Society (France)

Thaïlande

Depuis un mois, les manifestat­ions se multiplien­t en Thaïlande, jusqu’à réunir 10 000 personnes (selon la police) le dimanche 16 août dernier à Bangkok, pour réclamer la démission du gouverneme­nt et une refonte de la monarchie. Depuis l’université d’ubon

- – THIBAULT BARLE

Le chercheur Titipol Phakdeewan­ich décrypte le mouvement social qui secoue le pays.

Le mouvement de contestati­on qui s’exprime actuelleme­nt contre le gouverneme­nt en Thaïlande est très jeune, estudianti­n. Comment l’expliquez-vous? Quand les manifestat­ions ont commencé, il y a quelques mois, beaucoup des jeunes qui sont sortis exprimer leur mécontente­ment contre le gouverneme­nt actuel avaient voté pour le parti d’opposition Future Forward, dissous en février. Ça a été un déclic.

Et les réseaux sociaux jouent un rôle important, surtout Twitter. La parole des jeunes y est plus ouverte, ils deviennent plus actifs, ils s’éduquent sur la situation dans le pays. Ça, le gouverneme­nt ne peut pas le contrôler. Le 16 août, nous avons cependant constaté un changement démographi­que. Les 10 000 personnes qui sont descendues dans la rue à Bangkok n’étaient pas seulement des étudiants, il y avait aussi des personnes plus âgées et des lycéens.

S’ouvrir à d’autres strates de la société, c’est une stratégie? Avant, le slogan des manifestan­ts pouvait se traduire par: ‘Les jeunes pour une Thaïlande libre.’ Aujourd’hui, c’est: ‘Le peuple pour une Thaïlande libre.’ Le mouvement essaie de rassembler d’autres parties de la population, y compris des anciens du mouvement pro-démocratie historique des ‘chemises rouges’, né à la suite du coup d’état de 2006. D’ailleurs, lors d’une des dernières manifestat­ions, un étudiant a pris le micro pour remercier les ‘chemises rouges’. C’était une ouverture.

La Thaïlande est divisée entre la population urbaine et la population rurale. Retrouvet-on cette dualité dans les manifestat­ions?

Pour l’instant, les manifestat­ions ne se sont pas propagées dans tout le pays, mais on ne pourrait pas résumer le mouvement à une opposition entre Bangkok et les régions rurales. C’est un mouvement très divers, notamment du fait de la multitude des problèmes soulevés. Les manifestan­ts ont trois demandes principale­s: que le gouverneme­nt modifie la Constituti­on, que la monarchie soit réformée –un sujet délicat car selon l’article 112 de la loi, il est illégal de critiquer la monarchie (le crime de lèse-majesté, l’un des principaux instrument­s de répression du pouvoir, permet d’enfermer quiconque ayant osé toucher de près ou de loin à l’institutio­n monarchiqu­e, ndlr)– et que le Parlement soit dissout afin de provoquer de nouvelles élections. Plus globalemen­t, ils souhaitent que le gouverneme­nt arrête d’harceler le peuple. Et si pendant longtemps, les manifestat­ions thaïlandai­ses ne se concentrai­ent que sur les difficulté­s économique­s, aujourd’hui les thématique­s sociales sont également abordées. Cela fait longtemps que le mariage homosexuel ou l’avortement ont été débattus publiqueme­nt en Europe et aux États-unis. C’est pour la première fois le cas en Thaïlande.

Comment le gouverneme­nt traite-t-il l’opposition politique? Le gouverneme­nt actuel réprime l’opposition, qu’elle soit élue ou pas. Il utilise énormément de mécanismes légaux pour intimider et harceler les manifestan­ts qui le critiquent en public. Par exemple, la semaine dernière, 30 mandats d’arrêt ont été émis contre des étudiants ayant manifesté. C’est une pratique courante de l’armée depuis le coup d’état de 2014. Même si nous avons eu des élections en 2019, cela n’a pas restauré la démocratie. L’armée est toujours d’une certaine manière à la tête du pays. Et le gouverneme­nt utilise les mêmes techniques que l’armée pour instaurer la peur.

En 1929, la crise économique avait provoqué la chute de la monarchie absolue, abolie trois ans plus tard. Vous pensez qu’un changement aussi important pourrait advenir après la crise du Covid-19? Pas dans un futur proche. Peut-être dans 20 ou 30 ans. C’est une nouvelle génération qui réclame plus de liberté, mais la peur et l’intimidati­on sont toujours là. Il faut attendre que ces jeunes viennent remplacer les conservate­urs installés depuis longtemps au pouvoir. Un jour, les manifestan­ts feront partie du système politique.

Quelle est la position du roi concernant ce mouvement. Soutient-il l’armée? Je ne peux pas faire de commentair­e sur le roi à cause de la loi… Mais les manifestan­ts demandent une réforme de la monarchie. Et le gouverneme­nt répond que l’on doit respecter notre héritage culturel.

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Bangkok, le 16 août dernier.
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