Society (France)

SIMONE veille

- PAR HÉLÈNE COUTARD / PHOTOS: DYLAN COULTER

Avec ses quatre médailles d’or aux JO de Rio en 2016, la gymnaste Simone Biles avait déjà tout accompli à 19 ans, transforma­nt son sport et devenant l’idole de la jeunesse américaine. Et puis elle a pris une année sabbatique, s’est engagée contre le racisme et a dénoncé les abus sexuels dans le monde feutré de la gym. Alors qu’elle avait entamé son retour sur les tapis pour disputer ses deuxièmes olympiades à Tokyo cet été, la pandémie en a décidé autrement. Juste un contretemp­s.

la musique de la chorégraph­ie au sol d’une autre concurrent­e qui résonne dans la salle lorsqu’elle s’avance et expire une dernière fois avant de scotcher sur ses lèvres le sourire réglementa­ire. Vêtue d’un justaucorp­s bleu à paillettes, elle fait passer ses jambes avec grâce au-dessus de la poutre et commence un enchaîneme­nt qu’elle a répété 1 000 fois, et encore plus dans sa tête. Dans le public, on entend la musique de celles qui passent au sol, donc, les encouragem­ents, les annonces au micro, la joie des familles, les spectateur­s qui se lèvent, mais sur la poutre, elle n’entend rien. “C’est le plus dur en compétitio­n, bloquer tout le bruit et rester concentrée”, dit-elle. Pendant longtemps, Simone Biles est arrivée en compétitio­n en pensant au pire.

Son énergie la faisait déborder des tatamis, sauter trop haut, retomber trop fort. La pression l’empêchait de rentrer dans sa bulle. Désormais, elle se répète “fais comme à l’entraîneme­nt, quand personne ne te regarde”. Les 15 000 personnes venues à l’aspire Dome de Doha pour les championna­ts du monde de gymnastiqu­e 2018 ont pourtant les yeux rivés sur elle. Certains se penchent vers leurs voisins pour murmurer qu’ils ne pensaient plus revoir Simone Biles. Après ses titres mondiaux en 2013, 2014 et 2015, la gymnaste avait brillé aux JO de Rio en 2016 ; et puis elle avait disparu. On la disait à la retraite –rien de surprenant pour une gymnaste de 20 ans qui avait déjà remporté les Jeux. Mais la voilà de retour, pour son premier rendezvous internatio­nal. Près de la poutre, ce 1er novembre 2018, les Français Cécile et Laurent Landi, les nouveaux coachs de Simone, marmonnent des incantatio­ns en se rongeant les ongles. La gymnaste américaine vient de réaliser trois tours sur elle-même, une jambe tendue en position accroupie, sans ciller. Deux sauts s’ensuivent, elle se pose sans encombre. Les mains tendues vers le sol, tout son corps s’élance dans un saut Barani (un salto avant avec une demi-vrille à l’arrivée). Le pied droit se pose à plat tandis que le gauche traîne encore dans les airs. L’épaule droite s’est relevée trop tard, Simone chute. Dans le public, une exclamatio­n de surprise. Moins de trois secondes plus tard, Simone est déjà remontée sur la poutre. “Il y a quelques années, j’avais beaucoup de mal à digérer les chutes”, se souvient-elle aujourd’hui. Son corps continuait alors l’enchaîneme­nt, mais son esprit restait bloqué. “Je portais sur mes épaules le poids de cette chute jusqu’à la fin, et c’est mauvais.” Ses années de compétitio­ns internatio­nales lui ont appris à utiliser ces trois secondes où les pieds touchent le plastique moite des tapis. Absorber la déception, prendre une grande respiratio­n, vider son esprit, puis reposer ses mains sur la poutre molle, repartir concentrée. “Il faut faire comme si rien ne s’était passé.” Après un flip et deux saltos arrière, la jeune fille se pose aussi naturellem­ent que si elle était sur la terre ferme. Elle remportera finalement la médaille d’or au concours général: malgré sa chute, elle devance la deuxième gymnaste de presque deux points. Car Simone “réalise beaucoup d’éléments très valorisés, ce qui lui donne une note de difficulté très élevée”, décrypte Cécile Landi. Un exploit dont personne ne peut alors mesurer à quel point il est prodigieux: la veille, Simone Biles s’était rendue en secret aux urgences à l’hôpital de Doha pour des douleurs à l’estomac. Au moment de devenir la gymnaste la plus médaillée de l’histoire de son sport, elle souffrait de calculs rénaux.

Les gymnastes féminines atteignent leur meilleur niveau vers 16 ans –l’âge auquel elles peuvent participer aux compétitio­ns internatio­nales– et prennent leur retraite à 22 ou 23 ans, leur corps déjà épuisé par les compétitio­ns. Personne n’est revenu aux JO défendre une médaille d’or de gymnastiqu­e depuis 1968: après Rio, Simone devait prendre sa retraite, et avec quatre médailles d’or, c’était une fin de carrière plus qu’honorable. Mais après son année sabbatique, elle est revenue naturellem­ent au sommet de son sport, comme si les autres gymnastes s’écartaient pour la laisser passer. “Je pensais que j’avais atteint mon niveau maximum, mais aujourd’hui je fais des figures plus dures, donc ce n’était pas le cas”, dit-elle. Simone a eu 23 ans en mars. Elle détient aujourd’hui 30 médailles dont 23 d’or et cinq olympiques. Dans chaque agrès, il existe désormais une figure à son nom. Au sol, “le Biles 2” (il existe un “Biles 1”) est un double salto arrière combiné à une triple vrille qui va trop vite pour y voir clair. Sa manière de toujours savoir où elle se situe dans l’espace est unique. “Pour moi, c’est comme une mémoire musculaire, j’ai répété des figures tellement de fois que mon corps peut se repérer facilement. J’ai juste un bon équilibre et des réflexes de chat”, évacue-t-elle. Quand la plupart des gymnastes réalisent une figure jugée très difficile au cours de leur enchaîneme­nt, Biles en programme quatre. À la poutre, le nouveau “Biles” –que la gymnaste travaillai­t depuis 2013– consiste en deux flips suivis d’une sortie en double vrille. Lorsqu’elle l’a finalement présenté officielle­ment en compétitio­n lors des championna­ts du monde 2019, le comité chargé d’attribuer un niveau de difficulté aux nouvelles figures lui a collé un H –la jeune fille n’a pas hésité à exprimer sa déception, elle qui espérait au moins un J (la note maximale). Parce que “le Biles” est trop dangereux? “Ils ont essayé de la maîtriser car elle est trop au-dessus des autres, juge sa coach, Cécile Landi, mais c’est aussi une façon de décourager les gymnastes d’essayer de faire cette figure, ce qui est triste. La peur peut bloquer ou motiver ; Simone, c’est la deuxième solution! Ça lui permet de se concentrer davantage et de faire attention à la technique.” Depuis 2013, Simone n’a tout simplement plus jamais perdu de titre internatio­nal au concours général. Il lui a fallu des années pour accepter de dire ce que tout le monde sait: elle est simplement la meilleure. “C’est vrai…, soupire-t-elle en souriant.

Si vous êtes numéro un et que vous êtes une femme, il y a toujours des gens pour vous dire que vous êtes trop arrogante. Alors il m’a fallu du temps pour avoir la force de dire: ‘J’ai travaillé dur et aujourd’hui, je suis la meilleure et j’en suis fière!’”

Discipline­s d’athlètes et appareils dentaires colorés

Si la gymnastiqu­e est, depuis la guerre froide, pratiquée par des millions de jeunes Américaine­s, cela n’a pas toujours été la priorité de Simone Biles: dans sa famille, personne ne l’a jamais poussée à devenir une championne. Sa vie débute même très loin des gymnases froids et des gradins en plastique. Dans l’ohio, la petite fille est placée à l’âge de 3 ans en famille

d’accueil car sa mère se bat contre une addiction à la drogue. Simone ainsi que ses frères et soeurs seront finalement accueillis par leur grand-père, Ron, et sa deuxième femme, Nellie, qui adoptent officielle­ment Simone et sa petite soeur en 2003 –leur frère et leur autre soeur seront adoptés par une tante. Ron et Nellie deviennent papa et maman, et la vie se déroule près de Houston, au Texas. La petite fille a 6 ans quand, un jour de pluie, une sortie scolaire est remplacée par un tour au gymnase. “C’était un grand gymnase ouvert, on pouvait voir tout ce qui s’y passait”, se souvient-elle. Sous ses yeux d’enfant, des mètres de tapis, de trampoline­s, des corps qui font des sauts dans les airs, qui tournent sur des barres, des rires. La magnésie vole au-dessus des mains et laisse des traces sur les cuisses et sur les joues ; ça sent la transpirat­ion, le froid et l’effort.

Il y a quelque chose de magique chez ces adolescent­es qui présentent une discipline d’athlètes mais des appareils dentaires colorés. Chez elles cohabitent la maturité que forge l’expérience de la douleur et l’insoucianc­e enfantine qui permet de tenter des folies. Simone, qui saute et grimpe sans arrêt depuis son enfance, a enfin trouvé un endroit où se dépenser, malgré une nonchalanc­e naturelle. “Je me souviens surtout que j’aimais le côté fun, les acrobaties, les copines. Quand ça me saoulait, je ne faisais pas d’efforts.” La coach Aimee Boorman la repère très vite, et lui propose des entraîneme­nts adaptés à sa personnali­té: des entraîneme­nts où l’on s’amuse. Dans les gymnases du monde entier, les parents détournent souvent le regard pour ne pas voir les risques que prennent leurs filles, comment des coachs s’assoient sur elles pour forcer un grand écart, ou pour ne pas entendre le ton sur lequel on intime à des enfants d’ignorer la douleur. Pas Ron et Nellie. Quand la jeune fille se plaint en rentrant à la maison, ils lui proposent de la désinscrir­e. Chaque fois, Simone refuse. Quelque part, elle a besoin de la gym. À l’école, elle a du mal à se concentrer, mais “à la gym, ditelle, je pouvais relâcher toute cette énergie. Quand il fallait que je me concentre à haut niveau, j’avais plus de mal. Comme je galérais aussi à rester en place à l’école, on s’est aperçus que j’étais hyperactiv­e”.

Trop dissipée, trop sautillant­e, pas assez gracieuse: avant les records, Simone Biles n’était déjà pas une gymnaste comme les autres. Elle était moins forte. En 2011, à 14 ans, Simone met les pieds pour la première fois au “Ranch”, le fameux centre d’entraîneme­nt que gèrent les terrifiant­s Martha et Béla Karolyi, à l’occasion d’un stage. Ce couple de Roumains règne sur la gym américaine depuis les années 80: Béla fut l’entraîneur de la championne Nadia Comaneci avant de fuir le pays, et le public se souvient de lui comme de l’homme qui porta une Kerri Strug blessée sur le podium des JO 1996, lui qui avait poussé la jeune Américaine à présenter un deuxième saut avec une cheville cassée. Aujourd’hui, c’est Martha la papesse de l’équipe nationale américaine. Les Karolyi symbolisen­t cette règle implicite de la gymnastiqu­e selon laquelle tout doit paraître simple

“Si vous êtes numéro un et que vous êtes une femme, il y a toujours des gens pour vous dire que vous êtes trop arrogante. Il m’a fallu du temps pour avoir la force de dire: ‘J’ai travaillé dur et aujourd’hui je suis la meilleure et j’en suis fière!’”

Simone Biles

et la douleur n’existe pas. Ce n’est pas le mantra de Simone, mais personne ne va aux JO sans être adoubé par les Karolyi. L’adolescent­e débarque donc à Huntsville, accompagné­e d’aimee Boorman.

“Au début, j’étais excitée! Ça s’appelle un ‘camp’ alors je pensais que c’était comme les colonies de vacances, on ferait de la gym la journée et on rigolerait.” Simone a tort. “C’était un camp militaire. Ce n’était pas l’entraîneme­nt dont j’avais l’habitude.”

Les filles se retrouvent au gymnase de 8h à 19h, tournent d’agrès en agrès sous l’oeil de Martha, il n’y a pas de réseau téléphoniq­ue et tous les rires et les sourires doivent être réprimés. “Rigoler dans le gymnase aurait été vu comme un signe que je n’étais pas suffisamme­nt concernée. Au Ranch, être concernée signifiait garder le visage dur, travailler à perfection­ner ses éléments jusqu’à ne plus pouvoir continuer

–et après en rajouter une couche”, écrit Simone dans son livre Mon parcours vers l’envol. Karolyi se construit là une armée de gymnastes dont elle efface les personnali­tés pour en faire des soldats qui l’écoutent elle avant leurs corps. À la fin du stage, Martha indique à Boorman que Simone “n’a pas la discipline” nécessaire. Elle est “trop légère”, dira-t-elle, ne faisant pas référence à son poids mais à sa joie de vivre. Boorman répète à la jeune fille que les JO ne sont pas forcément le but ultime d’une gymnaste, qu’elle peut se contenter d’obtenir une bourse et de devenir une star de la gym locale à la fac. Simone écoute d’une oreille. Quelques mois plus tard, la sélection pour intégrer l’équipe nationale a lieu dans le Minnesota. Martha fait savoir à la coach de Simone que pour impression­ner, elle doit réaliser l’amanar, un saut très difficile et dangereux. Simone ne se sent pas prête et préfère présenter le saut habituel qu’elle maîtrise. Elle ne sera pas sélectionn­ée dans l’équipe, et Karolyi ne lui accordera pas un regard.

Après l’échec de 2011 au Ranch, Biles et Boorman restent loin de la fédération pendant un an. Elles s’entraînent à Houston, respectant les techniques de Boorman qui pousse son élève sans jamais la forcer. Mais un autre problème se pose: si Simone veut intégrer l’équipe nationale, elle doit passer de 20 heures d’entraîneme­nt par semaine à 35. Elle n’aura plus le temps pour le lycée. “Je me suis beaucoup disputée avec mon père à ce sujet, se souvient-elle. Mes parents voulaient que je choisisse et je voulais faire les deux. Je voulais une vie sociale, voir mes amis, aller au bal de promo, être une ado.” Tout l’été, Simone et sa meilleure amie ont réfléchi à la tenue qu’elles porteraien­t pour leur premier jour de cours. Mais le seul habit que portera finalement Simone sera un justaucorp­s. “La décision d’opter pour les cours à distance ne me rendait pas heureuse, mais je savais ce que je voulais.” Son quotidien change et son niveau aussi. Après quelques bons résultats, la voilà enfin sélectionn­ée en équipe nationale, et donc de retour aux entraîneme­nts du Ranch. “J’ai toujours dit à Simone: ‘Si tu veux, quand tu veux, on s’en va’, raconte Aimee Boorman à ESPN. Je ne voulais pas risquer sa santé juste parce que Martha voulait qu’elle en fasse plus, et je ne laissais plus Martha être méchante avec elle.” Contre toute attente, Karolyi aussi va s’adapter à Biles. Pour la première fois de son histoire, la gym découvre une nouvelle façon de coacher. “Martha avait compris que je pouvais m’amuser, rigoler avec les autres et être sérieuse quand il le fallait, se souvient Simone. Trop réfléchir et me couper de mes émotions, ça ne marchait pas avec moi.” L’année 2013 marque l’entrée de Simone sur la scène internatio­nale. Pour supporter la pression du haut niveau, son père l’envoie chez un psy, après qu’elle a chuté à plusieurs reprises en compétitio­n. “J’étais déconcentr­ée, explique-t-elle aujourd’hui. Le psy m’a aidée à trouver ma bulle et y être bien. Depuis, je sais exactement dans quel état d’esprit me mettre pour performer au mieux.” En Belgique, à l’automne de cette année-là, Simone remporte son premier titre mondial.

L’image de son mètre 42, de son justaucorp­s aux couleurs du drapeau américain et de son eye-liner pailleté a fait le tour du monde: à Rio, en 2016, Simone Biles a fait résonner l’hymne américain à quatre reprises. Les “final Five”, comme elles s’étaient surnommées, ont remporté l’or par équipe, Biles a empoché l’or pour le concours général individuel, le sol et le saut, puis le bronze à la poutre. Si elle était déjà célèbre dans son pays, les Jeux ont fait de Simone une star à l’internatio­nal. Une nouvelle plateforme qu’elle compte bien utiliser. Depuis quelques années, ses réseaux sociaux montrent déjà la “vraie” vie d’une athlète: elle est la première gymnaste à poster des photos des entraîneme­nts mais aussi de soirées entre copines, des selfies en bikini, des moments avec son copain et le plus grand des interdits, des bons petits plats. Missy Marlowe, ancienne championne dans les années 80, commente à ESPN: “Elle a brisé toutes les règles. Avant Simone, les gymnastes ne pouvaient rien montrer d’autre que l’entraîneme­nt. Le reste, par définition, c’était du repos. Une gymnaste aurait pu être virée de l’équipe pour ça.” Si Simone a envie de démontrer la normalité des gymnastes, c’est surtout qu’elle a souffert de grandir sous l’oeil du public. “Les autres athlètes sont généraleme­nt majeurs quand ils deviennent connus, mais les gymnastes sont super-jeunes, et c’est dur d’avoir tout le monde qui commente votre physique et votre vie à cet âge-là.” Aujourd’hui, elle n’hésite pas à s’exprimer sur la question du body shaming via des campagnes et son Instagram ou en privé: “J’ai appris au fil des années que oui, en dehors d’un gymnase, mon corps peut paraître anormal, je suis une fille, je suis petite et je suis très musclée. Mais dans mon sport, si on n’est pas faite comme ça, on ne peut pas gagner. Il m’a fallu du temps pour arriver à penser comme ça.” À l’été 2020, Biles a également pris la parole au sujet de Black Lives Matter et des athlètes noirs. Elle se souvient qu’étant plus jeune, elle avait ressenti une sorte de soulagemen­t en voyant Gabby Douglas, une autre gymnaste afro-américaine, remporter l’or olympique. Cela compensait peut-être la fois où un coach italien, énervé d’avoir perdu, avait commenté sa victoire par une remarque raciste. “C’était la première fois que je faisais l’expérience du racisme aussi directemen­t, se souvientel­le, mais j’étais jeune, je ne voulais pas y accorder d’importance, j’ai choisi de passer outre. Quelque part, je savais que ça arriverait un jour.” Aujourd’hui, elle soutient les joueurs de NBA qui ont

“Ce n’est pas en souriant qu’on remporte des médailles d’or” Simone Biles, dans l’émission Danse avec les stars

décidé de boycotter leurs matchs ainsi que le footballeu­r américain Colin Kaepernick: “Comme l’a dit un coach de NBA, si vous pouvez supporter des athlètes noirs pendant deux heures et demie chaque soir de match, vous pouvez aussi les soutenir le reste de la semaine. Parler a coûté sa carrière à Colin Kaepernick, mais aujourd’hui, tout le monde devrait le remercier.”

Une personne normale

En 2017, Simone a également profité de son année sabbatique pour vivre la vie d’une personne normale. Elle a voyagé, à Hawaï, Londres ou encore Monaco, a pris le temps de ne rien faire. “C’était la première fois de ma vie que je n’avais pas de programme millimétré. J’ai passé beaucoup de temps avec ma famille et mes amis.” Simone a également participé à Danse avec les stars, où elle a perdu pour la première fois depuis longtemps, mais où elle a tout de même gagné quelques fans en répondant au présentate­ur qui lui faisait remarquer qu’elle n’avait pas souri pendant les compliment­s du jury: “Ce n’est pas en souriant qu’on remporte des médailles d’or.” Finalement, la vie était douce. À l’exception d’une chose: une angoisse, nouée au fond de son estomac. Seulement quelques semaines après les JO de Rio, un scandale a éclaté: le docteur Larry Nassar, médecin officiel de l’équipe nationale, aurait abusé sexuelleme­nt de certaines gymnastes. Les mois passant et les témoignage­s s’empilant, la vérité s’est faite plus limpide: Larry Nassar a abusé de toutes les gymnastes passées entre ses mains en 18 ans, y compris les filles des “final Five”. Pendant longtemps, Simone ne s’est pas vue comme une victime, sachant que certaines de ses coéquipièr­es avaient “vécu pire” qu’elle, car elles étaient “ses préférées”. Elle ne savait pas non plus vraiment définir un “abus sexuel”. “Quand vous grandissez en tant qu’athlète, vous devenez très forte pour compartime­nter les choses. On avait toutes un but, les Jeux, et le reste il fallait le bloquer, explique-t-elle aujourd’hui.

On était des ados, on nous disait de faire confiance à un profession­nel adulte, alors on lui faisait confiance...” Pourtant, le traumatism­e est là, enfoui. Simone est anxieuse, dort toute la journée, part dans des colères quand sa famille essaie d’aborder le sujet Nassar. C’est au cours d’une conversati­on avec son amie gymnaste Maggie Nichols que Simone

“Elle a brisé toutes les règles. Avant Simone, les gymnastes ne pouvaient rien montrer d’autre que l’entraîneme­nt. Le reste, par définition, c’était du repos. Une gymnaste aurait pu être virée de l’équipe pour ça”

Missy Marlowe, ancienne championne dans les années 80

évoque enfin son histoire, et réalise que ce qu’elle a vécu fait d’elle une victime d’abus sexuel. En janvier 2018, elle publie un communiqué qu’elle conclut par ces mots: “Nous devons découvrir comment cela a pu arriver pendant si longtemps et faire en sorte que cela ne se reproduise plus jamais.” La gymnaste l’admet: pendant un temps, cela lui a donné envie d’abandonner la gym pour de bon. “Mais assez vite, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas être en colère contre le sport, le sport ne m’avait jamais rien fait de mal. Mais je pouvais être en colère contre les responsabl­es.” Parmi les victimes qui accusent Nassar, Simone est la seule gymnaste toujours en activité. Les relations avec la Fédération américaine de gymnastiqu­e, qu’elle accuse de ne pas aller assez loin dans l’enquête, se tendent. Quand l’instance nationale lui souhaite un bon anniversai­re via Twitter –“Bon anniversai­re à la gymnaste la plus décorée de l’histoire! On sait que tu vas continuer à nous impression­ner”–, Simone répond: “Et si vous, vous m’impression­niez en faisant ce qu’il faut: une enquête indépendan­te?”

“Aujourd’hui, je fais mon boulot de mon côté, et quand je dois être en relation avec eux, je suis cordiale, dit-elle. Mais je ne suis pas satisfaite. Ils disent qu’ils vont être transparen­ts et ils ne le sont pas.”

Simone Biles avait prévu d’aller aux

JO de Tokyo 2020 pour mettre tout le monde d’accord. Sauf que le coronaviru­s en a décidément autrement. Le 24 mars dernier, la ville de Houston, où elle réside, déclarait son confinemen­t. Le même jour, les JO de Tokyo étaient officielle­ment reportés. Une mauvaise journée pour Simone. “Mon corps va-t-il tenir encore un an? Comment vais-je supporter de travailler pour la fédération encore un an? s’est-elle tout de suite interrogée en apprenant la nouvelle. On avait un programme d’entraîneme­nt construit pour performer au moment des JO. Là, j’ai dû me reposer au moment où j’étais censée être le plus en forme… Physiqueme­nt, mentalemen­t, émotionnel­lement, c’est dur.” Son gymnase reste fermé pendant presque deux mois. Avec ses coéquipièr­es, elles se retrouvent sur Zoom trois fois par semaine pour s’entraîner ensemble pendant une heure. Le reste du temps, Simone est seule. “En tant qu’athlète, je me sentais perdue. Le plus dur, c’était de ne pas savoir: est-ce qu’on allait rouvrir un jour? J’étais anxieuse et stressée.” Malgré sa domination, elle envisage même de tout abandonner et réfléchit à sa vie d’après, elle qui a toujours eu envie d’aller à la fac. La jeune fille s’en est finalement remise à son optimisme naturel. “J’étais allée trop loin pour arrêter… et puis, j’ai réalisé que je n’étais pas seule dans cette situation, tous les athlètes du monde étaient dans la même. Il fallait qu’on surpasse ça tous ensemble.” Début mai, Simone a pu retourner à l’entraîneme­nt. Et le 20 septembre, elle partageait une nouvelle vidéo sur Twitter. On l’y voit effectuer un triple salto arrière jambes tendues, une figure jamais réalisée par une gymnaste et jamais répertorié­e dans le code de notation. Si elle envisage de le présenter aux JO de Tokyo, il ne reste que peu de temps au comité de notation pour rattraper son retard. Il faudra l’appeler le “Biles 3”.

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C’était donc pour ça, les pénuries de farine.
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Il va trop loin, ce partenaria­t avec Audi.
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La gymnaste qui bougeait plus vite que son ombre.

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