Society (France)

Le retour de l’amasunzu

L’amasunzu, coiffure traditionn­elle rwandaise, fait son retour dans les cercles branchés de Kigali. Voici pourquoi.

- – LAURE BROULARD, À KIGALI / PHOTO: SIMON WOHLFAHRT POUR SOCIETY

C’est l’histoire d’une coiffure traditionn­elle qui revient à la mode au Rwanda. Et c’est bien plus qu’une histoire de tendance.

Jour de saison des pluies à Kigali. Écrasée sous le ciel blanc, une piste de latérite rouge mène au petit studio sombre de Bill Ruzima. Indifféren­t au son des klaxons des motostaxis qui arpentent ce quartier populaire de la capitale rwandaise, le chanteur et guitariste de 22 ans se laisse bercer par le doux ronronneme­nt de la tondeuse de son coiffeur. Gestes précis, mouvements amples: en une vingtaine de minutes, les lames ont sculpté deux crêtes arrondies, séparées par un sillon de crâne rasé. L’amasunzu, une coiffure ancestrale du Rwanda. “C’est une coupe dont j’ai toujours rêvé, je trouve cela si beau!” s’émerveille le jeune musicien. Il se remémore ses visites, enfant, au palais de l’ancienne capitale royale à Nyanza, dans le Sud-ouest du pays. Sur des clichés jaunis, il y a vu et revu les Amasunzu imposants de certains “Bami”, les souverains qui régnèrent sur le pays des mille collines pendant des siècles avant de voir leur pouvoir confisqué par les colons, puis définitive­ment aboli lors de la proclamati­on de la République en 1961. Porté haut et pointu, petit et conique ou assorti à une barbichett­e, mais toujours radicaleme­nt futuriste, l’amasunzu reste entouré de mystère, son histoire presque mythique. Certains trouvent son origine sur le front des pharaons égyptiens, d’autres dans les croissants de lune, d’autres encore assurent qu’il imite les courbes des collines rwandaises. Signe de puissance, de bravoure, de droiture ou de virginité, la coiffure aurait été bannie par les missionnai­res chrétiens, car considérée comme “diabolique”, puis peu à peu abandonnée, après la colonisati­on allemande et le protectora­t belge, au profit de styles européens. Résultat: l’amasunzu a pratiqueme­nt disparu. Mais comme Bill, une poignée de jeunes artistes rwandais sont bien décidés à le remettre au goût du jour. “C’est notre coiffure, notre culture, argumente le musicien. Et les gens recommence­nt à comprendre que ce n’est pas un style révolu, mais qu’on peut le porter comme une crête punk ou des dreadlocks.”

Rwanda actuel, Rwanda ancien

Parmi les nouveaux adeptes, une femme, sûrement la seule: Dida Nibagwire. Comme Bill Ruzima, c’est sur une vieille photograph­ie que cette productric­e et directrice de casting aperçoit un Amasunzu pour la première fois. Elle a 10 ans. “C’était une photo de mon oncle maternel avec son bâton et son habit blanc traditionn­el. Il était très grand, très beau.” Vingt ans plus tard, en plein confinemen­t, au détour de recherches sur le Web, elle exhume une autre image: la photo de classe, datée de 1957, d’une école de jeunes filles sur laquelle 20 élèves en robe blanche arborent un Amasunzu au-dessus de leurs sourire figé. Dida découvre aussi que cette école est celle où elle a étudié et décide alors d’adopter la coupe. “La première fois que j’ai rendu visite à ma tante avec cette coiffure, elle était très émue. Elle m’a dit que je ressemblai­s à ma mère avant son mariage”, explique celle qui voit, dans les deux petites crêtes serpentant sur son crâne, les traits d’union imaginaire­s entre les époques. Un pouvoir d’évocation qui, en ravivant la mémoire de ses aînés, lui a en tout cas permis d’en savoir un peu plus sur la vie de ses deux parents, tués au cours du génocide des Tutsi du Rwanda de 1994. Des massacres qui ont coûté la vie à 800 000 personnes en seulement 100 jours, et qui ont laissé le pays exsangue et traumatisé.

Depuis, les catégories Hutu et Tutsi ont été bannies–officielle­ment, du moins.

Le pays est aujourd’hui considéré comme un havre de sécurité et de stabilité, où les routes n’ont pas de nid-de-poule, où les détritus plastiques n’existent plus et dont le slogan touristiqu­e (“Visit Rwanda”) apparaît depuis un an sur les panneaux publicitai­res du Parc des Princes et sur les maillots d’entraîneme­nt de l’équipe du PSG. “Mon Rwanda a seulement 26 ans, il y a une cassure dans la société par rapport aux génération­s précédente­s, lâche Dida, qui revendique un Amasunzu modernisé, libéré de ses codes historique­s et afrofémini­ste. “J’essaye d’enjamber les brèches pour aller trouver dans le passé des éléments constituti­fs de mon identité. Il s’agit de s’aimer soi-même, de se retrouver, de se recréer. Sur le plan politique, le Rwanda actuel puise beaucoup dans le Rwanda ancien. Pourquoi ne pas aussi s’en inspirer pour notre style?”

Un clin d’oeil aux home-grown solutions, ces “solutions politiques maison” qui sont la marque de fabrique de la politique du président rwandais, Paul Kagame, un chef d’état aussi choyé par les bailleurs de fonds qu’il est critiqué par les défenseurs des droits humains. Élu en 2000, six ans après que ses troupes ont mis fin au génocide, “PK” a emprunté de nombreux concepts à la période précolonia­le: l’umuganda, ces travaux communauta­ires mensuels et obligatoir­es, ou encore l’umushyikir­ano, le grand dialogue national annuel où tous les membres de l’administra­tion doivent rendre des comptes en direct devant la population, sous le regard sévère du “Boss”.

S’ils ne sont aujourd’hui qu’une poignée, les nouveaux adeptes de la houppe rwandaise sont persuadés qu’elle repoussera bientôt sur toutes les têtes, et même au-delà des frontières du Rwanda. Ils ont un exemple sur lequel s’appuyer: lors de la cérémonie des Oscars 2018, l’actrice mexicano-kényane Lupita Nyong’o, célèbre notamment pour son rôle dans le blockbuste­r Black Panther, avait arboré des crêtes inspirées de cette coiffure traditionn­elle. Faisant l’admiration de tous.

 ??  ?? “Sur le plan politique, le Rwanda actuel puise beaucoup dans le Rwanda ancien. Pourquoi ne pas aussi s’en inspirer pour notre style?” (Dida, adepte de l’amasunzu).
“Sur le plan politique, le Rwanda actuel puise beaucoup dans le Rwanda ancien. Pourquoi ne pas aussi s’en inspirer pour notre style?” (Dida, adepte de l’amasunzu).
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France