Stylist

“Et l’eau qui dormait EN toi, à Nouveau s’agite. Et si tu NE pouvais plus ?”

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u ne sais pas si tu vas y arriver, si tu en es encore capable. Tu es prise d’un léger vertige, reprendre, recommence­r, remettre en place une routine, refaire les gestes, les mêmes, sans hésiter, écrire cette chronique. Mais comment on fait déjà ? C’est une voix d’enfant, une voix mal assurée, qui pose la question dans ta tête. Depuis longtemps, depuis l’école peut-être, tes vacances ressemblen­t à de longs week-ends entrecoupé­s de séances de travail régulières. Cette année, tu as coupé, vraiment. Et, utilisant le mot couper, tu te vois réellement trancher les liens qui d’habitude t’amarrent à tes préoccupat­ions du moment. Cette fois, tu as dérivé, tu t’es éloignée du rivage. Tu as nagé loin, tu as senti l’ivresse du large, tu es devenue indifféren­te à tes problèmes, aux questions qui te hantent le reste du temps. Et tu as goûté avec un plaisir infini ce sentiment de liberté qui a éclos enfin. Tu étais légère, guillerett­e même, pour utiliser un terme qui ne te ressemble pas et mieux décrire cet état inhabituel chez toi. Tu as même fini par rompre avec le flot de l’actualité, comme si plus rien d’autre ne comptait que le ciel bleu au-dessus de Marseille, et la roche blanche puissante, baignée de soleil, autour de la maison. Même lorsque la colline d’en face s’est mise à brûler, tu ne t’es pas sentie concernée. La rumeur vous parvenait par intermitte­nce. Tu as regardé, au loin, là-bas, les nuages noirs,

Trefusant cet obscurciss­ement. Maintenant, il est l’heure de rentrer, tu te rapproches lentement du bord. Tu regardes la côte, la terre ferme, avec une appréhensi­on croissante. Le paysage ne te semble pas familier. L’idée de t’asseoir devant ton ordinateur t’angoisse violemment, les questions se bousculent dans ton esprit, créant un vent de panique. Et l’eau qui dormait en toi, à nouveau s’agite. Et si tu ne pouvais plus ? N’arrive-t-il pas que l’on perde des connaissan­ces que l’on croyait acquises ? Tu as bien passé dix ans à prendre des cours de piano. Tu te souviens de ce professeur italien qui te mettait un coup de crayon sur le haut de la tête à chaque fois que tu faisais une fausse note. On peut estimer, qu’au propre comme au figuré, il a tenté de te faire rentrer cet art dans le crâne. Tes doigts couraient sur le clavier avec dextérité, ils trouvaient sans mal La Valse des adieux, La Sonate au clair de lune. Rien de virtuose évidemment, mais une réelle complicité s’était nouée avec l’instrument. Puis, tu as cessé de jouer et tes mains sont devenues muettes. Si tu les poses sur un piano, elles se sentent idiotes, deux étrangères en territoire inconnu. Rien, il ne reste rien. Ces connaissan­ces se sont simplement évaporées. Pourquoi l’écriture ne pourrait-elle pas faire l’objet du même désapprent­issage ? Là, maintenant, il ne te reste que ta franchise pour tout bagage. Tu ne peux écrire sur autre chose que sur ta peur d’écrire, espérant la vaincre au fil des mots.

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