Society (France)

“Je ne suis pas une citoyenne de seconde zone”

Diangou Traoré, 40 ans, technicien­ne administra­tive

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“J’ai fait toute ma scolarité à Saint-denis, un bac compta, et j’ai ensuite passé le concours de la fonction publique pour intégrer l’assurance maladie. Je suis membre fondateur de l’associatio­n Francmoisi­n Citoyenne, et depuis 2015 membre du collectif Franc-moisin, qui englobe le conseil citoyen et l’amicale des locataires. J’estime qu’il faut prendre sa part dans la vie de la cité, se faire entendre.

Je suis d’origine mauritanie­nne. Le premier dans ma famille à être venu en France, c’est mon grand-père maternel. Puis mon père est arrivé, et ma mère l’a rejoint. Mon père, il ne nous a pas caché qu’avec notre couleur de peau, on allait devoir faire nos preuves plus que les autres. Il était imprimeur, il faisait les grandes affiches du métro. Il a fini chef d’équipe. Un soir, il a nous raconté qu’un jeune était allé voir son supérieur pour dire qu’il ne voulait pas recevoir d’ordre de lui parce qu’il était noir. Mon père était choqué. ‘Tu te rends compte? J’ai travaillé dur pour mériter cette place, je ne fais pas d’histoires, et un petit jeune vient dire ça!’ Ça m’a marquée.

La police n’est pas responsabl­e de la faillite de l’état, son abandon des banlieues et les conséquenc­es sociales, elle est au bout de la chaîne. Mais nous, ce que l’on connaît des pouvoirs publics, c’est essentiell­ement la police qui réprime. Certains sont intègres, mais il y en a d’autres qui sont robustes, hein, j’ai envie de leur dire qu’on n’a pas besoin d’être tout le temps dans la confrontat­ion. Tout le monde a peur de la police.

Je le vois au quotidien, le jeu du chat et de la souris avec la police, les contrôles au faciès ou la gazeuse. Moi, je n’ai jamais été contrôlée de ma vie, jamais frappée, peut-être parce que je suis une femme. Mes soeurs non plus. Mais mes frères, tout le temps contrôlés, des gardes à vue sans réelle motivation, comme tous les jeunes des quartiers populaires. Ça peut être une absence de papiers d’un mineur, les parents ne sont pas joignables, on embarque le petit.

Éduquer des enfants en banlieue, c’est les faire baigner dans une atmosphère spéciale. Un enfant de 3 ans qui voit arriver la police armée jusqu’aux dents comme si c’était le GIGN, c’est une violence visuelle. J’en ai vu un l’autre jour sur sa balançoire, ça ne le choquait même pas…

Le racisme, je ne l’ai jamais connu dans le quartier, c’est quelque chose que tu expériment­es quand tu en sors. Quand j’ai commencé à travailler, quoi. Là, on te fait comprendre d’où tu viens et qui tu es, il y a énormément de discrimina­tion. On aime le Noir s’il est docile, malléable, arrangeant, s’il ne fait pas de vagues. Si tu n’es pas d’accord avec ce qu’on t’impose, même si tu es dans ton droit, on te fait comprendre que tu abuses. C’est incroyable, en 2020. Ma première manif, ça devait être pour Zyed et Bouna, en 2005. J’en ai fait une des Gilets jaunes –une heure, mais c’était important, leurs revendicat­ions étaient légitimes–, et celle du 2 juin. Je ne me suis jamais dit: ‘La politique, le militantis­me, ce n’est pas pour moi.’ Mon père me l’a toujours répété: ‘Tu n’es pas de la merde, tu ne te laisses pas marcher dessus.’

Je ne suis pas une citoyenne de seconde zone. Ma fille ou ses copines, je leur dis: ‘Vous êtes nées en France, vous avez la capacité, le devoir de ne jamais vous laisser impression­ner ou dévalorise­r.’

La génération qui vient sera plus militante. Il y a eu beaucoup de résignatio­n en banlieue, et il n’y a rien de pire. Je me dis que si je me bouge aujourd’hui pour faire changer les choses dans 20 ans, ça vaut déjà le coup, et émotionnel­lement, c’est important de participer à l’histoire, il ne faut pas être spectateur. On a été méprisés, insultés, discriminé­s, il faut aller de l’avant, il y a des choses à faire.”

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