Les raisins de la Covid
Rendez-vous des fins d’été françaises depuis des siècles, les vendanges à la main représentent encore souvent un moment rare de mixité sociale et de convivialité. Comment conserver cela à l’ère de la distanciation? Réponse dans les Pyrénées-orientales, où la récolte du raisin a déjà commencé il y a quelques semaines.
Au début du mois d’août, c’est chaque année le même ballet. Emmanuel Imbernon, responsable des vendanges pour le domaine Lafage, donne rendez-vous aux “gars” à un rond-point sur la départementale 12, tout près de la sortie d’autoroute Perpignan Nord. La dizaine de voitures suit son utilitaire blanc vers les parcelles à vendanger, des pieds de vigne presque centenaires gorgés de grappes de muscat d’alexandrie. Cette petite partie des 150 hectares du domaine n’a pas été épargnée par l’urbanisation galopante et, à quelques centaines de mètres, on aperçoit désormais une voie rapide et une zone d’activité. En fond, le clocher couleur brique de la commune de Rivesaltes et des éoliennes qui tournent paresseusement. Ce matin-là, ils sont 26 à travailler en équipes. Les coupeurs, par quatre, remplissent la longue bassine du porteur, qui décharge dans une remorque attelée à un petit tracteur. Seau et sécateur en main ou hotte sur le dos, chacun tient son rôle. “Ici, on fait attention à eux, ils ne reçoivent pas plus de quatre seaux à la fois dans leur hotte”, précise Emmanuel Imbernon alors que les petits groupes s’affairent. Si le masque n’entre pas dans l’attirail des vendangeurs, les vignes sont ici écartées de deux bons mètres. “On fait en sorte que les travailleurs ne soient pas collés. Et chaque soir, le matériel est passé au désinfectant alimentaire”, ajoute le responsable. Le domaine est aussi très à cheval sur la régularité des contrats des vendangeurs:
“On vérifie qu’ils sont bien déclarés (par les entreprises qui les envoient, ndlr). D’ailleurs, beaucoup travaillent presque toute l’année avec nous, pour l’entretien des vignes ou la taille.” Les vendanges à elles seules dureront ici deux mois et demi.
Entre les rangées de vignes, on parle l’arabe, le français ou l’espagnol. La plupart des dos courbés semblent être tombés un peu par hasard dans ce coin du Sud de la France. Claudio Nuñez en est à ses troisièmes vendanges. Ce Chilien aux airs de Marcello Mastroianni est venu en France il y a trois ans, par amour pour une Française. “Je ne voulais pas venir, j’étais bien au Chili, et puis elle est revenue plusieurs fois et, un jour, elle avait un billet d’avion pour moi”, se souvient-il. Le couple s’installe alors à Tautavel, un petit village à 30 kilomètres de Perpignan, et se marie. Mais Claudio, ancien comptable dans l’armée de l’air, directeur d’une agence immobilière et d’une boîte de publicité, galère à faire valoir ses compétences. Après les vendanges, il compte bien trouver un emploi stable, peut-être dans la plomberie. “J’ai rendez-vous bientôt avec un ancien employeur”, explique-t-il.
Comme lui, Youssef Ouahibi, 38 ans, est employé comme porteur. Originaire du Maroc, il est arrivé en France en 2004. Pendant la pause d’une demi-heure, assis dans l’herbe, il sort son thermos de thé à la menthe et enchaîne les roulées. “Pendant le confinement, j’ai bossé. Il faut bien travailler”, soupire-t-il. Et cet été, pas de vacances au pays: “J’ai passé deux semaines en Espagne, j’ai de la famille là-bas. Mais avec le Covid, le Maroc, c’était trop compliqué.” Quelques instants avant de retourner aux champs, un des plus jeunes vendangeurs vient lui parler en arabe, sourire aux lèvres. Mohammed, 23 ans, vient de recevoir un appel. Il a été reçu au concours de police ; en septembre, il intègrera la municipale de Toulon, dans le Var. “J’ai toujours voulu faire ça. J’ai mes frères et des cousins dans la police”, expliquet-il. Cette année, il ne fera donc pas la saison complète. Avec ses deux amis, Mourad et Achraf, eux aussi la vingtaine et habillés comme à la ville, ils détonnent un peu au milieu des autres travailleurs, plus âgés. Les trois passent leur vie ensemble. “On se voit le week-end et toute la semaine”, rigole Mourad. Pour lui, après les vendanges, ce sera l’armée:
“Je passe l’examen bientôt, je pense être prêt.” “Physiquement peut-être, mais pas au mental!” le chambre Achraf, qui, après le bac et un passage à la fac, a arrêté les études pour bosser dans l’entreprise familiale. C’est son père qui fournit en partie les équipes à Lafage.
La troisième remorque de la matinée est pleine de raisin, elle part vers la cave, tandis qu’une autre vient prendre le relais au milieu du champ. “En voiture, c’est 20 minutes de route, mais en tracteur, on met presque une heure ; on peut pas passer par la voie rapide”, explique Jean-yves, employé du domaine qui conduit l’engin. Une fois le chargement arrivé au pressoir, les équipes sur place se mettent en mouvement. Certaines remorques sont déchargées dans une grosse machine vibrante qui détache le grain de sa grappe. D’autres, chargées de raisin plus précieux, sont vidées à la main dans une machine plus petite. José-luis Maturana, un oenologue chilien employé à la cave depuis sept ans, fait office de chef d’orchestre. Il s’agite autour des petites cuves, vérifie les tuyaux, donne un coup de main au déchargement. Le travail ne fait que commencer pour les producteurs de vin du Roussillon. Après les vendanges viennent le broyage, la fermentation et la clarification ou le vieillissement. D’habitude, des compatriotes de José-luis rejoignent les équipes pour le travail de vinification. “Ils sont formés et travaillent très bien, raconte Éliane Lafage, à la tête du domaine. Mais cette année, avec le Covid, nous n’avons même pas essayé de les faire venir.”
Vous serez surpris d’apprendre que l’yonne, département le plus septentrional de la Bourgogne-franche-comté, est aussi la zone ayant connu la plus forte hausse de population (+7%) durant le confinement. Que savaient ces 23 000 personnes que vous ne savez pas encore? La réponse ci-dessous. VISITER
C’est l’été, il fait chaud, ne vous cassez pas la tête: commencez au milieu, à Auxerre –et assurezvous de bien prononcer ce nom (“Ausserre”, pas “Aukserre”, merci) sous peine d’être esstrêmement mal vu(e). Cette préfecture coquette de 35 000 habitants fortifiée par Vauban a l’insigne honneur de posséder non pas une abbaye, non pas une cathédrale, mais les deux –Saint-germain et Saint-étienne–, datant respectivement de 800 et 1215, ainsi que la bagatelle de 35 monuments historiques inscrits ou classés, parmi lesquels l’étonnante tour de l’horloge (son style gothique flamboyant, son cadran doré) ou encore la statue colorée de Cadet Rousselle. Non classé mais tout aussi important du point de vue historique: le stade de l’abbé-deschamps, théâtre des heures de gloire de L’AJ Auxerre dans les années 90. Besoin de fraîcheur? Faites un crochet par Tonnerre et sa fosse Dionne, une source karstique aménagée en lavoir en 1758 par le chevalier d’éon et dont la profondeur atteint par endroits les 370 mètres –de quoi vous faire sentir tout(e) petit(e). Amateur(rice) de randonnée pédestre? Pas besoin d’aller trop loin: perdez-vous tranquillement à l’ombre du très deep massif du Morvan (sa racine indo-européenne signifie “sombre”, “noir”), la plus petite zone de montagne de France, dont le point culminant, le Haut-folin, dépasse les 900 mètres d’altitude, tout de même!
DÉGUSTER
Peut-on vraiment visiter l’yonne sans s’aventurer dans un vignoble? À l’ultratouristique et archirupin vignoble de Chablis, préférez les ravissants coteaux d’irancy, plantés d’un abordable et gouleyant pinot noir. Accompagnez votre pichet de délicieuses gougères, cette petite spécialité à base de pâte à choux et de fromage râpé, ou carrément, si vous êtes à fond dans le lactose, d’une bonne tranche de soumaintrain (de chez Berthaut) ou de Pierre-qui-vire, traditionnellement dosé et roulé dans les herbes. Vous pensiez réellement repartir sans avoir englouti une douzaine d’escargots de Bourgogne? Soyez sérieux(se) et faites donc un crochet par la Maison Billot, à Bassou, aux environs de Migennes, pour faire le plein de gastéropodes au beurre persillé dont la méthode de fabrication –exclusivement manuelle– est scrupuleusement respectée depuis 1796. La thalasso, ce sera pour plus tard.
VOIR
Si les aficionados de comédies “qualité France” ont déjà rincé depuis longtemps les admirables Coup de tête (Jean-jacques Annaud, 1979) et Tatie Danielle (Étienne Chatilliez, 1990), dont les intrigues cruelles se déroulent en terre auxerroise, les puristes ont aussi cliqué sur le numéro de Non élucidé consacré à l’énigme du gendarme Jambert, ce héros tragique et méconnu de la fin du xxe siècle.
EXPÉRIMENTER
Le Moyen Âge est-il le nouveau cool? À vous de le dire en partant en immersion à une trentaine de kilomètres au sud-ouest d’auxerre, sur le site du château fort de Guédelon. Entamée en 1997, la construction de l’édifice, à mi-chemin entre castellologie et architecture expérimentale, repose exclusivement sur l’utilisation de techniques et matériaux utilisés entre le ve et le xve siècle. Elle devrait arriver à son terme en 2025. Mais les travaux, vous savez ce que c’est…
Si l’irruption du masque dans notre quotidien se justifie absolument du point de vue sanitaire, elle bouleverse assurément l’équilibre de nos garde-robes en nous confrontant à une longue série de questionnements particulièrement âpres: par exemple, faut-il considérer le masque comme un accessoire à part entière? Si oui, faut-il épurer le reste de sa tenue pour lui faire de la place? Et faut-il l’adapter à la saison –masque clair en été, foncé en hiver? Surtout, faut-il l’assortir à une autre pièce de sa tenue?
À cette question, nous objecterons la même chose qu’aux inquiets prenant grand soin d’assortir la couleur de la pochette à la couleur de la cravate, la couleur des chaussettes à la couleur du pull, la couleur des chaussures à la couleur du top ou encore la couleur du rouge à lèvres à la couleur de la jupe: pourquoi? Est-ce nécessaire? Quelle peur tentezvous d’apaiser en contrôlant à ce point les choses? Et puis, à la maison, prenez-vous toujours la peine d’assortir la couleur de la nappe à celle du plat que vous servez, même les jours de boeuf bourguignon?
De fait, en matière de style, comme en matière de décoration ou de cuisine, le mieux est l’ennemi du bien. Autrement dit, jamais l’effort, la réflexion ou la mise en scène ne doit paraître. Tout doit sembler juste et naturel, spontané et fluide. Concrètement, si la notion de style vous soucie, faites simple: choisissez des masques sobres et unis, enfilez-les sans y penser et portez-les sans vous poser de questions, tout le temps et partout, le coronavirus n’a pas fini de frapper. Plus vous les porterez, plus ils se marieront naturellement à votre style. Mais n’oubliez pas de les retirer au moment de manger ce boeuf bourguignon.