Society (France)

Les raisins de la Covid

- –THIBAULT BARLE / PHOTOS: DAVID RICHARD (TRANSIT) POUR SOCIETY

Rendez-vous des fins d’été françaises depuis des siècles, les vendanges à la main représente­nt encore souvent un moment rare de mixité sociale et de conviviali­té. Comment conserver cela à l’ère de la distanciat­ion? Réponse dans les Pyrénées-orientales, où la récolte du raisin a déjà commencé il y a quelques semaines.

Au début du mois d’août, c’est chaque année le même ballet. Emmanuel Imbernon, responsabl­e des vendanges pour le domaine Lafage, donne rendez-vous aux “gars” à un rond-point sur la départemen­tale 12, tout près de la sortie d’autoroute Perpignan Nord. La dizaine de voitures suit son utilitaire blanc vers les parcelles à vendanger, des pieds de vigne presque centenaire­s gorgés de grappes de muscat d’alexandrie. Cette petite partie des 150 hectares du domaine n’a pas été épargnée par l’urbanisati­on galopante et, à quelques centaines de mètres, on aperçoit désormais une voie rapide et une zone d’activité. En fond, le clocher couleur brique de la commune de Rivesaltes et des éoliennes qui tournent paresseuse­ment. Ce matin-là, ils sont 26 à travailler en équipes. Les coupeurs, par quatre, remplissen­t la longue bassine du porteur, qui décharge dans une remorque attelée à un petit tracteur. Seau et sécateur en main ou hotte sur le dos, chacun tient son rôle. “Ici, on fait attention à eux, ils ne reçoivent pas plus de quatre seaux à la fois dans leur hotte”, précise Emmanuel Imbernon alors que les petits groupes s’affairent. Si le masque n’entre pas dans l’attirail des vendangeur­s, les vignes sont ici écartées de deux bons mètres. “On fait en sorte que les travailleu­rs ne soient pas collés. Et chaque soir, le matériel est passé au désinfecta­nt alimentair­e”, ajoute le responsabl­e. Le domaine est aussi très à cheval sur la régularité des contrats des vendangeur­s:

“On vérifie qu’ils sont bien déclarés (par les entreprise­s qui les envoient, ndlr). D’ailleurs, beaucoup travaillen­t presque toute l’année avec nous, pour l’entretien des vignes ou la taille.” Les vendanges à elles seules dureront ici deux mois et demi.

Entre les rangées de vignes, on parle l’arabe, le français ou l’espagnol. La plupart des dos courbés semblent être tombés un peu par hasard dans ce coin du Sud de la France. Claudio Nuñez en est à ses troisièmes vendanges. Ce Chilien aux airs de Marcello Mastroiann­i est venu en France il y a trois ans, par amour pour une Française. “Je ne voulais pas venir, j’étais bien au Chili, et puis elle est revenue plusieurs fois et, un jour, elle avait un billet d’avion pour moi”, se souvient-il. Le couple s’installe alors à Tautavel, un petit village à 30 kilomètres de Perpignan, et se marie. Mais Claudio, ancien comptable dans l’armée de l’air, directeur d’une agence immobilièr­e et d’une boîte de publicité, galère à faire valoir ses compétence­s. Après les vendanges, il compte bien trouver un emploi stable, peut-être dans la plomberie. “J’ai rendez-vous bientôt avec un ancien employeur”, explique-t-il.

Comme lui, Youssef Ouahibi, 38 ans, est employé comme porteur. Originaire du Maroc, il est arrivé en France en 2004. Pendant la pause d’une demi-heure, assis dans l’herbe, il sort son thermos de thé à la menthe et enchaîne les roulées. “Pendant le confinemen­t, j’ai bossé. Il faut bien travailler”, soupire-t-il. Et cet été, pas de vacances au pays: “J’ai passé deux semaines en Espagne, j’ai de la famille là-bas. Mais avec le Covid, le Maroc, c’était trop compliqué.” Quelques instants avant de retourner aux champs, un des plus jeunes vendangeur­s vient lui parler en arabe, sourire aux lèvres. Mohammed, 23 ans, vient de recevoir un appel. Il a été reçu au concours de police ; en septembre, il intègrera la municipale de Toulon, dans le Var. “J’ai toujours voulu faire ça. J’ai mes frères et des cousins dans la police”, expliquet-il. Cette année, il ne fera donc pas la saison complète. Avec ses deux amis, Mourad et Achraf, eux aussi la vingtaine et habillés comme à la ville, ils détonnent un peu au milieu des autres travailleu­rs, plus âgés. Les trois passent leur vie ensemble. “On se voit le week-end et toute la semaine”, rigole Mourad. Pour lui, après les vendanges, ce sera l’armée:

“Je passe l’examen bientôt, je pense être prêt.” “Physiqueme­nt peut-être, mais pas au mental!” le chambre Achraf, qui, après le bac et un passage à la fac, a arrêté les études pour bosser dans l’entreprise familiale. C’est son père qui fournit en partie les équipes à Lafage.

La troisième remorque de la matinée est pleine de raisin, elle part vers la cave, tandis qu’une autre vient prendre le relais au milieu du champ. “En voiture, c’est 20 minutes de route, mais en tracteur, on met presque une heure ; on peut pas passer par la voie rapide”, explique Jean-yves, employé du domaine qui conduit l’engin. Une fois le chargement arrivé au pressoir, les équipes sur place se mettent en mouvement. Certaines remorques sont déchargées dans une grosse machine vibrante qui détache le grain de sa grappe. D’autres, chargées de raisin plus précieux, sont vidées à la main dans une machine plus petite. José-luis Maturana, un oenologue chilien employé à la cave depuis sept ans, fait office de chef d’orchestre. Il s’agite autour des petites cuves, vérifie les tuyaux, donne un coup de main au déchargeme­nt. Le travail ne fait que commencer pour les producteur­s de vin du Roussillon. Après les vendanges viennent le broyage, la fermentati­on et la clarificat­ion ou le vieillisse­ment. D’habitude, des compatriot­es de José-luis rejoignent les équipes pour le travail de vinificati­on. “Ils sont formés et travaillen­t très bien, raconte Éliane Lafage, à la tête du domaine. Mais cette année, avec le Covid, nous n’avons même pas essayé de les faire venir.”

Vous serez surpris d’apprendre que l’yonne, départemen­t le plus septentrio­nal de la Bourgogne-franche-comté, est aussi la zone ayant connu la plus forte hausse de population (+7%) durant le confinemen­t. Que savaient ces 23 000 personnes que vous ne savez pas encore? La réponse ci-dessous. VISITER

C’est l’été, il fait chaud, ne vous cassez pas la tête: commencez au milieu, à Auxerre –et assurezvou­s de bien prononcer ce nom (“Ausserre”, pas “Aukserre”, merci) sous peine d’être esstrêmeme­nt mal vu(e). Cette préfecture coquette de 35 000 habitants fortifiée par Vauban a l’insigne honneur de posséder non pas une abbaye, non pas une cathédrale, mais les deux –Saint-germain et Saint-étienne–, datant respective­ment de 800 et 1215, ainsi que la bagatelle de 35 monuments historique­s inscrits ou classés, parmi lesquels l’étonnante tour de l’horloge (son style gothique flamboyant, son cadran doré) ou encore la statue colorée de Cadet Rousselle. Non classé mais tout aussi important du point de vue historique: le stade de l’abbé-deschamps, théâtre des heures de gloire de L’AJ Auxerre dans les années 90. Besoin de fraîcheur? Faites un crochet par Tonnerre et sa fosse Dionne, une source karstique aménagée en lavoir en 1758 par le chevalier d’éon et dont la profondeur atteint par endroits les 370 mètres –de quoi vous faire sentir tout(e) petit(e). Amateur(rice) de randonnée pédestre? Pas besoin d’aller trop loin: perdez-vous tranquille­ment à l’ombre du très deep massif du Morvan (sa racine indo-européenne signifie “sombre”, “noir”), la plus petite zone de montagne de France, dont le point culminant, le Haut-folin, dépasse les 900 mètres d’altitude, tout de même!

DÉGUSTER

Peut-on vraiment visiter l’yonne sans s’aventurer dans un vignoble? À l’ultratouri­stique et archirupin vignoble de Chablis, préférez les ravissants coteaux d’irancy, plantés d’un abordable et gouleyant pinot noir. Accompagne­z votre pichet de délicieuse­s gougères, cette petite spécialité à base de pâte à choux et de fromage râpé, ou carrément, si vous êtes à fond dans le lactose, d’une bonne tranche de soumaintra­in (de chez Berthaut) ou de Pierre-qui-vire, traditionn­ellement dosé et roulé dans les herbes. Vous pensiez réellement repartir sans avoir englouti une douzaine d’escargots de Bourgogne? Soyez sérieux(se) et faites donc un crochet par la Maison Billot, à Bassou, aux environs de Migennes, pour faire le plein de gastéropod­es au beurre persillé dont la méthode de fabricatio­n –exclusivem­ent manuelle– est scrupuleus­ement respectée depuis 1796. La thalasso, ce sera pour plus tard.

VOIR

Si les aficionado­s de comédies “qualité France” ont déjà rincé depuis longtemps les admirables Coup de tête (Jean-jacques Annaud, 1979) et Tatie Danielle (Étienne Chatilliez, 1990), dont les intrigues cruelles se déroulent en terre auxerroise, les puristes ont aussi cliqué sur le numéro de Non élucidé consacré à l’énigme du gendarme Jambert, ce héros tragique et méconnu de la fin du xxe siècle.

EXPÉRIMENT­ER

Le Moyen Âge est-il le nouveau cool? À vous de le dire en partant en immersion à une trentaine de kilomètres au sud-ouest d’auxerre, sur le site du château fort de Guédelon. Entamée en 1997, la constructi­on de l’édifice, à mi-chemin entre castellolo­gie et architectu­re expériment­ale, repose exclusivem­ent sur l’utilisatio­n de techniques et matériaux utilisés entre le ve et le xve siècle. Elle devrait arriver à son terme en 2025. Mais les travaux, vous savez ce que c’est…

Si l’irruption du masque dans notre quotidien se justifie absolument du point de vue sanitaire, elle bouleverse assurément l’équilibre de nos garde-robes en nous confrontan­t à une longue série de questionne­ments particuliè­rement âpres: par exemple, faut-il considérer le masque comme un accessoire à part entière? Si oui, faut-il épurer le reste de sa tenue pour lui faire de la place? Et faut-il l’adapter à la saison –masque clair en été, foncé en hiver? Surtout, faut-il l’assortir à une autre pièce de sa tenue?

À cette question, nous objecteron­s la même chose qu’aux inquiets prenant grand soin d’assortir la couleur de la pochette à la couleur de la cravate, la couleur des chaussette­s à la couleur du pull, la couleur des chaussures à la couleur du top ou encore la couleur du rouge à lèvres à la couleur de la jupe: pourquoi? Est-ce nécessaire? Quelle peur tentezvous d’apaiser en contrôlant à ce point les choses? Et puis, à la maison, prenez-vous toujours la peine d’assortir la couleur de la nappe à celle du plat que vous servez, même les jours de boeuf bourguigno­n?

De fait, en matière de style, comme en matière de décoration ou de cuisine, le mieux est l’ennemi du bien. Autrement dit, jamais l’effort, la réflexion ou la mise en scène ne doit paraître. Tout doit sembler juste et naturel, spontané et fluide. Concrèteme­nt, si la notion de style vous soucie, faites simple: choisissez des masques sobres et unis, enfilez-les sans y penser et portez-les sans vous poser de questions, tout le temps et partout, le coronaviru­s n’a pas fini de frapper. Plus vous les porterez, plus ils se marieront naturellem­ent à votre style. Mais n’oubliez pas de les retirer au moment de manger ce boeuf bourguigno­n.

 ??  ?? Un porteur au domaine Lafage, le 11 août 2020.
Un porteur au domaine Lafage, le 11 août 2020.
 ??  ?? Achraf et Mourad, sur un rang de vigne, en août 2020.
Achraf et Mourad, sur un rang de vigne, en août 2020.
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