Catherine Hill
Vous avez l’impression que la France s’y prend mal face à la pandémie? Que l’on ne s’en sortira jamais si l’on continue comme ça? Eh bien vous avez raison, selon l’épidémiologiste Catherine Hill.
Alors que la France semble engluée dans une crise sanitaire sans fin, de plus en plus de voix invitent à regarder vers les pays qui ont, eux, réussi à contrôler la pandémie. Parmi elles, celle de l’épidémiologiste Catherine Hill, reconnue pour ses travaux sur le cancer et sur le Mediator, porte plus que les autres. Et elle l’assure: oui, en changeant de stratégie, on pourrait renouer avec la vie d’avant.
Depuis le début de la pandémie, vous en décryptez les courbes et les chiffres sur les plateaux télé et à la radio. Ça en est où, alors? Je ne peux pas faire de prévisions. La tendance est plutôt à la baisse, mais on ne comprend pas vraiment ce qui se passe. La bonne nouvelle, c’est qu’on a beaucoup vacciné dans les Ehpad, ça devrait faire baisser la mortalité d’ici quelques semaines. Il était temps! Depuis des mois, le gouvernement français prétend vouloir ‘protéger les plus fragiles’, mais il n’y est jamais arrivé, alors que les résidents des Ehpad étaient les personnes fragiles les plus faciles à identifier. Si on compte les résidents morts dans les Ehpad et les résidents des Ehpad morts à l’hôpital, cela représente 44% des personnes décédées du Covid…
Vous vous êtes fait connaître par vos prises de position souvent critiques à l’égard de la gestion de la pandémie par le gouvernement. Mais à l’origine, vous êtes spécialiste d’un tout autre sujet: les causes du cancer. Comment vous êtes-vous retrouvée à parler du Covid-19? Je suis à la retraite, et le Covid est quand même la pandémie du siècle, donc quand cela a commencé, je me suis mise à lire des dizaines et des dizaines de papiers scientifiques. Il se trouve que beaucoup de journalistes me connaissaient en raison de mes travaux sur le cancer ou sur le Mediator
(en 2009, elle a contribué à révéler l’affaire du même nom et à faire interdire le médicament, ndlr). Au printemps dernier, ils m’ont donc invitée à m’exprimer sur différents sujets: les masques, dont le gouvernement disait alors qu’ils n’étaient ‘pas utiles, voire dangereux’, et surtout, les tests de dépistage.
Les tests, c’est votre grand sujet: vous estimez, en gros, qu’en France, on ne teste pas assez les gens. Expliquez-nous. C’est très simple: tous les pays qui ont testé massivement la population par RT-PCR au début de l’épidémie ont observé très peu de décès: Hong Kong, Taïwan, la Corée du Sud, l’australie et la Nouvelle-zélande. Au contraire, tous ceux qui ont réservé ces tests aux personnes symptomatiques, ou du moins à celles les plus probablement atteintes, ont eu beaucoup de morts.
C’est le cas de la France, bien sûr, mais aussi de la Belgique, du Royaume-uni, de l’italie ou de l’espagne. Pourquoi? Parce que les études montrent qu’il y a plus de 50% de porteurs asymptomatiques du virus. Si vous ne les testez pas, vous laissez le virus circuler. Au contraire, si vous testez tout le monde, asymptomatiques compris, et que vous isolez tous les positifs, vous cassez les chaînes de contamination beaucoup plus vite. On sait en outre que le risque de transmission est maximum quatre jours avant l’apparition des symptômes, et six jours après. Or en France, on attend que les gens soient symptomatiques –ce qui arrive autour du cinquième jour–, on les teste en moyenne deux jours après, et ils ont souvent les résultats le lendemain. Donc quand on leur annonce qu’ils sont contagieux, ça fait huit jours qu’ils sont infectés. C’est beaucoup trop tard, la plupart des gens sont contagieux dix à douze jours! Après, on se met à chercher leurs contacts, mais seulement jusqu’à 48 heures avant les symptômes, alors qu’ils ont pu contaminer d’autres personnes jusqu’à quatre jours avant les symptômes. Autrement dit, le système pédale complètement dans le vide. Tout ce qu’on fait en France n’est pas en phase avec la dynamique de l’épidémie. Il faudrait aller beaucoup plus vite.
Cette politique est basée sur le fait que les tests sont moins efficaces sur les asymptomatiques, non? Peut-être qu’ils sont un peu moins efficaces, en effet, mais ça n’a aucune importance. Tester massivement tout le monde permettrait de détecter de nombreux cas non repérés et donc de les isoler. Il suffirait de tester à nouveau quelques jours plus tard pour limiter le risque de faux négatifs. Là, on reparle de confinement, mais tout ça ne sert à rien. Si vous avez des fruits pourris et que vous les mettez au congélateur, ils arrêteront de pourrir, certes, mais dès que vous les sortirez, ils pourriront à nouveau. Là, c’est pareil. On ferme, l’épidémie freine ; on ouvre, elle repart. La solution, ce serait de reconfiner temporairement, pour vacciner, bien sûr, dans la mesure du possible, mais surtout pour tester tout le monde, massivement et simultanément! Confiner pour confiner, ça ne sert à rien.
Le gouvernement a annoncé des tests massifs dans les écoles, il y en a eu dans plusieurs grandes villes de France aussi. On est sur la bonne voie? Pas encore! Prenez Le Havre: on y a testé moins de 20% de la population. Et dans les écoles, on va tester 200 000 élèves par semaine. C’est bien, mais c’est comme si vous aviez des souris chez vous et que vous envoyiez le dératiseur dans votre immeuble à un étage sur cinq. Ça ne servirait à rien. Elles continueraient à circuler. En Chine, au mois de juin, ils ont eu une résurgence de cas autour d’un marché aux poissons. On a dit: ‘L’épidémie repart en Chine, en fait ils ne maîtrisent rien!’ Mais les autorités ont confiné largement la population autour du marché et organisé un dépistage massif de cette population: 2,3 millions de tests en dix jours. Elles ont identifié 225 cas positifs, c’est-à-dire un cas positif pour
“On a fait croire aux citoyens que l’évolution de l’épidémie était entre leurs mains. Mais ce n’est pas vrai, l’évolution de l’épidémie dépend du choix et de l’action des autorités”
10 000 tests. Alors que nous, en France, on avait Olivier Véran qui disait, en mai-juin: ‘C’est génial, on a 1% de positifs parmi les gens testés.’ En réalité, le gouvernement n’a jamais compris que les cas qu’on trouve ne représentent qu’une infime partie des cas réels, puisqu’on part des symptomatiques. Résultat: en Chine, il y a des cas isolés tout le temps parce que les gens voyagent, mais ils savent gérer le problème. Ils ont presque zéro mort, et tout est ouvert. Les gens peuvent vivre plus ou moins normalement. Nous, on a maintenant des cas partout, donc il faut confiner et tester massivement, partout et en même temps. On n’a pas le choix.
Mais en France, les gens sont à bout. Le coût économique, social et psychologique des restrictions est déjà énorme, c’est bien pour ça qu’à ce jour, Emmanuel Macron a opté pour un statu quo plutôt qu’un reconfinement… Peut-être, mais si un reconfinement était coordonné à une politique massive de dépistage, avec une vraie perspective de sortie de crise, je pense que les gens le comprendraient très bien. Il faut expliquer comment ça marche. On a accepté des trucs impossibles jusqu’ici! J’ai accepté de sortir en bas de chez moi avec un papier que je m’étais fait moi-même en disant que je m’autorisais à aller à la boucherie. C’était grotesque. Et les commerçants acceptent de fermer leur boutique, certains de tomber dans la misère! On a fait croire aux citoyens que l’évolution de l’épidémie était entre leurs mains, on leur en fait porter la responsabilité. Mais ce n’est pas vrai, l’évolution de l’épidémie dépend du choix et de l’action des autorités. Il suffit de regarder comment ont fait les pays qui l’ont maîtrisée.
En Chine, la politique de gestion de l’épidémie ne repose-t-elle pas aussi sur un contrôle social des individus –via les applis, la fameuse ‘note sociale’…– peu compatible avec le système politique français? Oui, c’est vrai en Chine, mais la Corée du Sud, l’australie et la Nouvelle-zélande sont des pays démocratiques.
L’australie et la Nouvelle-zélande sont des pays très isolés du reste du monde. Est-ce que tout ça pourrait fonctionner en France, un pays de passage et connecté à l’union européenne? Effectivement, c’est plus compliqué en Europe continentale. Cela dit, ni l’irlande ni la Grande-bretagne n’ont fait mieux que la partie continentale de l’europe. Et je ne dis pas que ce serait facile, mais je pense que ça vaudrait la peine d’essayer.
Une stratégie de dépistage massif est-elle vraiment envisageable chez nous? Avec un certain nombre d’experts, nous avons monté un groupe informel baptisé France Test. En font partie le généticien Philippe Froguel ; le biophysicien Jean-françois Ruprecht, chercheur au CNRS à Marseille ; deux chercheuses de la Pitié-salpêtrière ; deux académiciens des sciences ; et des biologistes moléculaires du Commissariat à l’énergie atomique. Ensemble, nous avons mis au point un projet de dépistage de masse basé sur deux principes: les prélèvements salivaires et les tests groupés. L’idée est simple: on dépose sur les paillassons de la population entière des tubes pour que les gens crachent dedans, on les récupère, pas besoin de les faire venir dans les labos d’analyse. Une fois qu’on a fait les prélèvements, on les groupe, pour aller plus vite. Par exemple, on peut mettre les prélèvements des membres d’une même famille dans le même tube et l’analyser. S’il y a du virus, on peut leur demander de rester confinés dix jours. Puis, on reteste. Nous avons rédigé un projet, envoyé au cabinet d’emmanuel Macron. Il a trouvé ça intéressant, il nous a renvoyés vers Olivier Véran, qui nous a fixé un rendez-vous sur Zoom. C’était début décembre. Véran nous a dit: ‘Les prélèvements salivaires, la Haute autorité de santé (HAS, ndlr) ne les autorise pas.’
Pourquoi? C’est un peu technique. Disons que la HAS avait fait une erreur d’interprétation dans son analyse, alors que nous avons démontré de notre côté grâce à une méta-analyse de 49 études sur la question que les tests RT-PCR sur prélèvement salivaire sont quasiment aussi fiables que les tests RT-PCR sur prélèvement nasopharyngé, et même plus fiables que les tests antigéniques que l’on trouve désormais partout. J’ai donc publié un article à ce sujet dans La Revue du praticien mi-décembre, en pointant l’erreur de la HAS. Ses responsables étaient furieux! Mais depuis, plusieurs autres études à l’étranger sont venues confirmer nos données. Et la HAS a fini par rendre un avis le 23 janvier, dans lequel elle a revu sa position. Résultat, elle a autorisé les tests salivaires dans les écoles. On a perdu deux mois.
Au départ, le retard qu’on a pris sur les tests est dû au fait qu’on n’en avait tout simplement pas assez… Oui, mais on n’a pas utilisé les laboratoires universitaires ni les vétérinaires, par exemple, qui connaissent très bien les tests groupés. Les vétérinaires surveillent tout le temps les infections dans les élevages. Vous savez comment ils font pour faire des tests groupés dans les élevages de porcs? Les porcs aiment mâchouiller de la corde, les vétérinaires mettent une corde dans la porcherie, il suffit de la récupérer, d’en extraire la salive et de regarder s’il y a du virus dedans. Quant aux eaux usées, c’est la version ultime du test groupé. Les pompiers de Marseille ont très intelligemment prélevé les eaux usées à la sortie des Ehpad ; c’est comme ça qu’ils ont trouvé du virus dans un établissement où on pensait qu’il n’y en avait pas. Ils ont retesté après avoir détecté des traces de virus dans les eaux usées, et ils ont trouvé le soignant qui était positif et qui crachait du virus autour de lui. Il y aurait mille façons d’imaginer des tests groupés. Mais ce n’est pas gagné.
C’est-à-dire? Comment voulez-vous qu’on ait une réponse efficace avec un tel système? La HAS, le HCSP (Haut Conseil de la santé publique, ndlr), le Conseil scientifique créé par Macron… ce n’est même pas la peine d’essayer de se repérer dans ces usines à gaz. Par exemple, il y a trois structures pour autoriser un médicament en France: L’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ndlr), la HAS et le CEPS (Comité économique des produits de santé, ndlr). C’est effrayant! La vérité, c’est que les politiques sont terrorisés. Donc ils cherchent à s’abriter derrière ces structures.