“En Australie, près de 50% des feux de brousse sont déclenchés délibérément. J’ai voulu savoir qui devient pyromane et pourquoi”
Malheureusement, il s’agit aussi du profil d’une grande majorité de criminels, ce qui veut dire que les histoires de crimes se révèlent surtout être une question d’inégalités sociales. En Australie en particulier, où les incendies ont tué plus de personnes que n’importe quel autre crime, il y a une tendance à romancer la figure du pyromane. En réalité, la majorité des départs de feu ont plus à voir avec un acte antisocial et compulsif qu’avec une réelle obsession pour le feu. Ce qui prouve, une fois de plus, que le profil de l’incendiaire n’est pas si différent de celui des autres criminels. Tout le monde a déjà eu une fois l’envie d’exprimer sa fureur et peutêtre ses sentiments d’humiliation, de rage ou d’ennui.
Brendan Sokaluk, l’incendiaire de votre livre, correspond-il à ce profil classique? Oui. Il a été diagnostiqué autiste et a été mis à l’écart dans son enfance. Il a grandi dans une ville dont l’activité principale était sa mine de charbon. C’est un endroit difficile pour grandir. Je pense qu’on ne peut pas penser un personnage hors de sa communauté. En société, il y a autant de liens forts que de liens faibles, et dans ce cas précis, il faut s’intéresser aux liens faibles.
Comment avez-vous travaillé pour retracer sa personnalité? Les premières personnes qui ont accepté de me parler étaient les pompiers et la police, ce qui n’était pas une surprise car leur enquête était vraiment réussie. Il y a beaucoup de critiques aujourd’hui sur la police dans le monde entier et dans notre pays, alors ils étaient heureux que quelqu’un écrive une histoire qui, pour une fois, montre qu’ils avaient fait correctement leur travail. Il m’a en revanche fallu plus de temps pour convaincre la famille de Brendan Sokaluk et ses avocats. J’ai dû leur promettre que je raconterais leur version de l’histoire. Et c’est ce que j’ai fait. Je raconte l’histoire vue par la police, mais aussi vue par les avocats. Au départ, ces derniers pensaient vraiment qu’il y avait une chance que Brendan Sokaluk soit innocent. On entend tellement d’histoires de personnes intellectuellement handicapées qui avouent de force, ils craignaient que ce soit ce genre de situation.
Vous a-t-on reproché d’excuser ou de justifier son acte? Je pense qu’il y a des gens qui estiment que Brendan Sokaluk ne mérite pas d’être montré sous un jour favorable à cause des dégâts que cet incendie a causés: les vies perdues, les milliers d’hectares incendiés… Ça a vraiment été dévastateur. Mais si vous n’essayez pas de comprendre la personne qui a mis le feu, vous ne pouvez pas comprendre le crime et vous n’apprenez rien sur ce qui s’est passé. Brendan Sokaluk est un personnage complexe. La police pensait avoir affaire à un pyromane récidiviste rusé, méchant plus que fou. Ses avocats, eux, pensaient qu’ils défendaient le plus innocent des enfants. Les deux parties semblaient parler de personnages tellement différents! Il s’avère qu’ils avaient en fait tous probablement raison.
Au-delà de la figure de l’incendiaire, votre livre montre que les feux sont aussi dus à des maux qui rongent l’australie: l’inaction face au changement climatique, l’accroissement des inégalités socio-économiques… Comment la situation a-t-elle évolué en Australie depuis ce samedi noir? L’an dernier, nous avons vécu ce que nous appelons ‘l’été noir’. Plus de 20% de l’australie a brûlé à cause des incendies. Cela a vraiment été le moment où nous avons réalisé que les effets du changement climatique étaient désormais là. C’est comme ce qui se passe aux États-unis actuellement. Tout cela s’accélère plus vite que prévu. Dans la foulée de cet été noir, il y a eu une grande demande de la part de la population de voir le gouvernement prendre le changement climatique et les incendies au sérieux. Mais ensuite, la pandémie est arrivée, et ces questions ont été renvoyées au second plan.
Quelle est la relation de l’australie avec le feu, historiquement? L’australie est le continent le plus sec. Nous avons une histoire incroyable avec le feu car la flore australienne est très résistante, elle dépend de lui pour se régénérer. Nous comptons beaucoup de plantes pour qui le feu est nécessaire. D’ailleurs, les indigènes australiens l’ont longtemps utilisé dans de nombreux aspects de leur vie: pour garder la végétation sous contrôle, pour les cérémonies, pour la chasse, pour envoyer des messages… Ils avaient une compréhension étonnante de la façon dont chaque environnement devait brûler. Une grande partie de ces connaissances a malheureusement été perdue avec la colonisation blanche.
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