LE JEAN GÉNIE
“Si je connaissais l’industrie alimentaire comme celle du denim, je ne mangerais plus”, explique l’artiste anglais Ian Berry, dont le rapport ambivalent au jean ne l’empêche pas d’en posséder “environ 2 000 ou 3 000, peut-être plus”. Méticuleusement classés et disposés en gammes de teintes et textures au sein de son atelier, ces kilos de pantalons, récupérés auprès de friperies, amis ou voisins (“Je trouve même des lots déposés sur mon palier, désormais”), constituent en effet l’unique palette de son art. À la croisée de l’arts & Crafts et de l’ultraréalisme, les patchworks de Berry déploient une série de motifs qui semblent émergés des rêveries nostalgiques d’un slacker récalcitrant: pochettes d’albums punk des années 70, piscines californiennes à la Hockney ou encore installations en volume des havres adolescents que pouvaient constituer, dans une autre vie, un magasin de disques, un kiosque à journaux ou même une laverie automatique. Autant dire que les visions de Ian Berry semblent aujourd’hui autant en perdition que leur matériau de représentation, désormais supplanté par les ventes de pantalons de survêtement et autres leggings. “Je crois que les jeans seront toujours là, même si je souhaiterais que les jeunes les achètent plutôt en friperie ou au Secours populaire que chez des enseignes sans la moindre éthique de fabrication, conclut le rebelle londonien, en guerre avec l’époque. Ça doit être l’âge, mais je ne supporte ni la musique actuelle ni cette société qui verse dans le capitalisme humain et fait des idiots du village la nouvelle royauté.” C’est dit.