UN COUP DE TURBO DANS LE RÉTRO
Si, d’année en année, Rétromobile semble dépasser les sommets en termes de prestige et d’excellence, il semble que les goûts du public et des exposants prennent des saveurs un peu plus latines désormais. Effectivement, les Ferrari avaient une cote indéniable cette année, et c’est indiscutablement aux Allemandes de Zuffenhausen qu’elles ont grignoté du terrain. Pour autant, les Porsche qui ont fait acte de présence faisaient honneur à la marque !
Lorsque, fin janvier, on a déjà un automne détrempé et la moitié d’un hiver derrière nous, on n’aspire qu’à une chose, avant même le retour des beaux jours : que reprennent la saison automobile, les sorties en club, les rencontres dominicales, tous ces rendez-vous, majeurs ou plus modestes, qui attisent la passion pour la mécanique et les belles carrosseries. Et traditionnellement, l’ouverture de Rétromobile claque comme le coup de feu du starter d’un marathon. Au parc expo de la Porte de Versailles, chaque année, le gratin de l’automobile de collection fait son show, et il faut reconnaître que depuis quelques éditions, chaque acteur peaufine son numéro au point que celle-ci a atteint le summum du glamour et de l’exclusivité. Une référence sans aucun équivalent dans le registre des salons d’automobiles anciennes. Même si la qualité des autos n’est pas aussi “maîtrisée” que dans un concours d’élégance, les exposants portent une attention toujours plus soignée à ce qu’ils montrent.
Cette année encore plus que les précédentes, on en prend plein les yeux, même s’il faut reconnaître que tous les exposants n’ont pas le même talent pour la mise en scène, la palme revenant incontestablement aux Britanniques, mais le panel des autos exposées à Rétromobile laisse pantois. Certes, on a vu des supercars aussi extraordinaires que des 959, Carrera GT et 918 Spyder négligemment alignées entre les pépites surréalistes que sont McLaren Senna ou AMG GT One sur la moquette criarde d’un stand sans saveur ni lumière digne d’un vendeur d’occases en bord de rocade… À l’autre extrémité du spectre, les deux qui rivalisent de prestige sont une nouvelle fois le Suisse Simon Kidston et l’Anglais Max Girardo. Pour faire simple, la pièce maîtresse sur chacun des deux stands était une Ferrari 250 GTO. Vous savez, cette voiture que l’on considérait comme la plus chère du monde avant que le titre ne lui soit récemment ravi par une Mercedes 300 SLR Uhlenhaut il y a quelques mois. Au jeu de l’exclusivité, c’est Girardo & Co qui l’a emporté avec un modèle à carrosserie spéciale, certes un peu moins élégante que l’originale, mais plus aérodynamique et… unique ! Malgré tout, c’est vers Kidston que balance notre coeur de porschiste, parce que c’est le seul des deux à proposer une Porsche extraordinaire (Girardo était 100 % Ferrari). Bon… pas une Porsche au sens strict du terme, il s’agissait de l’une des six 962 CR. Cette hypercar avant l’heure n’était rien d’autre qu’une 962 C d’Endurance développée par le pilote d’usine australien Vern Schuppan, à peine redessinée avec des formes civilisées et des gimmicks de 959 pour rouler légalement. À défaut d’être vraiment belle, elle était la voiture de route la plus extrême jamais produite en 1992, ses 600 ch la catapultaient de 0 à 100 km/h en à peine 3,5”, et jusqu’à 370 km/h en pointe. Et, à un million et demi de dollars de l’époque, elle était – et de loin – la plus chère aussi. Pourtant, peu visiteurs savent mesurer la rareté de cette pièce trop discrète sous sa robe noire.
Dans l’allée des marchands stars d’outre-Manche, il fallait s’arrêter sur le stand Fiskens au milieu duquel trônait une des rares 911 GT1 alors acquises par une écurie privée, Konrad Motorsport en l’occurrence, puis converties en version GT1-97 à Weissach pour la fin de la saison 97. Juste devant, à peine moins spectaculaire mais tout aussi rare était le spyder 908/2 “Flunder” victorieuse à Watkins Glen en 1965 entre les mains de Jo Siffert et Brian Redman. Autre Britannique d’envergure, Joe Macari a volé la vedette à ses voisins en exposant une pièce unique de l’histoire de Porsche : la seule 917 que l’usine ait convertie à un usage routier, dûment immatriculée… en Alabama (!), peinte en gris argent et équipée d’un intérieur cuir beige pour un client auquel il n’aurait pas été sérieux de refuser quoi que ce soit : le comte Rossi. Pour faire le tour exhaustif des protos de course Porsche des années 60, il fallait passer par l’espace de la maison d’enchères Aguttes. La pièce centrale était une
exceptionnelle 910. Exceptionnelle parce que premier châssis d’une série de trente-quatre autos. Elle a fait sa première apparition en août 1966 dans une course de côte dans laquelle Hans Herrmann s’est classé troisième, avant d’entamer une longue carrière dans des écuries privées jusqu’en 1973. Une des cinq 904/6 originales était la vedette du stand de l’Allemand Thiesen, voiture engagée au Nürburgring et au Mans 1965 par l’usine avant de faire carrière aux USA. Elle était fort bien entourée, d’un côté par l’une des quatre-vingt-six 964 Turbo S 3.3 Leichtbau avec seulement 56 000 km, de l’autre par un superbe Spyder 550 A à l’histoire brésilienne…
Isolées ici ou là, quelques pépites forçaient le détour. En toute discrétion, le Belge Rock N Roll Classics proposait certainement l’une des Porsche les plus exclusives de ce Rétromobile 2024. Non, pas la magnifique 930 Oak Green… mais juste à côté, cette vieille 911 de course un peu fanée : elle doit être la plus authentique des 911 R de 1967, puisque c’est aujourd’hui la seule des vingt construites à n’avoir jamais été restaurée. Évidemment, prix sur demande, la décence ne permet pas d’afficher le tarif de ce genre de licorne… Plus loin, Motul était partenaire de Ruf, sur un stand qui mettait en lumière la toute première Yellow Bird. Le sympathique Aloïs Ruf en personne avait accompagné à Paris ce prototype de la légendaire CTR qui, en 1987, reléguait les 959 et autres F40 au rang de “gentilles voitures de série”. Au détour des allées, il n’est pas rare de croiser un visage, sinon familier, tout au moins connu du milieu. Vous pouviez, chez Chopard, rencontrer Jacky Ickx et Romain Dumas, ambassadeurs de l’horloger suisse. Jeudi, le même Jacky Ickx était au micro, sur la passerelle où étaient exposées les autos légendaires du Dakar, et devant la 959 victorieuse en 1986, pour raconter avec une émotion palpable ses souvenirs de désert avec ses regrettés amis Claude Brasseur et René Metge (qui venait de disparaître). Au gré de nos déambulations, il nous a été donné d’apercevoir ou de croiser Gérard Larrousse, Jean-Pierre Jarrier, Laurent Aïello, autant de noms qui sonnent aux oreilles des fans de compétition. Il est certain que bien d’autres personnalités du monde Porsche arpentaient les mêmes allées.
SI LES PORSCHE ONT PERDU EN NOMBRE, ELLES NE CONCÈDENT RIEN EN QUALITÉ.
Sur le stand officiel Porsche, Frank Jung, directeur des archives du Museum, avait fait le déplacement, signe de l’intérêt qu’un salon comme Rétromobile peut susciter pour le constructeur. Très certainement accompagnait-il, depuis le Museum, les deux stars d’un stand totalement dédié aux 50 ans du label Turbo : une 911 Turbo 3.0 Ice Green Metallic de 1975, et la 935/77 “Baby”, anecdotique exemplaire mû par un flat-six 1.4 Turbo pour entrer dans la catégorie 2.0 du Championnat DRM en 1977. Et c’est à peu près tout, hormis une anachronique Panamera Turbo S e-hybrid millésime 2024. Il semble désormais admis dans les convenances qu’un stand à Rétromobile soit devenu le théâtre de grands plans marketing visant à dévoiler leurs nouveautés en les légitimant par un rappel historique. Le grand gagnant cette année, c’est Volkswagen qui, sous prétexte des 50 ans de la Golf et d’en exposer un exemplaire de chaque génération, offrait son baptême du feu à la toute nouvelle mouture de la
Golf VIII ! Autour d’une thématique aussi virulente, on s’attendait à ce que Porsche compose avec un peu plus de couleurs, plus de puissance, plus d’audace, plus de spectacle, de scénographie… peut-être même, quitte à jouer la carte 2024, à dévoiler une vraie nouveauté apte à faire vibrer le coeur d’un passionné. Ou, à défaut, plus d’autos tout bêtement. Sur cet exercice-là, ce sont les spécialistes de la marque qui ont occupé le terrain. Pas plus loin qu’en face, en traversant l’allée centrale, l’Atelier Gobin avait rassemblé un bel éventail de classics, de la 356 SC rouge de 1964 à la Carrera 3.2, blanc Grand Prix mais surtout Turbo-Look usine. Entre les deux, l’essentiel : un admirable coupé 911 2.0 Aga blau de 1966, une 2.0 S slate grey ou un Targa 2.2 E bleu Gemini. Et si, il y a encore peu de temps, chaque honorable stand à Rétromobile devait disposer de sa Carrera 2.7 RS, il faut avouer que l’objet se fait rare désormais, et c’est ici chez Atelier Gobin que vous pouviez admirer l’une des deux seules sur le salon cette année (une noire était chez Coyote).
Même si le traditionnel stand de Serge Heitz partage désormais sa surface avec la division Hedonic de la maison, dédiée aux Land Rover, le côté Porsche restait fort dignement achalandé, avec une palette couvrant 60 ans d’histoire, depuis les 356 Speedster et Cabriolet A 1600 S à la 991 GT2 RS de 2019, en passant par des 911
2.2 S gris argent et bleu pastel, ou une 2.0 S Targa Soft Window Slate Grey de 1967 qui a laissé sa place en cours de salon à une 2.4 S bleu Gemini. Le Garage Dayraut faisait la démonstration de son expertise dans la préparation compétition avec une impressionnante Carrera 3.0 RSR 1974, à côté d’une plus fluette mais non moins radicale ’65 engagée dans la 2.0 Cup, encadrées par de plus traditionnelles 911 2.2S 1970, une 356 SC et un Roadster. Chez ZS Style, 912 Bahama Yellow et 911 S tangerine traitée façon S/T côtoyaient 356 coupé A-T1 et cabriolet C. Ensuite, si vous vouliez encore un peu de Porsche, il fallait les pister une à une, disséminées sur des stands plus généralistes : une 993 Carrera RS méticuleusement restaurée à côté d’un cabriolet 964 Carrera 2 Turbo-Look chez Mecanicus, une 2.4 E Targa vert vipère et une 914/6 look GT chez AS Classics Engineering, une 964 Carrera RS noire et peu kilométrée, entre deux halls, chez le Belge Vincent Laudisoit, un étonnant Speedster 964 transformé en Turbo-Look par TechArt dès sa sortie des chaînes de Zuffenhausen, une 964 Turbo 3.6 chez Rallystory, une rarissime 356 Speedster Carrera vendue 790 000 € chez Eberhard Thiesen, et même en expo à l’ACO la 919 Hybrid victorieuse des 24 Heures du Mans 2016… On a dû en manquer quelques-unes, mais il fallait bien faire ce constat que le marché en permanente mutation semble désormais porter ses regards vers d’autres horizons que ceux de Zuffenhausen. La remarque précédente sur la Carrera 2.7 RS vaut sur bien d’autres modèles. Il me revient cette sensation éprouvée en d’autres temps, pas si lointains, où les 356 Carrera ou les Spyder 550 se faisaient concurrence d’un stand à l’autre, où les Porsche étaient incontestablement les maîtresses de Rétromobile. Cette année, j’ai arrêté de compter les Ferrari 250 et 275 Berlinetta, je n’avais plus assez de doigts pour les F40, bref, le vent tourne.
Si vous aviez eu la chance de déambuler dans l’espace Artcurial, vous n’auriez pu qu’abonder : le nombre de Porsche au catalogue s’est réduit comme peau de chagrin. Une quinzaine de lots estampillés Porsche quand ils étaient généralement une petite cinquantaine avant-Covid. Étonnamment, les belles pièces “de la vie courante” ont affiché de jolies performances (85 824 € sont une très belle performance pour une 911 SC Targa, toute restaurée qu’elle soit, comme
IL SOUFFLAIT UN VENT DE SUD-EST SUR CETTE ÉDITION DE RÉTROMOBILE, LES ITALIENNES ONT REPRIS DU POIL DE LA BÊTE.
les 226 480 € d’une 3.3 Turbo, même avec une combinaison de couleurs d’origine aussi atypique qu’un full turquoise), mais les têtes d’affiche qu’étaient la 911 2.0 S de 1968 ex-Jean-Claude Killy (multiple champion olympique à Grenoble la même année) ou la 964 Singer “Biarritz” (dernière enchère à 820 000 €) sont restées sur le carreau. 993 GT2, 962 C, 964 et 928 Slantnose, 918 Spyder chez l’un, 911 Speedster 3.2 étroit et Carrera GT chez l’autre, les pièces maîtresses des catalogues respectifs RM Sothebys et Bonhams n’ont pas rencontré le succès non plus, exception faite d’un record inattendu (511 250 €) pour une 964 Turbo 3.6 chez RM…
Parmi les personnalités présentes cette année, Magnus Walker (accompagné de l’animateur Gerry Blyenberg – Wheeler Dealers France) était peut-être l’une des plus attendues par la frange Outlaw de la communauté Porsche. Même si son Paris Outlaw Gathering n’était pas le premier du nom (nous avions couvert ses meetings à la Concorde en 2017 et 2019). Le rendez-vous a réuni sur l’espace du partenaire Rose Passion, dans l’enceinte extérieure de Rétromobile, les vingt-cinq Porsche inscrites, toutes plus outlaw les unes que les autres. De la Carrera GT de Raoul Marchisio à la 928 “safari” de Philippe Delaporte, de la 356 “rat’s” à la Carrera 3.2 de Stephan Ehrhardt qui s’illustre cette saison en Ferdinand Cup… Crubilé Sport avait déplacé pour l’occasion la 911 RSR originale et originelle, la première de toutes, la [R1] au volant de laquelle notre Magnus est parti le lendemain pour un tournage dans les rues de la capitale. Séances d’autographes sur des supports aussi inattendus que les baskets Nike Urban Outlaw créées par Magnus lui-même, des miniatures, des casquettes… discussions, séances photo, il régnait de cette magie dans l’air… frais (froid ?) de ce 29 janvier. En rentrant dans le hall, il était manifeste que le public était venu en nombre, et l’affluence du week-end l’a confirmé. Dès la fermeture dimanche soir, l’organisation a annoncé une fréquentation de 130 000 visiteurs, à 2 000 petits billets du record de 2019. Si l’on tient compte d’un contexte marqué par le mouvement des agriculteurs qui avaient rejoint la capitale la veille de l’ouverture, la performance est significative. En plus d’être le plus beau salon de voitures de collection au monde, Rétromobile serait-il aussi le plus fréquenté ?