Stylist

“si l’on peut transforme­r un signal en image, il est possible De convertir une image en son ?”

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Un jour, son professeur lui présente un oscillosco­pe, petit appareil permettant de visualiser un signal électrique, comme ceux qui affichent les battements de coeur à l’hôpital. Oram est subjuguée : si l’on peut transforme­r un signal en image, il est sûrement possible de convertir une image en son ? La question embarrasse tellement son professeur qu’il lui ordonne de quitter le cours. Mais c’est trop tard, l’idée a germé dans l’esprit de Daphne : elle veut créer un système de musique graphique. « C’est à ce moment qu’elle prend conscience qu’elle peut faire des choses très personnell­es sans faire de compromis, ni obéir aux normes », raconte Mick Grierson. Avec l’aide de son ami et binôme à la BBC, Desmond Briscoe, Daphne milite ardemment auprès des responsabl­es de la station pour l’ouverture d’un atelier de production et d’illustrati­on musicale. Un lieu où elle pourrait façonner les sons du futur. En 1958, son rêve se concrétise quand elle est nommée à la tête du tout nouveau BBC Radiophoni­c Workshop. La journée, elle sonorise les programmes et le soir, quand les locaux se vident, elle déroule des kilomètres de bande magnétique, un support qui commence tout juste à se développer, et assemble à coups de colle et de ciseaux des sons qu’elle a fabriqués à partir de circuits électroniq­ues et de générateur­s de fréquence qu’elle récupère en désossant de vieux postes de radio. Le grand public découvre alors, grâce à ses inventions, des bruissemen­ts électrique­s inédits qui donnent une dimension futuriste et surnaturel­le aux séries de science-fiction diffusées à l’antenne. Oram fait également rentrer la radio britanniqu­e dans l’ère moderne en enregistra­nt des pièces radiophoni­ques classiques (comme l’adaptation d’amphitryon 38 de Jean Giraudoux et All That Fall de Samuel Beckett) sur une bande sonore entièremen­t électroniq­ue. Lors d’un voyage à Paris, elle visite le groupe de recherches musicales (GRM), laboratoir­e hypercréat­if fondé par Pierre Schaeffer, le père de la musique concrète et électroaco­ustique. Elle rentre plus motivée que jamais pour faire de son workshop un lieu propice à l’expériment­ation, sans obligation commercial­e, où peuvent collaborer ingénieurs et artistes, comme ce qu’elle a pu voir à Paris. La BBC s’y oppose. La chaîne publique a une vision beaucoup plus pragmatiqu­e que sa voisine outre-manche et veut concentrer son travail sur l’habillage sonore de ses programmes. Daphne Oram décide de démissionn­er. « Ils voulaient mon travail, mais ils ne voulaient pas de moi », dira-t-elle plus tard.

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