TRI SÉLECTIF
puisque, contre seulement 150 000 euros de redevance, Lagardère Sports a pu engranger les ventes réalisées auprès des spectateurs assoiffés et affamés, parqués dans un endroit dont ils ne pouvaient sortir à moins de perdre leur place. « Segmenter les populations permet de leur faire des offres ciblées et d’attirer toujours de nouveaux consommateurs », constate Élisabeth Pélegrin-genel. Son modèle absolu ? Le premier Disneyland à Orange County en Californie qui, dès 1955, savait dissimuler ses logiques marchandes en faisant serpenter ses files d’attente dans un cadre plaisant. Un modèle copié depuis les années 90 par les centres commerciaux. Le premier à l’avoir fait, c’est l’architecte américain Jon Jerde. En 1993, il a dessiné la zone commerciale City Walk à Hollywood comme une ville idéale, aux bâtiments de style variés et faussement patinés, dans laquelle il serait bon de se balader (il a même ajouté un « soupçon de saleté » avec des papiers de sucettes dans le revêtement des terrasses). Aujourd’hui, on appelle ça le « fun shopping ». Fini les vitres Selon vous, les rues, la nuit, si vous rentrez seule, ce n’est pas du tout, mais pas du tout pour vous. Pareil pour l’espace IDZEN, quand il y a un atroce gnome qui beugle. Vous poussez un peu quand même, mais vous n’êtes pas la seule. « On associe de plus en plus un lieu à un comportement donné, répond Élisabeth Pélegrin-genel. Et ça rend les gens de moins en moins tolérants.» Un peu comme dans Minority Report, dont les précogs prévoyaient les meurtres pour les empêcher avant qu’ils ne soient commis, la ville anticipe les comportements possibles de ses habitants. C’est ainsi que des parkings réservés aux femmes (et supposés plus sûrs) ont été testés pendant trois mois à Perth en Australie ou qu’à Triberg dans le sud de l’allemagne, on a destiné les places à créneaux difficiles aux hommes. Si ces exemples peuvent apparaître sexistes bienveillants, le plus souvent, quand la ville distingue ses habitants, c’est plutôt pour les exclure. Le plus possible en catimini pour ne pas entacher l’image de la ville accueillante délivrée à coup de slogans cools comme « Montpellier Unlimited » ou « I Am Amsterdam ». « À l’heure où les discours sur le vivre ensemble fleurissent, les dispositifs utilisés pour filtrer les gens sont de plus en plus insidieux », remarque Benoit Romeyer, enseignant à l’institut d’urbanisme et d’aménagement régional à Aix-marseille. C’est là qu’intervient l’unpleasant design, soit le mobilier urbain destiné à chasser les indésirables. Et parmi eux, c’est le SDF qui est ciblé en priorité.