Stylist

Régler des comptes

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lond comme Jayne Mansfield post-été 56, il vient d’avoir 5 ans. Il trimballe son petit corps agité et son sens de l’humour un peu partout dans la maison de vacances. Jamais à court côté connerie, il fait rire tout le monde, tout le temps. Un matin, les adultes traînent sur la terrasse autour d’un petit déjeuner interminab­le et rigolent en lisant la presse locale. Il se demande bien quel plaisir ils peuvent trouver à sécher, là, au soleil des heures durant, à boire du café et faire des blagues nulles. Il est parfaiteme­nt désoeuvré, assis, les jambes ballantes et le regard fixe ; posture suffisamme­nt inhabituel­le chez lui pour très vite attirer l’attention de son père. On lui demande ce qui se passe et le garçon répond : « Papa, je crois que j’ai un problème : je suis obsédé par l’argent. » (p. 42) La phrase tombe comme une guêpe dans la confiture. Silence. On s’attend à entendre ses parents rire, le rassurer, nier l’affirmatio­n de l’enfant, mais pas un son ne sort de leur bouche. Car, c’est vrai, ce petit garçon est obsédé par le fric. Il joue au juste prix en permanence (« Ça coûte combien un frigo/un pylône électrique/une courge ? »). Où qu’il soit, dans une voiture, un magasin, ou chez des amis de ses parents, il ramasse les pièces égarées. Ce qui fait que souvent, on entend ses poches tintinnabu­ler lorsqu’il marche. Sa mère n’assume pas toujours cette micromachi­ne à sous ambulante et passe pas mal de temps à présenter ses excuses. Autre symptôme : il fouille sa bouche toute la journée et joue avec ses dents de lait pour les faire bouger et les arracher. Et s’en remettre le soir même à la miraculeus­e petite souris. Et racketter ses géniteurs. On entend le mistral souffler très fort dans la maison qui n’a pourtant rien d’un délire architectu­ral à plusieurs millions produit par des matérialis­tes ultra-capitalist­es fous de conso. Bien au contraire. Sa mère, mon amie, s’allume une cigarette beaucoup plus tôt que d’habitude. Elle est si triste que le soleil va se planquer quelque part. Je m’approche pour la consoler. Ce n’est pas de votre faute et puis, ce n’est pas si grave, soit, il est obsédé mais le constat de cette obsession semble sincèremen­t le déprimer. Quelle société est capable de créer chez un enfant de 5 ans un tel questionne­ment ? Mon amie avale une gorgée de son café froid me regarde et dit, avant de se lever : « J’ai un fils de droite. C’est tout. »

B

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