Alain Williams
Mais qui est donc cet ancien manager de Loana et réalisateur de clips pour Francis Lalanne et Samy Naceri? Un roi de la jet-set ou un prince de l’esbroufe? Réponse à Saint-tropez.
Alain Williams a réalisé des clips pour Samy Naceri et Francis Lalanne, managé Loana et produit Gloria Gaynor. Lui en a tiré une fierté éternelle, eux ont ensuite étrangement connu une trajectoire descendante, voire tragique. Une bonne raison, parmi d’autres, d’aller faire un tour à Saint‑tropez dans la voiture de l’intrigant Monsieur Williams.
Alain n’est pas venu seul au rendez-vous. Sur le port d’hyères, à la terrasse d’un café, il commande un Perrier menthe et fait asseoir son homme de confiance. Stetson vissé sur le crâne, la mine renfrognée, le lieutenant est concentré sur son smartphone. Sans matériel spécialisé, filmer quelqu’un à son insu n’a rien d’évident. Faute de mieux, il tient l’appareil à l’horizontale, feignant la décontraction, le coude posé sur la table pour assurer la stabilité de la prise de vue. On a connu caméra cachée plus discrète. Quand on se permet de le lui dire, le chef reprend la main: “Tu fais quoi?”, avant de lui ordonner de “laisser tomber”. Il s’explique: “C’est Bruno, mon régisseur. Il est très protecteur avec moi.” Quelques minutes plus tard, Bruno devient subitement Michaël. Alain Williams, 67 ans, est difficile à suivre. Et il aime le spectacle: au cours de sa vie, il est passé par tous les avantpostes du show-business: directeur artistique, manager, producteur, réalisateur. Aujourd’hui, il se remet tout juste d’un Covid qui l’a laissé à plat et d’une sale histoire judiciaire. L’an passé, il a été mis en examen dans une affaire d’escroquerie présumée aux côtés des frères Ostasenko-bogdanov, les jumeaux de l’émission culte Temps X.
Une tuile pour celui qui était alors en train de réaliser son premier long-métrage, Noni: Le Fruit de l’espoir, une histoire de remède miracle contre le cancer que se disputent scientifiques et labos, avec un casting détonant: les Bogda’, donc, des acteurs habitués des seconds rôles (Jean-louis Tribes, Candice Berner) et Robert Hossein, 92 ans aujourd’hui, en guest-star. C’était, jure Alain Williams, le projet de sa vie. “J’ai perdu ma mère d’une leucémie, je l’ai vue souffrir. Je me suis dit: ‘Pourquoi y a pas un remède? C’est pas possible!’ J’avais envie de communiquer cette volonté de sauver le monde... Comme dans les films américains.”
Sorti le 20 mai 2019 dans quelques petites salles, le film d’alain Williams s’est surtout fait remarquer en ligne. Sidérés par la bande-annonce disponible sur Youtube, les adeptes du forum 18-25 ans de Jeuxvideo.com se sont acharnés sur des dizaines de pages. Le titre de la discussion, “Cet ÉTRON du cinéma français: 3M€ de subvention + Festival Cannes”, donne la température. On y conspue l’amateurisme du réalisateur et, sur fond de complotisme, suspecte même un détournement de fonds publics. D’autres utilisateurs exhument, eux, la surprenante filmographie d’alain Williams. Il y a d’abord ce clip réalisé pour Francis Lalanne. Sorti en 2015, Plus jamais ça est un hymne aux réfugiés. “Ouvrir son coeur, son esprit, ouvrir les portes du paradis à tous ceux qui ont l’enfer au fond des yeux”, chante l’homme aux cuissardes. Le film s’ouvre sur une illustration du corps du petit Alan (souvent appelé “Aylan” à tort dans les médias), entouré d’un coeur tracé sur le sable. Viennent ensuite des images piquées à Euronews (dont on distingue parfois le logo) montrant la détresse de migrants sur un radeau de fortune. Soudain, Francis apparaît, lunettes noires au nez, assis à son piano. Transporté par la magie du fond vert, il flotte comme sur un tapis volant au-dessus d’un Sahara de carte postale avec chameaux et soleil couchant. Un an plus tard, Williams récidive avec un autre repenti du show-biz: Samy Naceri. Dans Une Seconde Chance, l’acteur en quête de rédemption se fait slameur.
“Je sais que je ne pourrai jamais effacer le passé / Ce qui est fait est fait / Le mal que j’ai fait, j’en suis désolé.” Déguisé en chasseur, il coupe des bûches sous le regard complice d’un labrador avant d’être rejoint par les guitaristes des Gypsy Kings. Un instant, la photo de sa mère apparaît en incrustation au milieu d’un étang. Ce bijou de surréalisme attire deux millions de rageux sur Youtube. “Je suis quelquefois pas pris au sérieux, regrette Alain. Souvent, on me prend pour un mytho. Un petit Marseillais, fils de garagiste, destiné à être carrossier, qui s’est propulsé dans le monde de la musique et du showbusiness. Ça énerve beaucoup de gens.”
C’est vrai et c’est faux
Né le 7 avril 1953 à Alger, Alain William Bouchoucha débarque à Marseille dans la précipitation de l’exil au début des années 60. Comme c’est le cas de nombreux juifs pieds-noirs, il faut repartir de zéro. Son père s’installe dans une cité du quartier Saint-loup et monte son garage. Après son certificat d’études, Alain est réquisitionné. “Son grand bonheur aurait été que je prenne sa succession. Mais j’étais pas motivé par ce boulot.” Lui rêve de musique et de spectacle en retapant les carrosseries. Il fait bientôt la connaissance de Jacky, le grand frère d’un copain du quartier, ouvrier le jour et chanteur le week-end. “Alain courait après tout ce qui bougeait, se rappelle Jacky. Je jouais dans des bals et il m’accompagnait. L’amitié s’est forgée comme ça.” En novembre 1973, les deux compères tentent un coup de poker. Alain emprunte une voiture au garage de son père et emmène l’artiste à Paris, sans un sou en poche. “On est partis comme des aventuriers, sans savoir où dormir le soir”, reprend Jacky. Ils se créent des noms de scène. Bouchoucha utilise son deuxième prénom, William, et lui ajoute une touche américaine en plaçant un “s” à la fin. Pour son poulain, même inspiration yankee. “Son nom de famille, c’est Kalifa. Je lui ai dit: tu vas t’appeler Reggan, comme le président américain (sic)” (Ronald Reagan ne sera élu président que sept ans plus tard). Au culot, Reggan et Williams font la tournée des maisons de disque, une maquette piano-voix en mains. Jacky: “Il n’avait peur de rien. Il rentrait dans les bureaux et avec sa bonhommie marseillaise, ça passait.” Premier Baiser, Première Larme, un pur slow seventies, séduit Paul de Senneville, alors directeur du label AZ. Les deux amis signent leur premier contrat, Alain Williams vient de mettre un pied dans la porte du showbusiness. Il ne la laissera plus jamais se refermer.
Au milieu de son récit biographique, une réflexion lui vient spontanément. “C’est invraisemblable, tout ce que j’ai fait.” Difficile de lui donner tort. À lui seul, Alain Williams aurait vendu plus de cinq millions d’albums, tissé des liens d’amitié avec Mickey Rourke, échangé des conseils ciné avec Martin Scorsese lors d’une fête à Cannes et fait jouer Puff Daddy dans le pilote d’une série télévisée. En plusieurs heures d’anecdotes saturées en name dropping et informations souvent impossibles à vérifier, Williams raconte
sa vie comme une série de coups d’éclat. Les deux atouts majeurs de son CV? Été 1998: I Will Survive squatte la playlist hexagonale. Alain Williams revendique la production du fameux La-la-la-la-la, bande originale de la victoire des Bleus en Coupe du monde. Comme souvent avec Alain Williams, c’est vrai et c’est faux. Il est bien le producteur français de Gloria Gaynor à l’époque, mais la version entonnée par Zizou et les siens à chaque fin de match est l’oeuvre du groupe néerlandais Hermes House Band. Le remix façon Williams d’i Will Survive est, lui, commandé tardivement par la Fédération française de foot pour surfer sur l’engouement. Ronny Gold, qui en a signé les arrangements studio, se souvient d’avoir ajouté les fameux choeurs à la va-vite. “En pleine nuit, j’ai appelé des amis pour faire les ‘la-la-la-lala’.” Le lendemain matin, la chanson était finie.” Un bricolage pour lequel Alain revendique des millions de CD écoulés et un disque d’or. Le syndicat professionnel UPFI, qui se charge des certifications de ventes d’albums, n’en a pourtant retrouvé aucune trace.
Alain Williams prétend avoir déniché la chanteuse Larusso la même année, lors d’un enregistrement en studio (“J’écoute et je dis: ‘Toi, là!’ C’était une nana rousse, nez de travers, petite, pas belle et tout”). Séduit par sa voix, il décide de lui donner sa chance sur une reprise de I Will Survive en français. “Avec Je survivrai, on a fait 45 000 disques par jour!” assure-t-il. Une estimation très optimiste: même au meilleur de sa forme, le single n’est jamais entré au top 50. Pour ce qui est du tube incontestable de Larusso, le disque de diamant Tu m’oublieras, Alain est plus flou. Il dit avoir “revendu” l’artiste à ce moment, mais assure qu’il a “fait” la chanson. Son compositeur, Marc Hillman, n’a pourtant jamais entendu parler de Williams, et l’attaché de presse de la chanteuse confirme que le producteur n’a pas pris part à ce succès.
Loana, Massimo Gargia et un léopard
Après quelques négociations, le réalisateur accepte de faire un crochet par sa terre de villégiature préférée. Le golfe de Saint-tropez se déploie derrière le pare-brise de son Audi A4. “Si les impôts ne m’avaient pas pris tout mon argent, j’aurais certainement acheté une maison ici”, confie-t-il, amer. Qu’importe. Dans le village des stars, Alain Williams est chez lui. Il y vient “tous les étés, depuis toujours”, dit avoir bu des pastis avec Michel Sardou et Johnny Hallyday en terrasse du Sénéquier, écumé les soirées blanches d’eddie Barclay et assuré
“la direction artistique” des anniversaires de Massimo Gargia à l’hôtel de Paris. Mais aujourd’hui, pas une tête connue à l’horizon. “C’est triste”, lâche-t-il. Pour se remonter le moral, il offre une glace sur le port. “Comment ça va, mon pote?” balance-t-il, requinqué, en apercevant Vincent, patron du Tsar Folie’s, une boîte du bord de mer. Celui-ci promet de repasser plus tard, peste contre cette “merde de virus” qui a emporté le chanteur Christophe, habitué des lieux. Truculent, chaleureux, grandiloquent: Alain Williams est un séducteur. Richard Kennings, chanteur et ami depuis 40 ans: “Alain pourrait vous vendre la tour Eiffel.” Des qualités qui lui ont permis de faire son trou dans la jet-set et le monde de la nuit. Alain ne fume pas, ne se drogue pas, ne boit qu’avec modération mais y a trouvé substance encore plus addictive: la lumière. “J’ai fréquenté des gens improbables, relance-t-il. Le prince Albert, Karl Lagerfeld, Barbara Streisand!”
Pendant longtemps, Alain Williams a surtout manoeuvré dans l’ombre pour le compte d’une star, une vraie. Loana. À peine sortie de Loft Story, celle-ci est expédiée début juillet 2001 à Sainttropez, condamnée à rester 90 jours supplémentaires dans une villa réservée par la production. “Ils avaient fermé la rue avec des barrières pour bloquer les fans. Les habitants étaient furieux”, rejoue-t-il en conduisant devant le portail de cette bâtisse avec piscine. Si la bonne société tropézienne se bouche le nez au passage de la bimbo, une foule d’annonceurs se presse autour d’elle. Chacun veut son bout de “Miette”. Alain Williams arrache le plus gros morceau, scotchant au passage son associé de l’époque, Alain Puglia:
“À la fin de l’été, quand il est revenu à Paris, il m’a dit qu’il avait eu un très bon contact avec elle et qu’il pensait pouvoir lui faire enregistrer un disque.” Alain raconte pour sa part qu’il a été missionné expressément par Régis Ravanas, directeur de M6 Interactions. Sollicitées, ni la chaîne ni Loana n’ont souhaité réagir. Il faut donc faire avec la version de Williams: “Quand je suis entré dans la maison, Loana était en train de poser avec un léopard. Quand elle m’a vu, elle m’a dit: ‘J’écoute Larusso en boucle, c’est toi qui as fait la production, je l’ai vu sur le disque! Je veux la même chose.’” Le manager va s’accrocher à sa trouvaille pendant plus de dix ans. Ensemble, ils sortent le single Comme je t’aime, obtiennent un disque d’or et signent de juteux contrats. Un calendrier pour FHM, des publicités pour le monoï de Tahiti ou encore un partenariat avec La Halle aux vêtements. Et des émissions de télé-réalité. Quand Alexia Laroche-joubert, ancienne cheffe de projet du Loft, veut faire venir Loana dans Je suis une célébrité, sortez-moi de là!, c’est lui qui est aux manettes: “Il la représentait, avec son accord, certifie-telle. C’était son homme d’affaires.”
Alain le dit souvent, il a “beaucoup fait” pour Loana. Mais il tient à établir deux choses. 1) Il n’a jamais touché
“un centime” sur les contrats qu’il lui faisait signer. “À l’époque, j’avais pas besoin d’argent.” 2) Il ne lui a jamais fait la cour. “Tout simplement parce que je trouvais que c’était fragile (sic).” Fragile, Loana l’est parfois, en effet. Surtout au tournant des années 2010, quand ses tentatives de suicide sont maintes fois chroniquées dans la presse. Alexia Laroche-joubert doit alors mettre le holà face au manager. À l’époque, sa société (ALJ Productions) tourne un documentaire mettant en scène le come-back de la lofteuse quand elle fait une overdose médicamenteuse. C’est même Alain qui la retrouve dans son appartement, le 22 mars 2010, avant d’appeler les secours. “Dix minutes plus tard, elle aurait été morte”, lui auraient confié les médecins. En avril, il fait pourtant savoir à Gala que le documentaire continue. La papesse de la
“Souvent, on me prend pour un mytho. Un petit Marseillais, fils de garagiste, destiné à être carrossier, qui s’est propulsé dans le monde de la musique et du show-business. Ça énerve beaucoup de gens”
Alain Williams
télé-réalité, propriétaire des rushes, lui oppose un refus catégorique. “Je lui ai dit que je ne filmerais pas la détresse de Loana, assure aujourd’hui Laroche-joubert.
Il fait partie de ces gens trop gentils pour être sincères.” Elle coule le projet. Sincère ou pas, Alain Williams est alors omniprésent dans la vie chancelante de la star suicidaire et cocaïnomane. Dans son autobiographie, Loana raconte comment son producteur lui déconseille de suivre une cure de désintoxication dans un institut, pour préserver “son image”.
Elle accepte son offre: un sevrage sauvage, sous la surveillance d’amis du producteur, avec de l’homéopathie pour traiter les crises. Sans rancune. Entre eux, les ponts n’ont jamais été vraiment coupés. En guise de preuve, Alain montre un récent échange de textos, ponctué d’émojis coeur. D’autres poulains de l’écurie Williams ne partagent pas cette magnanimité. Francis Lalanne en tête. Le chanteur décroche son téléphone alors qu’il est en train de savourer “un petit cigare et un bon rhum”, mais se refroidit vite en entendant le nom de l’agent: “Je ne parle que des gens dont je pense du bien.” D’autres sont plus diserts. En 2013, Sev’ (un nom de scène) fait la connaissance d’alain Williams lors d’une soirée parisienne. Cette chanteuse amateure a déjà quelques titres sous
“Quand je suis entré dans la maison, Loana était en train de poser avec un léopard. Elle a dit: ‘J’écoute Larusso en boucle, c’est toi qui as fait la production, je veux la même chose’”
Alain Williams
le coude. Elle a simplement besoin de quelqu’un pour assurer l’édition et la promotion d’un album. Le manager accepte à condition qu’elle coproduise en partie le projet. “Il était vraiment très respectueux, bienveillant, avec une belle façon de faire rêver les gens”, expliquet-elle. Sur le contrat, il est inscrit qu’elle devra verser “une participation financière [...] de 15 000 euros forfaitaires, remis à la signature”. Un gros chèque d’avance, à destination des Éditions de la gazelle, le label dont Florence, la compagne d’alain, est la gérante. En échange, la société s’engage à lui produire quatre chansons et un clip. Mais quand le jour du tournage arrive, l’artiste s’inquiète. Expédiée en un après-midi, la réalisation lui semble bâclée, et elle demande une deuxième version. Pas de problème, Alain Williams a la solution. Pour cette nouvelle tentative, il envoie une stagiaire, non rémunérée. Deuxième clip à la poubelle. À partir de là, Sev’ voit son producteur rechigner à la dépense. “Il avait dit qu’il produirait quatre titres, il n’en a produit qu’un.” La chanteuse se demande où ont bien pu passer ses 15 000 euros. Dans le catalogue d’artistes d’alain, les déçus sont nombreux. Un groupe aurait engagé quelque 10 000 euros pour un clip poussif. La manageuse d’une artiste dit avoir investi près du double dans une coproduction bancale et montre des factures aux tarifs très salés. À chaque fois, des novices à qui on a fait miroiter une production à l’américaine contre un chèque versé à l’avance, puis des services réduits au strict minimum, voire inexistants. Questionné à ce sujet, Alain se retranche derrière son statut de réalisateur et souligne, à raison, que tous les contrats ont été conclus par Florence, unique gérante de sa société.
Suicide à Étretat
Jusqu’à récemment, les multiples activités d’alain Williams n’avaient pas attiré l’attention de la justice. L’affaire Cyrille Pien a changé la donne. Le 30 août 2018, ce riche héritier d’un grand hôtel parisien se jetait d’une falaise à Étretat. Quelques jours auparavant, il avait envoyé aux services de police une lettre à la teneur inquiétante: “Je suis en grande détresse de ce qui m’arrive, trop c’est trop.
Je suis en mode suicidaire. Les frères Bogdanov avec l’escroc Tanguy I., le film escroquerie ‘Noni’ de Alain Williams et Jean-luc C. Ils m’ont fait croire monts et merveilles.” Diagnostiqué maniacodépressif, cet homme de 54 ans avait fait la rencontre d’alain Williams un an plus tôt. Le réalisateur tente alors de boucler le budget de son premier long-métrage. Ça tombe bien: Cyrille a très envie de devenir coproducteur. Emballé, il verse 400 000 euros, qu’il doit même doubler deux mois plus tard. Le chèque sera rejeté, faute de provisions. Alain, qui ne souhaite pas évoquer l’affaire, tient tout de même à préciser qu’il n’est qu’un simple exécutant, une fois de plus. Sur le papier, en effet, la société Starvision World, qui produit le film, est dirigée par sa fille Yaël, 22 ans. Précision importante: Alain Williams et son avocat sont tous deux actionnaires de Starvision. Et sur le contrat passé avec le distributeur du film, c’est bien le numéro de portable du premier qui est inscrit sur le tampon de la société.
Pour remercier Cyrille Pien, le réalisateur lui propose un rôle au casting de Noni. Surtout, Alain l’introduit dans son cercle d’amis. Pien fait la rencontre d’alban de Jong, hypnotiseur des stars, entre dans les soirées de Massimo Gargia, sort avec une artiste de cabaret... Il obtient même un déjeuner avec ses idoles de jeunesse, les jumeaux Bogdanov! Igor et Grichka ont eux aussi un rôle dans le film. À partir de cette rencontre, les dépenses de l’héritier s’accélèrent. Tout le monde adore le joyeux Cyrille, si prompt à dégainer le chéquier. Il ne prend plus le traitement qui stabilisait son humeur et claque à tout-va: 100 000 euros pour financer un spectacle en hommage à Dalida, 400 000 pour une statue mise en vente dix fois moins cher quelques mois plus tard. Un de ses amis d’enfance confie aux enquêteurs: “C’était maître corbeau sur un arbre perché, et il y avait beaucoup de renards.” Mais ce sont les frères Bogdanov et leur homme de main, Tanguy I., qui semblent vouloir se tailler la part du lion. Ils lui demandent de financer deux projets d’émission télé, l’achat d’un hélicoptère, d’un véhicule... Jusqu’au “palais” d’igor, comme il l’appelle, sa maison avec jardin dans le XVIE arrondissement de Paris. Le chèque de 750 000 euros est heureusement bloqué par la banque de Cyrille, qui suspecte l’arnaque et prévient la justice. Ébloui par cette amitié prestigieuse, Cyrille Pien aura tout de même dilapidé près d’un million d’euros en quelques mois.
Quand il comprend avoir été floué, la descente est trop pentue pour ce quinquagénaire fragile psychologiquement. Dans les jours qui suivent le décès de “leur ami Cyrille”, les frères Bogdanov font savoir par communiqué de presse leur “immense tristesse teintée de colère froide”. Contacté par téléphone, leur avocat, Me Éric Morain, n’a pas souhaité réagir. Alain se dit lui aussi très attristé par le sort de ce “pauvre Cyrille”. À vous décourager de faire des films: “Comme on avait coupé ses fonds, il n’a pas pu honorer son contrat et n’a payé qu’une partie.” Le déficit aurait atteint 350 000 euros, obligeant celui qui est à la fois cadreur, réalisateur et monteur du long-métrage à s’asseoir sur son cachet de 180 000 euros. “J’ai pas pris un centime!” martèle Williams. Mais d’ailleurs, à combien s’élève le budget de Noni? À 1,7 million d’euros selon Alain, qui renvoie à un devis présenté au CNC pour prouver ses dires. Une version démentie par l’institution, qui n’a jamais eu entre les mains un tel document et fait savoir qu’elle n’a pas subventionné le film. La comédienne Régina Rebecca (elle aussi mise en cause dans l’affaire Pien) se rappelle une ambiance plutôt low cost sur le tournage: “Il y avait une caméra, personne à la lumière ni à la prise de son.” Alain met en avant de nombreuses et coûteuses journées de tournage, en France mais aussi à l’île Maurice, à Tahiti et en Inde. “À un moment, ils m’ont mis dans le même panier que les autres. Je leur ai dit: ‘Hé ho, calmez-vous, j’ai fait un vrai travail moi, y a des contrats, y a tout!’”
À Saint-tropez, l’horizon semble malgré tout s’éclaircir pour Alain Williams en ce début d’été. Dans ses réquisitoires, le parquet vient de préconiser un non-lieu pour lui, sa fille et son avocat, Jean-luc C. “Quoi qu’on puisse penser de la qualité de la production, il n’en reste pas moins que le film a été réalisé et sa comptabilité présentée”, dit le document. Si Cyrille Pien a peut-être été aveuglé par les paillettes d’alain, ce dernier n’a pas agi frauduleusement, disent en substance les enquêteurs. Et d’autres bonnes nouvelles attendent le réalisateur. Son portable vibre: “C’est Jean-luc, mon avocat. J’ai eu mon crédit d’impôt pour mon prochain film!” Combien? “Oh, pas énorme, 300 ou 400 000 euros, faut voir...” Le scénario: une saga familiale sur fond de tableaux spoliés par les Allemands durant l’occupation.
Il a bon espoir d’y faire figurer Yvan Attal et Charlotte Gainsbourg. Il paraît que rêver n’a jamais fait de mal personne.