Society (France)

“Mon style vestimenta­ire, je l’ai construit pour ne pas me faire arrêter ”

Massaër Ndiaye, 35 ans, directeur de création associé

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“Je suis né à Villepinte, dans le 93, de parents sénégalais. Mon père était prof de droit, ma mère experte-comptable. Après ma naissance, ils ont décidé de retourner au Sénégal et je suis revenu après le bac, je me suis installé à Paris.

Les choses ne sont pas flagrantes. Personne ne m’a jamais dit ‘sale nègre’, mais tu réalises vite qu’un Noir devra en faire plus. À la rentrée, à la fac, on te dit qu’il va y avoir 20% de réussite, et si t’es un jeune noir en jogging, t’es déjà une caillera, catalogué dans cette voie de garage. Il y a aussi parfois de la fausse gentilless­e mal placée, on te dit: ‘Va voir ce prof, il vient de Villetaneu­se, il pourra être un peu moins exigeant.’

À Paris, je vivais dans le XVE arrondisse­ment, à côté de l’unesco. Un quartier où la majorité des immigrés sont diplomates. C’est rarissime de s’y faire contrôler. Les gamins noirs, arabes, il y a d’énormes chances qu’ils soient fils de diplomates et les policiers le savent. J’ai vu des flics dire à des jeunes en train de fumer des oinj: ‘Bon les gars, on va arrêter quand même’, et c’étaient trois Noirs, deux Arabes. Je voyais le contraste quand j’allais en banlieue voir ma famille. Je devais penser à ne pas m’habiller en jogging, par exemple. Mon style vestimenta­ire, pendant très longtemps, s’est basé sur le fait que je n’avais pas envie d’être arrêté gratuiteme­nt. Un jour, en descendant les escalators à Châtelet, 50 renois devant un mur, contrôle. Je pensais me faire contrôler, mais j’étais habillé totalement différemme­nt de tous ces jeunes de mon âge, alors je suis passé. À l’inverse, les histoires où je suis le seul qui se fait contrôler, je ne les compte plus. En voiture, on me demande de sortir pour vérifier mes papiers alors que je suis sur le siège passager, et mes deux potes blancs derrière, on les laisse tranquille­s.

J’habite à Oakland maintenant, aux États-unis, où le rapport entre les Noirs et la police est extrêmemen­t houleux. Je n’ai pas envie d’être le renoi de plus qui se prend une balle, donc je ne passe pas mon permis, et si je fais du sport, c’est de la corde à sauter chez moi ou en salle. Un renoi en train de courir en plein milieu d’oakland… Les gens te disent: ‘T’es parano.’ Non. Le frère d’une collègue a été tué en sortant d’un supermarch­é. Taser, balle, tout dans le dos. Il allait faire ses courses un dimanche après-midi. Pour une personne blanche, c’est tellement pas dans son logiciel! J’ai des potes blancs qui se foutent de ma gueule, mais entre les crackheads, la guerre des gangs, les flics, je ne suis pas assez fan de course pour risquer ma vie sur un malentendu pour 45 minutes de jogging.

La génération qui arrive comprend que toutes ces discrimina­tions, tout ce que les filles ont raconté avec #Metoo, l’antisémiti­sme, l’homophobie, ce n’est plus acceptable. Cette génération veut ‘recalibrer’ la normalité. Et ça vient avec tout le brouhaha d’une génération en train de mourir, qui se bat simplement pour que des hommes continuent à dominer d’autres hommes et femmes. La manif du 2 juin, j’ai dit à mes potes, pour rigoler: ‘c’est le festival We Love Green’. Un truc génération­nel, l’alliance des opprimés, des filles, des Noirs, des Arabes, des homos, des gens éclairés. À l’inverse, le message que renvoient de nombreux médias, c’est que ça va se finir par une guerre des races. C’est la discussion de comptoir élevée au rang de tribune nationale.”

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