Society (France)

C’est mort, à Venise

- – LUCAS DUVERNET-COPPOLA

À quoi peut bien ressembler l’un des plus prestigieu­x carnavals du monde en pleine pandémie? La photograph­e italienne Lucia Buricelli est allée voir.

C’est, avec celui de Rio, le plus célèbre du monde. Mais en temps de pandémie? La photograph­e Lucia Buricelli a décidé de capter l’édition forcément historique du carnaval de Venise 2021, qui s’est élancé le 30 janvier et se terminera le 16 février. Dans une drôle d’ambiance.

La fête sera télévisée. En temps normal, le carnaval de Venise attire des centaines de milliers de touristes. Il est, avec la Biennale et le festival de cinéma, la principale attraction de la “Sérénissim­e” et l’une de ses grandes mannes financière­s. Cette année, il ne se passera qu’en ligne. “Cette annulation est une catastroph­e, explique d’emblée Alberta Lombardi, dite “Beba”, une artisane spécialisé­e dans la confection de masques traditionn­els depuis 1984. Nous vivons du tourisme, et sans ça ni le carnaval, nous sommes à genoux.” Cela fait presque mille ans que Venise se déguise dix jours avant le mercredi des Cendres, jusqu’au Mardi gras. Créé, comme tout carnaval, pour que pauvres et riches soient, au moins en apparence, sur un pied d’égalité pendant quelques jours, le carnaval a enflé d’année en année à partir de sa renaissanc­e, en 1979. L’an passé, l’édition battait son plein lorsque l’épidémie a commencé à pointer le bout de son nez. Après différente­s passes d’armes entre la ville, la région et le gouverneme­nt central, le dernier jour de fête avait été annulé. “Une énorme inondation en novembre 2019 nous avait déjà détruits, raconte Beba. Et le carnaval 2020 nous avait permis de reprendre quelques couleurs avant que les différents confinemen­ts ne nous tombent dessus et nous fassent littéralem­ent tout perdre.”

Quand le monde s’est enfermé chez lui, les Vénitiens ont pourtant d’abord été enchantés. “Nous étions heureux de pouvoir nous réappropri­er la ville et d’en redécouvri­r la beauté, précise Lucia Buricelli, photograph­e née dans la cité des Doges. Les choses étaient allées trop loin ces dernières années, le carnaval était devenu de pire en pire: trop de monde, trop de concerts, nous ne pouvions plus circuler ni prendre un café.” Mais plus la pandémie a duré, et plus ce sentiment de soulagemen­t s’est étiolé, laissant place à la frustratio­n et la peur. “De nombreux magasins n’ont pas survécu à la crise”, explique Beba. Si elle ne veut pas que les choses redevienne­nt comme avant, Alberta Lombardi “ne peu[t] pas non plus vivre sans touristes”.

Elle rêve de quelque chose entre les deux. Que la sortie de la pandémie s’accompagne d’un véritable soutien aux “vrais artisans”, ceux qui construise­nt des déguisemen­ts dans le respect des traditions et refusent de vendre pour quelques euros des masques de pacotille fabriqués en Chine. “Je voudrais un tourisme culturel, que les gens aillent voir nos musées, qu’ils respectent notre ville.”

En attendant de voir comment cette équation d’apparence insolvable se résoudra, Lucia Buricelli a voulu malgré tout capter l’ambiance et l’atmosphère de la non-fête à venir dans une ville quasi fantôme. “Les commerçant­s sont déguisés, les enfants aussi, mais il manque quelque chose”, dit-elle. Sur le Campo Santa Margherita, qui abrite une ancienne église datant de 853, elle a vu la place déserte mais couverte de confettis: “C’était joyeux et triste en même temps. Il y avait l’esprit de quelque chose qui ne viendra pas.”

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