Society (France)

“Au début, je ne voulais pas regarder la vidéo de la mort de George Floyd”

Willys Balende, 26 ans, vendeur

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“Mes parents viennent du Congo-brazzavill­e et sont arrivés à Sarcelles avec leurs propres parents, dans les années 80. C’est la première génération africaine dans cette banlieue. Ils se sont retrouvés à sept ou huit dans la même maison, il y avait beaucoup de discrimina­tion envers les Noirs. Mon père a subi des moqueries. À l’époque, il aimait regarder la télévision devant les vitrines des magasins qui en vendaient parce qu’il n’en avait pas chez lui. Un jour, l’un de ses camarades d’école l’a vu et tout le monde s’est moqué de lui. Ça lui a fait mal. Aujourd’hui, il est directeur commercial et ma mère est manager d’un centre d’appel. Ils ont réussi. Malgré tout, je sens la souffrance. Ma mère m’a toujours dit de rester discret, de ne pas attirer l’attention. Au quartier, si tu ne gardes pas la tête froide, les choses peuvent être compliquée­s. Mon petit frère a fait deux ans de prison à cause des mauvaises influences, par exemple.

En 2016, après mon BTS de commerce, aucune école n’a accepté de me prendre. J’ai fini par partir chez mon oncle, à Londres, sans parler l’anglais. Le premier jour, j’étais perdu avec ma valise, un homme est venu me voir et m’a donné un numéro. Mon oncle l’a appelé et m’a dit que ce monsieur me proposait du travail dans un bar. Je me suis dit que c’était impossible! En Angleterre, il y avait plus de personnes noires haut placées. Plus tard, j’ai monté un site qui permet aux Français de trouver un logement et du travail à Londres. Je suis rentré l’an dernier à cause du Brexit et parce que j’ai des projets dans la musique. Pour l’instant, je suis vendeur. Depuis que je suis revenu, je suis plus ouvert, j’ai confiance en moi, en ce que je peux faire.

J’ai vu la vidéo de la mort de George Floyd passer sur les réseaux comme tout le monde. Au départ, je ne voulais pas la regarder, mais j’ai fini par cliquer et la partager à mon tour. Je me suis dit que ça aurait pu être n’importe qui de ma famille. Alors le 2 juin, il fallait que je sois là. Je suis allé récupérer mon appareil chez mes parents parce que je voulais prendre des photos. Au moment de partir de chez eux, ma mère m’a demandé où j’allais, je lui ai dit et elle m’a répondu: ‘C’est bien, mon fils.’ Elle m’a même demandé d’amener mon petit frère de 20 ans. Ça m’a surpris! Je pense qu’elle avait un sentiment d’urgence. C’était ma première manifestat­ion et tout était fort, le monde, les cris… Tout. Pour moi, le 2 juin, c’est le début du ‘monde d’après’. Il faut qu’on se le dise, qu’on se le répète.”

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