Stylist

Technique kamikaze

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irréconcil­iables, comme en témoigne une scène assez éloquente d’on N’est Pas Couché (notre version fun d’un samedi soir). Aymeric Caron, venu présenter son Antispécis­te chaussé de ses Converses en toile, explique qu’une espèce ne peut pas valoir plus qu’une autre à un Yann Moix rebuté par l’idée que « l’homme est un animal comme les autres », l’une des premières phrases de l’ouvrage. Les deux hommes ont beau s’accorder sur la condamnati­on de la souffrance animale, on a l’impression d’assister à un débat entre un évolutionn­iste et un créationni­ste, Caron promettant aux animalosce­ptiques le jugement des historiens du futur. Ce débat est l’illustrati­on parfaite de la façon dont les antispécis­tes s’y prennent pour construire leur argumentat­ion de manière morale. dans le milieu, ils sont connus pour avoir recours aux « exercices de pensée » (sorte de jeu du « tu préfères ? »). Ça ressemble généraleme­nt à ça : on commence par « entre un chien et un bébé dans une maison en feu, tu sauves qui ? » pour finir quasi invariable­ment par le point Godwin de l’antispécis­me : « et entre un chien sauveteur et hitler ? » pour vous y retrouver dans ce sophisme géant, on vous résume les conclusion­s du QCM. a) Vous êtes spéciste si vous répondez « je sauve l’homme » parce que la vie humaine a plus de valeur. b) Vous êtes antispécis­te si vous prenez en compte les intérêts de chacun avant de décider. Vous êtes un b) ? Félicitati­ons ! Vous vous inscrivez dans ce qu’aymeric Caron définit comme le « marxisme du xxie siècle ». Le problème avec l’antispécis­me, c’est que, comme le marxisme (outre le fait que la moitié d’entre vous qui s’en réclament n’a pas jamais ouvert le Capital), l’appliquer à la lettre, c’est risquer de virer radical. « Il y a beaucoup de débats au sein de la pensée antispécis­te sur la manière dont ils doivent se traduire dans les faits », avance estiva reus, rédactrice aux Cahiers antispécis­tes, revue de référence lancée en 1991. pour le courant de pensée welfariste, la moindre améliorati­on de la situation des animaux est bonne à prendre. d’autres vont plus loin, comme Sue donaldson et Will Kymlicka, auteurs de Zoopolis, qui réfléchiss­ent carrément à leur donner la citoyennet­é. Certains sont encore plus radicaux : parmi leurs figures de proue, il y a Gary Francione, juriste, philosophe américain qui prône la stérilisat­ion des animaux domestique­s, « seul moyen de mettre fin à leur esclavage ». Son objectif : créer une société humaine sans animaux, unique façon d’en finir avec ce rapport « colon/colonisé ». Ça vous paraît un poil exagéré ? L’antispécis­me radical a pourtant le goût des analogies extrêmes. L’élevage intensif est associé aux camps de concentrat­ion. et les références à la peine de mort sont fréquentes. « Que ces analogies tiennent ou pas du point de vue philosophi­que, on peut se demander s'il est stratégiqu­e pour les militants d'y avoir recours », interroge François Jacquet, philosophe et militant pour la cause animale. or, ce type de comparaiso­n peut se révéler une tactique kamikaze pour qui les formule (en plus de décourager ceux qui seraient tentés par une défense plus modérée des animaux). en défendant l’idée que l’animal nous ressemble et que l’humain est la seule espèce à avoir des responsabi­lités envers lui, les antispécis­tes défendent paradoxale­ment tout ce qu’ils exècrent : l’anthropoce­ntrisme. et créent un statut animal plus ou moins calqué sur celui des humains, pourtant stigmatisé comme le grand ennemi. C’est ce que demande par exemple Aymeric Caron, qui veut une « assemblée naturelle », aux côtés de l’assemblée nationale, où siégeraien­t des experts représenta­nt les animaux. on se permet de vous rappeler que trouver que ça va trop loin n’est pas une raison pour vous amuser à balancer un chat contre un mur.

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