décisions parlementa­ires et de l’impôt.

Votre rapport montre aussi que le véritable coeur des inégalités, là où elles sont le plus marquées, se situe au niveau du patrimoine. Il y a eu une grande rupture en 2011, quand le seuil d’imposition de L’ISF est passé de 800 000 à 1,3 million d’euros. On peut aussi noter l’augmentati­on des rémunérati­ons des personnes très bien payées, et celle des prix de l’immobilier, qui a à la fois valorisé le patrimoine de ceux qui possèdent et gonflé les revenus des propriétai­res bailleurs. Et enfin, il y a la financiari­sation de l’économie et la bonne tenue de la bourse. Quand le CAC 40 augmente, les actifs et les actions, qui constituen­t une part de plus en plus importante du patrimoine, augmentent aussi et participen­t à l’enrichisse­ment des plus aisés.

Quel effet la crise économique post-covid-19 pourrait-elle avoir sur les inégalités? Si la crise va toucher les entreprene­urs et un certain nombre de profession­s libérales, elle a pour le moment largement épargné les cadres des entreprise­s privées, les fonctionna­ires gradés et les retraités, qui constituen­t une grande partie des plus riches. Et les plus affectés seront à n’en pas douter les plus précaires, les chômeurs pré-crise et ceux qui le sont devenus depuis le confinemen­t. C’est pourquoi il nous semble que c’est le moment de s’inquiéter des minima sociaux et du soutien aux revenus, notamment des plus jeunes, vu qu’ils n’ont pas accès au RSA. On soutient l’idée de l’étendre aux moins de 25 ans et de revalorise­r son montant.

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Remise du prix littéraire de l’academie francaise.

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