La République des milices
Le chercheur Bruno Paes Manso a étudié l’omniprésence des milices et de la violence au Brésil. Scoop: alors que Bolsonaro fête les deux ans de son élection, il n’est pas très optimiste.
Il y a deux ans, Jair Bolsonaro était élu président du Brésil après une campagne axée principalement sur le retour de la force. C’est ce rapport de son pays à la violence que le chercheur Bruno Paes Manso explore dans son nouveau livre, A república das milícias (“La République des milices”, non traduit). Et les nouvelles ne sont pas bonnes.
Votre livre retrace l’histoire des milices, sortes de forces de l’ordre alternatives formées par des policiers et militaires pour, prétendument, ‘mener la guerre aux trafiquants’ et ‘protéger la population’ dans les favelas. Comment se sont-elles installées? Ces ‘justiciers’ ont commencé à surgir dans les grands centres urbains, principalement à Rio et São Paulo, dans les années 60. Ces villes accueillaient de nombreuses personnes venues des zones rurales, les plus pauvres du pays, qui s’installaient dans les favelas et travaillaient dans les industries.
Cet énorme développement urbain a créé chez les habitants une sensation de vulnérabilité et de désordre: les favelas étaient des quartiers improvisés, la culture rurale était très différente de la culture urbaine. Cela a réveillé une peur de la criminalité et les institutions de l’époque ont utilisé la violence comme instrument de rétablissement de l’ordre menacé. Cette croyance en la violence comme solution est chronique au Brésil, elle fait partie de son histoire. Avec le retour de la démocratie dans les années 80, le grand débat était de savoir si les nouvelles institutions allaient être capables de renverser cette tendance, en contrôlant leurs forces de police. Mais cela n’a jamais eu lieu en trois décennies.
De fait, les milices sont de retour au premier plan depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro. Quel a été leur rôle dans son élection en 2018? Pendant la campagne, les relations entre la famille Bolsonaro et les miliciens, décorés à plusieurs reprises, y compris après avoir commis des crimes violents, ont avant tout servi à forger l’image d’un homme politique qui défendait la violence comme une forme de rétablissement d’un ordre et d’une autorité perdus. Cette vision populiste, dans un climat social que Bolsonaro s’évertue à qualifier de ‘guerre’, est le fil conducteur de sa carrière politique. Cela a permis, à lui et à ses fils, de former une base électorale constituée de policiers civils et militaires –des membres des forces armées–, et de leurs familles. En outre, l’élection de 2018 s’est jouée à un moment d’usure de la ‘Nouvelle République’. Après presque 30 ans de démocratisation, le pays sortait d’une période très compliquée: l’immense scandale du Lava Jato (une affaire de corruption ayant éclaboussé de nombreux responsables et partis politiques brésiliens, ndlr) couplé à une forte crise économique avaient conduit à un état de dépression collective des Brésiliens. Une fois les responsables politiques discrédités et jugés coupables de la crise, la solution pour rétablir l’ordre est devenue la police. C’est ce que représentait Bolsonaro.
2018 fut aussi l’année de l’assassinat de Marielle Franco, conseillère municipale à Rio, et de son chauffeur, Anderson Gomes. En quoi ce crime est-il un tournant dans l’histoire du Brésil? Pour tout ce que symbolisait Marielle: elle était noire, issue d’une favela, lesbienne, mère de famille. Elle représentait justement une opposition à la violence et à la guerre, et défendait une intense et radicale croyance en la politique pour résoudre les problèmes de Rio et du Brésil. Elle était charismatique, joyeuse et tenait en plus une position de médiatrice: elle travaillait autant avec des policiers victimes de violence qu’avec des victimes de la police. Elle essayait de rapprocher ces extrêmes. Son assassinat a signifié la mort d’une
espérance pour la modernité, la lutte contre les inégalités, et d’un combat contre les injustices et la guerre.
Parmi ses objectifs, Bolsonaro comptait ‘armer la population’ pour qu’elle se défende elle-même. Est-il en train d’y parvenir?
Il a largement flexibilisé l’achat et l’enregistrement d’armes et de munitions pour les centres de tir et les groupes de chasseurs, qui importent aussi, au passage, des armes lourdes qui finissent sur le marché noir et profitent aux trafiquants, aux milices et à tous les groupes qui participent à cette guerre. Au premier trimestre de cette année, il y a eu une augmentation de l’entrée d’armes au Brésil, c’est un fait. Cela dit, Bolsonaro n’a pas réussi pour autant à susciter une grande quête d’armement dans la population. Les gens vivent la violence au quotidien et sont pleinement conscients des risques qu’engendre le fait d’avoir un revolver à la maison.
La pandémie, qui touche fortement le Brésil, a-t-elle renforcé le pouvoir des milices?
Je n’ai pas constaté d’effet direct, même si pendant le confinement, il y a eu une série d’incursions policières dans les favelas, avec de nombreux morts, au point qu’une action en justice a été nécessaire pour prohiber ces interventions. Cette interdiction a fait diminuer les homicides et les crimes dans les favelas, démontrant que, très souvent, ces opérations policières sont la cause, et non la solution, du problème. Au-delà de ça, il existe un lien évident entre la fragilisation des institutions et le renforcement des milices. Plus les gouverneurs d’état et les parlementaires sont faibles, plus ils sont liés à ces groupes, et plus forts sont ces derniers.
Dans un tel panorama, comment être optimiste pour l’avenir de ce que Stefan Zweig appelait le ‘pays du futur’? C’est difficile d’être optimiste, honnêtement, surtout depuis 2018. Bolsonaro a été plébiscité par plus de 45% des Brésiliens, mais il faut continuer à chercher une porte de sortie, et je pense que cela nécessite une réflexion sur la profondeur de nos conflits et de notre attachement aux solutions violentes, qui ne font que générer encore plus de violence. Notre grand défi est de récupérer une autorité légitime, et cela passe par la rationalisation de notre histoire, par la compréhension de ce que nous avons vécu. Nous devons nous regarder dans le miroir pour avancer.
“Bolsonaro a largement flexibilisé l’achat et l’enregistrement d’armes et de munitions”
“Je m’intéresse à la relation complexe que nous entretenons avec les produits de luxe, et plus spécifiquement la nourriture. Cet appétit insatiable pour toujours plus –plus de sucre, plus d’attention, plus d’amour.” Comme une punition divine teintée de mauvais buvards, le tea time de l’artiste israélienne Ronit Baranga plonge les excès de douceur dans un cauchemar qui pourrait ressembler à la descente imaginaire d’alice au troisième cercle de L’enfer de Dante (celui réservé aux gourmands), un service à thé possédé se substituant ici à l’infernal Cerbère. “Pour ma dernière exposition, j’ai imaginé un set de table transformé en entité animale, au sein duquel chaque élément remplirait son rôle”, explique de manière un peu hermétique la sculptrice, qui envisage la table comme un “microcosme peuplé de tentations irrésistibles”. Face au péché de gloutonnerie, donc, un ballet horrifique de cupcakes, tartelettes et tasses armés de bouches et de doigts, entremêlés dans une orgie menaçante. Si l’artiste semble éluder les questions avec un certain talent pour la langue de bois (elle pointe des idées “complexes” sur la condition humaine), elle reste persuadée que son travail reflète le monde qui nous entoure. “Mon art pousse les gens à réagir, que ce soit avec de l’enthousiasme ou du dégoût, conclut-elle, avant d’ajouter: J’espère que leur réaction leur permettra de réfléchir aux idées et au contenu découlant de ce travail.” En faisant un régime, peut-être?