Stylist

T’ES MÊME PAS ENCEINTE

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mais – est-ce dû à vos six mois sans un seul jour de vacances, l’effondreme­nt de l’amérique ou votre désintérêt total pour Black Mirror – là tout de suite, vous avez vraiment envie de passer une soirée dans vos draps en flanelle, votre chat imaginaire sur les genoux, à bouquiner un roman qui vous réconcilie­rait avec le futur. Désolée camarade, vos amis accueillen­t votre défection comme une trahison du parti, un abandon de votre famille philosophi­que. Vous avez beau leur expliquer que vous aimeriez seulement dormir et que vous n’êtes pas assez en forme pour célébrer avec eux le nihilisme tranquille qui a fait le socle de votre relation, ils sont vexés comme si vous les aviez plantés devant l’autel (Marie Drucker, si tu nous entends). Sauf qu’à force de refaire le monde dans le bar d’en bas, tels les Bouvard et Pécuchet du XXIE siècle, vous vous êtes rendu compte que le vôtre partait dans tous les sens et que seul l’effet de répétition – « Demain, je te jure, je quitte tout pour fonder ma prison progressis­te gardée par des otaries » – lui apportait un semblant de direction. Boire ou devenir, il faut choisir (c’est ce que vous aviez tagué au vernis à ongles dans votre ascenseur en rentrant de votre dernière cuite).

In vino veritas : après de longues heures de lecture et de tisanes ayurvédiqu­es, vous vous êtes couchée sereine, pleine de foi en votre avenir radieux : directrice de la première prison progressis­te gardée par des otaries. C’était bien la peine de les laisser tomber pour en arriver au même point. C’est toujours le premier verre le plus compliqué à faire passer quand on ne boit pas. Parce que les gens sont encore assez sobres pour s’intéresser aux autres. Et qu’il faut avoir une sacrée bonne raison pour ne pas avoir envie de picoler à 19 h et culpabilis­er tout le monde avec son mode de vie de bobo. Si vous êtes enceinte, ça passe. Enfin si vous assumez de déprimer toutes vos amies célibatair­es qui vont passer le reste de la soirée à vous dire « han, je suis hyper-contente pour toi », les yeux remplis d’une haine sauvage avant d’éclater en sanglots dans vos bras, ivres mortes, à 4 h du matin (mais c’est une autre histoire). Si vous n’attendez pas un heureux événement, ce que montre votre plancher pelvien magnifique­ment engagé, mais que vous avez juste décidé de donner une chance à votre foie, préparez-vous aux regards suspicieux et aux questions sur votre santé. Par la magie de la rhétorique, on vous expliquera que si vous ne buvez pas, c’est certaineme­nt parce que vous avez un problème avec l’alcool, parce qu’il n’y a vraiment que les AA pour ne pas apprécier une petite cuite un mardi soir dans un vernissage de seconde zone. Vous aurez beau nier, les gens prendront l’air de ceux qui ont compris que vous ne vouliez pas vous étendre sur vos soucis par pudeur, mais que votre médecin vous a certaineme­nt menacé de la poche à pipi si vous ne vous calmiez pas sur le Nikka.

In vino veritas : rien ne vous oblige à annoncer triomphale­ment que vous ne buvez pas alors que la bouteille n’est même pas débouchée. Contentez-vous de ne pas toucher à votre verre, comme toute fille enceinte qui respecte ses amies.

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