Stylist

“Tu repenses à la statue de Jeanne d’arc en flammes, son regard épouvanté”

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a porte s’ouvre en grand et les crache sur le trottoir. Il est tard. Quelques dizaines d’individus sortent par grappes, vacillants, étonnés d’être ainsi jetés à la rue, rendus au monde. Ils paraissent décalés. Bien que leurs yeux soient ouverts, on les dirait aveugles, absents. Revenus de quelque univers invisible, de quelque aventure extrême, le teint pâle, les yeux caves. Et toi, tu es comme eux, errant sur une esplanade du 12e arrondisse­ment. Tu aimes tellement ce moment d’entre-deux-mondes. Celui où tu sors du cinéma et rejoins la vie, sans plus trop savoir qui est qui. Encore sous l’emprise du film que tu viens de laisser derrière toi et que tu emportes pourtant, t’éloignant de la salle. L’état dans lequel certaines oeuvres te plongent te plaît tant que tu t’es mise à le rechercher par tous les moyens ; sombre addiction. Tu espères revivre cette secousse mais l’effet ne se produit pas toujours, loin de là. Il faut une substance étrange, une rencontre inédite, pour provoquer ce choc. Ce soir, tu as vu Nocturama, le film de Bertrand Bonello. Un film qui arrive portant une histoire, puisqu’il y est question d’une bande de jeunes commettant un attentat. Ils brûlent Paris, frappent conjointem­ent plusieurs lieux symbolique­s pour que plus rien ne soit comme avant. Et si le réalisateu­r se défend du lien que l’oeuvre entretient, malgré lui, avec l’actualité, – il travaille sur le sujet depuis 2011 –, tu penses que

Lce dialogue entre fiction et réalité est inévitable, nécessaire et, en l’occurrence, passionnan­t. Toi, tu avais besoin de voir ce film-là, à cet instant précis. Tu avais besoin de t’interroger sur la violence en dehors du cadre de l’informatio­n, en dehors des débats du moment, en dehors de l’éphémère. Parfois la violence existe juste pour qu’on s’interroge sur les raisons de cette violence. « Cela devait arriver », constate Adèle Haenel, les jambes pendant des deux côtés de son vélo. Il est question, en filigrane, dans Nocturama, des désirs inconscien­ts d’une société qui rêve de se réinventer sans trop savoir comment. Or, notre quotidien est parsemé de signaux qui marquent ce désir que tout se brise pour renaître. C’est du moins ce que tu ressentais hier encore en écoutant Nicolas Sarkozy claironner qu’il allait provoquer un blast. On se prépare une belle année de guerre électorale où chacun promettra aux autres un changement radical, sur le mode : vous verrez, plus rien ne sera comme avant. Tu marches un peu, seule, cherchant à reprendre tes esprits. Tu repenses à la statue de Jeanne d’arc en flammes, son regard épouvanté. Et tu tombes sur une publicité pour l’armée de terre, enjoignant à la jeunesse de s’engager. On y voit une fille aux yeux clairs, tenant une arme lourde. Et ce message : « Devenez le nouveau souffle après la tempête. » Tu t’approches pour vérifier qu’il s’agit bien d’une vraie. L’arme comme nouveau souffle. Oui, décidément, tu as le sentiment de ne pas avoir quitté cette salle obscure.

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