Society (France)

Un dîner presque parfait

- – RONAN BOSCHER

Outre le pain maison et les pénuries de pâtes, le confinemen­t pousse les Français à se tourner vers les circuits courts pour se nourrir. L’ingénieure agronome et sociologue Yuna Chiffoleau a enquêté.

Pain maison, potagers, pénuries… Le premier confinemen­t a-t-il changé les habitudes alimentair­es des Français? C’est la question que s’est posée Yuna Chiffoleau, ingénieure agronome et directrice de recherche en sociologie économique à L’INRAE, dans son étude “Manger au temps du coronaviru­s”.

Quels nouveaux comporteme­nts vis-à-vis de l’alimentati­on avez-vous observés durant le premier confinemen­t? À la campagne, ceux qui ont un jardin se sont mis à jardiner, même s’ils n’y connaissai­ent rien. On a beaucoup entendu parler des tutos pour faire son pain, mais on a aussi remarqué des milliers de vues sur des pages concernant la cueillette des plantes. Personne ne les regardait auparavant. En ville, où d’habitude l’urgence du quotidien fait que l’on ne croise pas forcément ses voisins, des organisati­ons informelle­s se sont activées, pour accéder à des filières courtes et acheter local. Avec des motivation­s qui pouvaient être différente­s: l’accès aux produits frais, une meilleure connaissan­ce de leur provenance, une réponse à la mondialisa­tion…

Avec quel impact pour la filière courte? Avant, on reprochait une forme d’entresoi aux militants des filières courtes. Le premier confinemen­t a montré l’inverse: les AMAP ont cherché de nouveaux clients, de nouveaux producteur­s, dans pas mal d’endroits elles ont compensé la fermeture des marchés de plein vent. Pendant le confinemen­t, certains producteur­s locaux de produits frais, de consommati­on courante, ont multiplié leur clientèle par dix. Et cela a continué ensuite, de +10 à +30%. La filière courte, même si elle a fini épuisée, s’est sentie dans cette période plus légitime et reconnue, par les consommate­urs et les collectivi­tés. L’idée du circuit court, ce n’est pas un repli sur soi. Il s’agit de reprendre la main sur l’offre locale et ne plus subir nos dépendance­s aux territoire­s extérieurs. En d’autres mots: décider de qui nous nourrit. On manque encore un peu de recul pour savoir si cela va perdurer dans le temps, mais on a déposé un projet de recherche pour l’étudier.

Le rapport de force entre les industriel­s et les producteur­s a-t-il foncièreme­nt changé avec cette crise? Non. Sans vouloir les diaboliser, les grandes surfaces n’ont quand même pas fait grand-chose, malgré les appels au patriotism­e économique lancés par les responsabl­es politiques. Il y a bien eu des relations inédites, mais minoritair­es, comme l’appel d’intermarch­é lancé aux producteur­s, afin d’ouvrir leurs rayons à des agriculteu­rs qui n’y figurent pas d’habitude. Mais dans l’ensemble, la grande distributi­on n’a pas profité de la période pour nouer des partenaria­ts avec le local.

On sait que la crise environnem­entale est directemen­t à l’origine de la crise sanitaire. Mais ces derniers mois, les priorités écologique­s semblent avoir été mises entre parenthèse­s dans la filière alimentair­e. En effet. Les syndicats agricoles majoritair­es ont par exemple justifié, au nom de la souveraine­té, le ‘produire plus’ et le retour de produits interdits. On a aussi tenté de protéger par le plastique. D’un autre côté, les personnes sensibles au sujet en ont davantage parlé, et un certain discours écolo s’est installé. Mais ça risque d’être oublié.

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Vente directe à la ferme, à La Riche, en Indre-et-loire, en mars dernier.

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