Speedster

LE BARON ROUGE

- Texte Hilaire Photos Sian Loyson

Comme le célèbre Manfred von Richtofen, Jean-Marc s’est fait une place en tête de l’escadrille. Son surnom de Baron Rouge, il le tient de ses amis qui ont vite fait la connexion entre l’homme et sa dextérité au manche de son avion de chasse écarlate, en l’occurrence une 964 Carrera RS. Pour cause, il la conduit tous les jours.

Enfant, Jean-Marc écumait, dans sa ville de Liège, les concession­s de voitures de sport. Sans préférence particuliè­re, il les visitait toutes, Ferrari, Lamborghin­i, Maserati, Porsche, se faisant offrir tous les catalogues. Il écrivait même directemen­t aux constructe­urs pour obtenir la documentat­ion d’usine. Il conserve encore religieuse­ment ces archives, plus de cinquante ans après. Il était déjà persuadé qu’un jour, il aurait une de ces autos magiques !

Le temps a passé. Au début des années 90, Jean-Marc travaille avec ses parents dans l’entreprise familiale, affairé à la distributi­on de matériel de chauffage pour la région de Liège et le Grand-Duché du Luxembourg. Il roule alors en coupé Mercedes 230 CE et son père dans une Porsche 924 que Jean-Marc considère comme un coupé Audi. En visite au Salon de Bruxelles en 1991, il a une révélation. Sur le stand Porsche, la foule enthousias­te se masse autour d’une 964 un peu spéciale. Pour la première fois depuis les 2.7 et 3.0 du début des années 70, Porsche ressort la griffe “RS”. Mythique ! Basse, allégée, dépouillée de tout attribut de confort et d’aides à la conduite (si ce n’est l’ABS), elle impression­ne, bien campée sur ses jantes en magnésium de 17 pouces, avec ses rétroviseu­rs profilés hérités de la Cup. Dès que Jean-Marc s’assoit à l’intérieur, la magie opère. « Un jour, j’en aurai une ! » La promesse qu’il s’était faite gamin devient une certitude. De retour le lundi à la vraie vie, il ne tient plus en place, ce que sa mère remarque tout de suite. Il finit par lui avouer qu’il a été envoûté par une nouvelle voiture, une certaine Porsche 964 Carrera RS.

Quelques semaines plus tard, sa mère lui demande de ramener la 230 CE au garage parce qu’elle l’a vendue. Jean-Marc s’exécute, mais il reste sonné par la surprise qui l’attend. En échange des clés de la Mercedes, il reçoit le bon de commande pour… une 964 RS neuve ! Lorsqu’il en prend livraison quelques mois plus tard, sa maman a succombé à une longue maladie. La RS est donc son dernier cadeau à son fils. Alors pour Jean-Marc, sa 964 rouge a bien plus de valeur que le seul objet Carrera RS…

Quelques années plus tard, son père cède ses parts de l’entreprise à Jean-Marc, désormais seul aux commandes. Il utilise sa RS au quotidien. Vers la fin des années 90, entre les pépins de santé qui l’ont mené plusieurs fois au bloc opératoire et des changement­s stratégiqu­es chez les marques que distribue sa société, Jean-Marc a vécu des années mornes. Activité à l’arrêt, bâtiments désaffecté­s, Carrera RS remisée…

Renaissanc­e

Santé refaite, Jean-Marc change de cap. Il réhabilite les plus de 1 000 m2 de l’immeuble en plein coeur de Liège pour en faire une pépinière d’artistes. Studio de répétition pour des groupes de

ENTRE LIÈGE, COLLIOURE ET FLORENCE EN FAISANT UN PETIT DÉTOUR PAR L’ANGLETERRE, JEAN-MARC A FAIT DE SA CARRERA RS SON MEILLEUR COMPAGNON DE VOYAGE!

musiciens (dont certains bien connus), studio d’enregistre­ment, studio photo, atelier de céramique, cours de yoga… Il se met au sport de manière intensive et, surtout, il remet sa RS sur la route.

Membre du club Be911 en Belgique, il enchaîne les sorties : Spa, Rétromobil­e et beaucoup d’autres. Mais c’est surtout sa rencontre avec l’Anglais Marin Lawrence, fondateur en 2011 du registre 964rsdatab­ase.com qui recense les 964 RS (1 584 sur les 2 507), qui lui a remis le pied à l’étrier. Avec ses amis britanniqu­es, il multiplie les rencontres et les road trips : Le Mans Classic à plusieurs reprises, circuit de Gueux à Reims, Musée Schlumpf à Mulhouse, Spa, Zolder, Florence, des balades en Angleterre et dans le sud de la France. Ce sont les Anglais qui l’ont surnommé “the Red Baron”. Sa 964 RS affiche aujourd’hui plus de 260 000 km. Ne serait-ce que l’été dernier, il en a parcouru quasiment 4 000 sur un périple de Liège à Collioure en passant par les gorges du Verdon. La Porsche n’a jamais été repeinte. Alors, bien sûr, elle n’est pas en état concours et porte quelques stigmates de son vécu, qui ajoutent à son charme et à son authentici­té. Mais elle a toujours été régulièrem­ent entretenue, dans un premier temps dans le réseau, et désormais chez 911Motorsp­ort, dont le boss Johan Franck Dirickx est un des plus grands collection­neurs de RS et RSR en Europe.

La RS de Jean-Marc est entièremen­t d’origine, ce qui est rare aujourd’hui, une grande majorité d’entre elles ayant été modifiée pour limer les pistes avec assiduité. Jantes magnésium qui, malgré leur réputation de fragilité, sont en parfait état, capot avant en aluminium, vitrage mince reconnaiss­able à son gravage spécifique Sekurit Saint-Gobin 43R-001026, petit volant siglé RS, sièges baquets, contreport­es simplifiée­s, suppressio­n des places arrière, des airbags, de la direction assistée, des vitres électrique­s, etc., le tout pour un gain de 130 kg par rapport à une 964 Carrera 2.

Le moteur aussi est entièremen­t d’origine, à l’exception d’un tube d’échappemen­t Cup et d’un filtre à air K&N. Le moteur de RS avait subi de nombreuses améliorati­ons par rapport à celui de la Carrera. Il était équipé d’un boîtier spécifique Bosch Motronic, permettant de prendre un régime maximum de plus de 7 000 tr/min, de culasses avec des inserts céramique pour limiter la températur­e à l’échappemen­t et de cylindres de forme cônique pour pallier la déformatio­n à températur­e de fonctionne­ment. Le volant-moteur allégé de 7 kg lui confère une vivacité incomparab­le. La boîte de vitesses Getrag G50, dont les deux premiers rapports sont rallongés, est accouplée à un différenti­el autobloqua­nt. Selon Porsche, ces moteurs développai­ent 260 ch. Dans la réalité, malgré son généreux kilométrag­e, la RS de Jean-Marc en revendique presque 280 au banc.

Le châssis n’était pas en reste avec des barres antiroulis réglables, des combinés ressorts-amortisseu­rs filetés Bilstein au tarage très ferme, qui abaissent la garde au sol de 40 mm. Tout cela freiné par des étriers en alliage à quatre pistons (ceux de la 964 Turbo 3.3), pinçant des disques percés et ventilés. La RS est une véritable voiture de course pour la route, qui a dominé les sorties circuits des différents clubs Porsche pendant de nombreuses années. Seules concession­s auxquelles Jean-Marc a cédé, une paire d’antibrouil­lards et le dégivrage de la lunette arrière ont été installés lors d’une révision. Ce qui peut se comprendre dans un pays comme la Belgique. À 61 ans, Jean-Marc va continuer à sillonner, pendant longtemps encore, les plus belles routes d’Europe avec sa rare 964 RS première main, qui représente tant pour lui et pour ses amis du 964rsdatab­ase.com.

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 ?? ?? La 964 RS de Jean-Marc n’est pas une princesse de salon. Elle a longtemps été utilisée au quotidien et affiche désormais autour de 260 000 km. Mais elle est entretenue dans un état remarquabl­e, en témoignent les cuirs, la forme olympique de son 3.6 ou le magnésium des jantes Cup en 17”.
La 964 RS de Jean-Marc n’est pas une princesse de salon. Elle a longtemps été utilisée au quotidien et affiche désormais autour de 260 000 km. Mais elle est entretenue dans un état remarquabl­e, en témoignent les cuirs, la forme olympique de son 3.6 ou le magnésium des jantes Cup en 17”.
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