Society (France)

“Je n’avais jamais vu mes copains concernés par cette cause”

Oumayma Belhadj, 24 ans, étudiante en marketing

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“Je suis en M2 de marketing digital. Juste avant le confinemen­t, j’ai fait un stage à La Rochelle. Mon entrée dans le monde de l’entreprise. Le premier jour, c’était: ‘Ah, t’es musulmane, boom! boom!’, en parlant d’attentats. Puis mon tuteur m’a appelée ‘musulmanie’. Je me suis enfermée dans les toilettes, je n’avais pas pleuré comme ça depuis au moins cinq ans. Je leur ai dit: ‘Je ne peux pas continuer le stage.’ Je n’avais jamais ressenti le racisme comme ça. Même si c’est presque plus de l’ignorance que du racisme. Le plus troublant, c’était de voir l’ensemble de l’entreprise rigoler. Je me suis demandé: est-ce que c’est de ma faute? J’en ai parlé à mon copain, qui est chinois, et qui m’a dit que j’avais complèteme­nt raison.

Mes copines noires, on les taquine de temps en temps, elles le prennent mal. Moi, j’avais tendance à dire ‘ça va, c’est une blague de merde, on va pas se prendre la tête’. Le fait d’avoir été confrontée à la même chose me permet de comprendre. Il ne faut pas croire, le racisme est très présent entre personnes ‘racisées’. Mon copain, je ne lui demande rien, mais cette année il a fait le ramadan avec moi. Dans sa famille, ils lui ont dit: ‘Tu veux qu’on te rapporte un couteau pour que tu trouves tes sept vierges au paradis?’ Tout le monde a rigolé, et mon chéri me tenait la jambe, il ne me regardait même pas dans les yeux, je voyais juste la sueur tomber de son front.

J’ai vu le racisme monter. Ma maman, ça fait près de 20 ans qu’elle est en France, elle est voilée, elle avait déjà eu des regards, mais ça s’aggrave. Il y a un an, elle m’a appelée en pleurs: elle promenait ma petite soeur et un couple de vieux, 70, 80 ans, lui a fait: ‘J’espère que tu seras jamais une terroriste comme ta mère.’

Ma petite maman, qui a tout fait pour qu’on soit dans l’intégratio­n, qui ne m’a jamais empêchée d’avoir un copain blanc, chinois, très ouverte d’esprit… C’est pour tout ça que je suis allée marcher le 2 juin.

Je suis née en Tunisie et arrivée en France à 7 ans. On a habité en banlieue, puis dans le XXE arrondisse­ment de Paris, à six dans un quinze mètres carrés, et on est dans le Marais, dans le centre, depuis quinze ans maintenant. Mes copains du Marais, je ne les avais jamais vus concernés par cette cause. Avant, c’était l’écologie, le féminisme, et là ils sont venus avec moi. Devant le TGI, j’étais superfière de ma génération. Et à République, un petit papi et une petite mamie m’ont prise dans leurs bras en s’excusant de nous donner cette France. J’ai répondu: ‘En espérant être la dernière génération à devoir manifester contre le racisme et les violences policières’, parce que ma mère, elle en a fait aussi, des manifestat­ions.

Pour la manif sur la place de la République, le 13 juin, j’avais une pancarte: ‘Si mon pays ne veut pas de moi, mon cerveau cherchera ailleurs.’ J’y suis allée avec mes quatre soeurs. L’une est voilée, elle vient d’avoir son bac, brillante, elle va faire de la géopolitiq­ue, mais je sais que le voile lui posera problème pour trouver du boulot. Une fois, j’ai fait une vidéo sur Insta en live avec elle. Moi en short-débardeur, elle voilée. Une meuf m’a écrit: ‘Toi au moins, t’es libre.’

Je lui ai répondu que c’était un choix personnel, et elle: ‘Tu le sais pas, mais elle est sous emprise.’ Les gens pensent que nos parents nous obligent, alors que pas du tout, ils n’en ont rien à foutre. Ma mère, elle m’accepte comme je suis, avec mes shorts, mes tatouages, et elle accepte ma soeur comme elle est.”

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