Society (France)

“Trump ne se prépare jamais avant les sommets internatio­naux”

Ancien des administra­tions Reagan, Bush père et Bush fils, John Bolton a passé sa vie à pousser des présidents américains à partir à la guerre. Pendant 17 mois, il a été conseiller à la sécurité nationale de Trump, avant de démissionn­er en septembre 2019.

- – ANTHONY MANSUY

Dans votre livre, vous évoquez l’existence d’un ‘axe des adultes’ à la Maison-blanche, soit le groupe de conseiller­s censés empêcher Donald Trump de dérailler. Ce n’est donc pas vraiment le président qui dirige? Le problème avec Trump, c’est qu’il est incapable de se concentrer. Alors oui, c’est lui le président, c’est lui qui a été élu, mais souvent, son comporteme­nt nous indiquait que nous pouvions tirer nos propres conclusion­s. Ensuite, entre le moment où Trump a été élu, en novembre 2016, et celui où il a pris ses fonctions, le 20 janvier 2017, personne ne lui a expliqué la portée de son nouveau rôle, de ses responsabi­lités. Quand je suis arrivé à la Maison-blanche, des gens erraient et discutaien­t dans les couloirs, personne n’avait l’air pressé, il n'y avait aucune priorité ou pression sur qui que ce soit. On aurait dit une résidence universita­ire.

Vous avez passé près d’un an et demi à la Maison-blanche en tant que conseiller à la sécurité nationale. Vous étiez là, par exemple, lors des préparatif­s du sommet de Singapour, où Donald Trump et Kim Jong-un se sont rencontrés pour la première fois. Comment estimez-vous l’action du président en termes de politique étrangère? À l’époque, la Corée du Nord avait tenu des propos déplacés au sujet du vice-président, Mike Pence (dont les remarques avaient été qualifiées d’‘ignorantes et stupides’, ndlr). Trump commençait à craindre que le sommet soit un échec cuisant et pensait l’annuler. Pour nous l’expliquer, il a utilisé une métaphore, disant qu’avec les femmes, il voulait toujours être celui qui met fin à une relation. Il voulait donc dégainer le premier pour annuler le sommet. Ce que nous avons annoncé publiqueme­nt. Puis, 24 heures plus tard, il a changé d’avis, et le sommet a eu lieu. Voilà un bon exemple de sa manière primitive de prendre des décisions sur des enjeux majeurs. Il n’a pas de philosophi­e, de stratégie, il n’est ni conservate­ur ni progressis­te, il est juste Donald Trump. Il ne comprend pas le concept de principes en politique, les décisions se prennent au coup par coup, de façon purement transactio­nnelle, en se basant sur l’instinct davantage que sur l’analyse.

Selon vous, Vladimir Poutine peut jouer avec Donald Trump ‘comme on joue d’un violon’. C’est-à-dire? En juin 2018, quand nous partions pour le sommet de L’OTAN à Bruxelles, où nous devions aussi voir Theresa May à Londres et Poutine à Helsinki, Trump a expliqué à la presse, juste devant la Maison-blanche, que la rencontre avec Poutine serait certaineme­nt la ‘plus facile’ de tout le voyage. Qui d’autre que lui peut penser un truc pareil? Trump ne se prépare jamais avant les sommets internatio­naux. Dans l’avion pour Helsinki, j’essayais de le briefer sur le nouveau traité de désarmemen­t nucléaire, mais son attention était rivée sur un match de la Coupe du monde de football. Vous imaginez le genre de problèmes qui peuvent survenir quand il se trouve seul à seul avec Xi Jinping ou Vladimir Poutine qui, eux, se préparent.

Par exemple? Lorsqu’ils se sont vus à Helsinki, ils ont surtout parlé de la Syrie et c’est essentiell­ement Poutine qui a parlé, à en croire l’interprète. Nous étions soulagés parce que plus Poutine parlait, moins Trump pouvait faire de concession­s. J’étais toujours très inquiet que les autres chefs d’état prennent Trump pour une cible facile lors de leurs entrevues seul à seul, et qu’ils lui fassent accepter tout et n’importe quoi.

“Donald Trump n’a pas de philosophi­e, de stratégie, il n’est ni conservate­ur ni progressis­te, il est juste Donald Trump”

Vous souteniez une interventi­on militaire au Venezuela, mais Poutine aurait convaincu Trump du contraire en lui disant que Juan Guaido était ‘le Hillary Clinton local’…

Il a aussi dit à Trump que Guaido était le Beto O’rourke du Venezuela. O’rourke est un démocrate du Texas, assez grand et mince, comme Guaido… Nous avions fait venir à Washington la femme de Guaido et celle de son directeur de cabinet, alors en prison. Celle-ci a raconté le moment où les autorités sont entrées chez elle et où elle a dû protéger ses enfants. Une histoire très forte, émouvante. Mais ce qui a monopolisé l’attention de Trump, c’est le fait que la femme de Guaido ne portait pas son alliance. Il voyait ça comme un signe de faiblesse.

Vous partagez néanmoins avec lui une approche unilatéral­e des questions diplomatiq­ues, consistant à contourner systématiq­uement les institutio­ns

internatio­nales établies après la Seconde Guerre mondiale. Quand je travaillai­s pour Bush père et Bush fils, je ne me réveillais pas le matin en me disant: ‘Tiens, quelle décision unilatéral­e vais-je prendre aujourd’hui?’ Parfois, cela se fait de manière multilatér­ale, parfois non. Je réfléchis à ces problémati­ques en me demandant ce qui servira le mieux les intérêts des États-unis, je n’en fais pas une question philosophi­que. Vous mangez de la soupe avec une fourchette? Ça m’étonnerait. Vous découpez un steak avec une cuillère? Je ne pense pas. Ce sont des outils qui dépendent du contexte, ce n’est pas une affaire politique.

Rien ne prouve qu’une éventuelle guerre avec l’iran, que vous n’avez cessé d’encourager, résoudrait le problème du terrorisme.

Elle pourrait au contraire devenir une de ces nouvelles ‘guerres infinies’ que dénonçait Trump pendant sa campagne. Qu’est-ce que ça veut dire, ‘guerre infinie’? Trump a des tendances isolationn­istes, mais sans grande cohérence. Par exemple, il était prêt à prendre des initiative­s contre l’iran, même si ce n’étaient pas celles que je trouvais utiles. L’assassinat du général Suleimani a bien été commandité en réponse à certaines décisions du régime iranien. Ça leur a envoyé un message fort et nous aurions dû le faire il y a bien longtemps, si vous voulez mon avis.

L’une des grandes révélation­s de votre livre, c’est que Donald Trump aurait demandé à Xi Jinping d’augmenter les importatio­ns chinoises de produits agricoles américains pour redresser la situation économique de certains États cruciaux pour l’élection présidenti­elle.

Il voulait irriguer ces États avec l’argent issu des importatio­ns chinoises. C’est pour cette même raison que, début 2020, il a négocié un accord commercial avec la Chine et qu’il a ignoré toutes les alertes à propos du coronaviru­s, parce que ça pouvait affecter l’économie chinoise et, donc, sa capacité à importer ces produits agricoles américains. Le résultat, c’est que maintenant, Trump plonge dans les sondages dans ces États agricoles, par exemple dans l’iowa, qu’il avait remporté haut la main en 2016.

Vous avez dit que vous ne voteriez ni pour Trump ni pour Biden. Pour autant, pensezvous que Trump pourrait tenter de rester en place même s’il perd? Je crois qu’il pourrait bénéficier du chaos autour de l’élection et qu’il a toutes ses chances de l’emporter. Mais si c’est Biden qui gagne, je peux vous garantir que Trump ne sera plus en place après le 20 janvier (date traditionn­elle de l’investitur­e, ndlr). Je ne pense pas qu’il partira calmement, mais nous avons des garde-fous en place qui font que, quoi qu’il arrive, il ne pourra pas conserver le pouvoir dans notre système.

Lire:

(Talent Editions)

de John Bolton

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La Statue de la Liberté a un peu morflé.

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