“Le 2 juin, il y avait quelque chose de rafraîchissant”
Hillal Mostefaoui, 31 ans, commercial
“J’ai grandi dans une cité des Ulis, dans le 91. Lorsque j’avais 5 ans, j’ai vu des policiers pousser mon père dans un fossé, puis l’embarquer au commissariat parce qu’ils pensaient qu’il avait volé la mallette qu’il portait. J’ai toujours été sage, je n’ai jamais fait trop de bêtises, mais ça ne m’a pas empêché d’avoir affaire à la police. Je dois compter une grosse vingtaine de contrôles, surtout quand je me balade à Paris, alors que la plupart de mes amis blancs n’en ont jamais subi. Mettre les mains en l’air, écarter les jambes, dans une position de coupable, on ne le vit jamais bien... L’un de mes amis d’enfance a fini dans le coffre d’une voiture de police, ils lui ont fait faire un tour de pâté de maisons, comme ça. Aujourd’hui, la police donne l’impression qu’on lui dit de tout dégommer sur son passage, dans une sorte d’endoctrinement aveugle. C’est un problème de système.
Lorsque j’ai appris qu’un rassemblement était organisé devant le tribunal de grande instance de Paris, je n’ai pas hésité une seconde. Mon père, professeur de physique, est inscrit au Parti communiste des ouvriers de France depuis des années. J’ai vécu ma première manifestation à 4 ans et j’ai une conscience de ce que sont les mouvements sociaux. Le 2 juin, il y avait quelque chose de rafraîchissant, énormément de jeunes venus de banlieue. C’était peut-être leur première manifestation. À un moment, un type est monté au sommet d’un feu de signalisation pour regarder la foule et a demandé qu’on lui passe une pancarte pour la brandir le plus haut possible. Comme s’il avait pris conscience de la force du moment. Sur la pancarte, il y avait deux mains, une noire et une blanche, entrelacées.
Le mouvement qui se propage, comme les Gilets jaunes au début, est intéressant. Les gens ont décidé que leurs voix pouvaient compter, tout comme leur présence physique. Ils investissent le débat public. Ils ne veulent plus qu’on les représente, qu’on leur dise que la politique n’est pas pour eux. Cela laisse présager de belles choses, les actions menées aujourd’hui auront un effet pour les générations futures. Quand Rosa Parks s’est assise à l’avant de ce fameux bus, peut-être s’est-elle dit que ça n’aurait aucune conséquence sur le moment mais qu’un jour, on s’en souviendrait.”