Céline Bardet
La fondatrice de L’ONG We Are Not Weapons of War veut faciliter la dénonciation en ligne des viols de guerre. Et ainsi révolutionner la justice internationale.
Juriste et fondatrice de L’ONG We Are Not Weapons of War, Céline Bardet lancera en mars prochain un outil numérique, Back Up, qui pourrait révolutionner la justice internationale en permettant aux victimes des viols de guerre de se signaler plus facilement.
Comment est née l’idée de Back Up? En 2012‑13, j’étais en Libye et je voyais des victimes de viol de guerre que l’on ne pouvait pas identifier, qui étaient ‘invisibilisées’. Elles n’en parlaient pas si on ne leur posait pas la question. Et une fois qu’elles avaient parlé, on leur demandait de suivre tout un parcours, d’aller voir la police, des médecins, de répéter encore et encore la même histoire. C’est totalement inadapté, dangereux, et d’une certaine manière irresponsable car on traumatise de nouveau la victime et on ‘pollue’ son témoignage. Chacun adapte son récit en fonction de ce qu’on lui demande et un même témoignage peut avoir plusieurs versions, ce qui pose un vrai problème juridique. J’ai donc voulu créer un outil qui permette aux personnes de se signaler en toute sécurité. Back Up ne se télécharge pas, c’est un site web mobile qui peut être utilisé sur une tablette, un téléphone ou un ordinateur. Les personnes répondent à un questionnaire, elles peuvent se filmer, envoyer des photos, scanner des documents, et l’envoi est immédiat. Une fois les informations transmises, tout s’efface et il n’y a aucune traçabilité.
Une fois signalées, que se passe-t-il pour ces victimes mais aussi pour vous, qui êtes de l’autre côté de l’écran? Nous, nous sommes une sorte de coffre‑fort. Nous gardons tous ces documents sur un cloud sécurisé et basé au Luxembourg pour qu’aucun gouvernement ne puisse y accéder.
Ensuite, nous collaborons avec la Cour pénale internationale (CPI) et différentes institutions judiciaires ou de police comme, en France, l’office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre. Ces institutions nous demandent des informations sur un lieu, une prison, un camp, etc. Nous allons aussi mettre en place des accords de collaboration avec elles, pour qu’elles puissent accéder directement à notre outil. On peut imaginer des enquêteurs de la CPI travaillant sur le Burundi et qui voient que nous avons trois signalements à tel endroit. Ils nous sollicitent donc pour aller rencontrer ces victimes. C’est alors à nous de leur demander leur accord et de les accompagner. Rien ne se passe sans le consentement des victimes.
C’est un outil destiné essentiellement à être utilisé dans les zones de guerre?
Pas uniquement: nous lançons Back Up au niveau mondial, dans toutes les langues, locales comme vernaculaires, pour maximiser l’accès. De par sa facilité de fonctionnement, il pourrait être utilisé dans plein de pays, y compris la France. L’unité de police de Guinée‑conakry nous a aussi demandé de créer un Back Up spécial pour leur unité dédiée aux violences sexuelles. Elle a compris que ça pouvait l’aider à mettre en place un système d’identification des victimes et de mieux les prendre en considération.
On parle plus que jamais du viol de guerre. Cela veut-il pour autant dire qu’il y en a plus qu’avant? On en parle beaucoup, mais souvent mal. On confond le viol comme arme de guerre, qui est une stratégie pensée, avec les violences sexuelles dans les conflits. De la même façon, les chiffres évoqués sortent souvent de nulle part. C’est pourquoi j’ai le projet de conduire une étude sur le sujet. Combien de victimes de viol dans les conflits? Quel modus operandi? Pourquoi ça arrive? Comment? Et surtout, qui viole? On n’entend jamais le nom des responsables. La réalité, c’est que quand on parle aux victimes, elles le savent, elles sont capables d’identifier les unités militaires.