Et elle fait quoi le reste du temps ?
Être miss météo n’est pas un emploi fictif.
Être miss météo n’est pas un emploi fictif
“en météo, les gens ont une mémoire totalement sélective”
Le 1er janvier, après vingthuit ans d’antenne, Catherine Laborde présente son dernier bulletin météo à la fin du JT de 20 h sur tf1. «Je vous emporte avec moi. Vous m’oublierez. Moi non. Je vous aime », conclut-elle d’une voix douce, devant un soleil blanc qui transperce un ciel bleu clair et donne à ses adieux un air de béatification. son départ en retraite se retrouve au top des recherches google avec celui de françois Hollande et le concert raté du nouvel an de Mariah Carey. Le même jour, le nom d’évelyne Dhéliat apparaît dans la liste de la promotion civile de la Légion d’honneur. La chef du service météo de tf1 depuis dix-sept ans sera nommée chevalier par ségolène Royal pour son implication dans la lutte contre le changement climatique. «J’ai été une des premières à passer des petits messages dans les bulletins, explique-telle. Par exemple : “10 kms en moins en voiture, c’est bon pour la planète.”» Qu’on se le dise, médaille et ruban rouge à l’appui, la météo aujourd’hui, c’est du sérieux. La preuve avec l’émission animée par Laurent Romejko sur france 3, Météo à la carte, sorte de spin-off du bulletin météo avec recettes de cuisine de saison et reportages en régions, l’arrivée en octobre 2016 de la chaîne météo 24h/24 sur la télé d’orange. La capitulation de la miss météo de Canal + – dont la drôlerie avait fondu en même temps que la calotte glaciaire – ne doit pas vous tromper, le bulletin météo fait encore la pluie et le beau temps à la télé.
SE FAIRE TIRER LES CARTES
Tout a commencé en France le 17 décembre 1946, six ans après les États-unis. Paul Douchy, beau garçon prévisionniste à la Météorologie nationale (qui deviendra en 1994 Météo France), annonce un ciel nuageux accompagné de vents. Cheveux gominés et costume noir, il commente à la baguette une « carte d’analyse » sur laquelle ont été tracés, au crayon noir, dépressions et anticyclones, directions des vents, températures et zones de pluie. « Si on prenait la météo en cours, se souvient un de ses collaborateurs du Télé-journal de la RTF, on n’y comprenait rien.» Mais le téléspectateur autour de la quarantaine aime à reconnaître en Monsieur Douchy l’instituteur pagnolesque de son enfance. Le rendez-vous devient quotidien à partir de 1958 malgré des prévisions pas vraiment fiables. Un flou caractéristique des premières décennies de la météo : « Quand j’étais enfant, à chaque fois qu’albert Simon faisait la météo sur Europe 1, raconte Évelyne Dhéliat, mon père disait : “Bon, alors Albert Simon a dit qu’il allait pleuvoir donc on aura du soleil !”» Louis Bodin, son confrère de TF1, et seul météorologue à l’antenne, confirme : « Quand j’ai commencé il y a un peu plus de trente ans, on me demandait si c’était mon métier. Sous-entendu : la météo, c’est de l’astrologie ! Et ils n’avaient pas tort…» Pour compenser le manque de précision, les chaînes décident de repimper leurs bulletins en ajoutant sur leurs cartes des magnets en forme de soleil et de nuage, ambiance souvenirs de vacances collés sur le frigo. « À la fin des années 60, il ne fallait surtout pas parler d’anticyclones ni de dépressions, confiait en 2011 à 20 Minutes l’ex-présentateur de L’ORTF Guy Larivière. Alors on mettait un grand A et un grand D sur nos cartes mais seuls les initiés comprenaient ce qui se passait.» Dans la même logique, les chaînes retirent le bulletin météo aux prévisionnistes bac+5 pour la donner à des miss en minijupes, incarnées trente ans plus tard par Nicole Kidman dans Prête à tout de Gus van Sant, ou à des showmen. C’est la naissance de la météo spectacle. Le jeudi 15 juin 1978, à la fin du 20 h d’antenne 2, PPDA se plaint d’« un mois de mai pourri » avant de passer la parole à un jeune type de 25 ans. Journaliste scientifique enthousiaste, Laurent Broomhead entre en scène devant une mappemonde verte et, dans un grand geste théâtral, se met à griffer la carte, de l’islande jusqu’à la France pour montrer la zone de froid. Il déambule ensuite comme un savant fou à travers des téléviseurs posés sur le plateau pour expliquer les phénomènes météorologiques. Une nouvelle ère commence pour la météo télévisée. «Tu es exhibitionniste, tu devrais faire la météo », dit en 1981 Jean-pierre Elkabbach, directeur de l’info sur la 2, à un autre jeune homme. Journaliste politique et critique littéraire, Alain Gillot-pétré va enchaîner en dix-huit ans près de 9 000 bulletins sans jamais oublier de nouer ses cheveux en catogan ni d’assortir ses pochettes aux couleurs du ciel. Et toujours dans la blague – « Et qu’est-ce qui va se passer ? Un effet de cloche, la cloche à fromage, la cloche à brouillard ! » – si bien que, lorsque le 1er juin 1998, un malaise en direct le cloue côté ouest de la France devant plus de cinq millions de téléspectateurs, on croit que c’est pour rire. Gillot meurt le 31 décembre 1999 en éclipsant l’an 2000 et la fin du règne de Boris Eltsine des premiers titres du JT. L’animateur, qui parcourait le monde au sein de l’amicale Des Ouragans qu’il avait créée, avait demandé que ses cendres soient dispersées dans un cyclone de force 5 en Guadeloupe. Problème, aucun cyclone de cette force n’a frappé l’île depuis. « L’urne est toujours là-bas, chez un ami, commente sa veuve Marie-claude à France Dimanche pour les 15 ans de la mort de son mari. Alain a placé la barre un peu haut ! »
COMME UN OURAGAN
Aujourd’hui, les prévisions sont au point et des animateurs dûment formés par Météo France ont remplacé les showmen – « On gagne un jour de prévision tous les dix ans », dit Fanny Agostini, présentatrice météo sur BFM TV. La météo assume sa vraie nature scientifique avec indices de probabilité au-delà des trois jours de certitude et Louis Bodin qui fait son mea culpa au lendemain d’une erreur. « C’est paradoxal mais aujourd’hui, quand j’annonce du mauvais temps, je me dis “ouf” quand ça arrive !, dit-il. Parce que l’attente des téléspectateurs est devenue complètement folle ! On me demanderait presque de faire tomber la neige pour les vacances de février… J’entends souvent dire : “Quand j’étais petit, il neigeait tout l’hiver !” Mais c’est faux ! Il faut savoir qu’en météo, les gens ont une mémoire totalement sélective.» La grosse pression, c’est le mercredi, jour des réservations et des annulations pour les départs en week-end. « À l’été 2003, la météo nous a d’ailleurs donné une belle leçon de vie, enchaîne Louis Bodin. Elle nous a montré qu’on était tous très égoïstes, moi le premier ! J’étais vraiment content d’annoncer de la chaleur car pour 80 % d’entre nous, ça veut dire “vacances”. Sauf qu’on avait oublié que les anciens allaient mourir parqués dans des maisons de retraite pendant qu’on barbotait
tranquillement.» Pourtant, les tempêtes meurtrières des 26 et 27 décembre 1999 avaient déjà changé le visage des bulletins à coups d’alertes vigilance. « On a commencé à développer une culture du risque en métropole comme c’était déjà le cas dans les Dom-tom à cause des anticyclones, dit Évelyne Dhéliat. Et aujourd’hui, c’est à moi d’informer la rédaction du JT du temps qu’il fait pour envoyer des correspondants sur place en amont d’une tempête ou d’une grosse averse.» Attention pour autant à ne pas crier au loup. « Le principe de précaution, vouloir à tout prix mettre les citoyens à l’abri de tout, c’est ne pas comprendre la planète, dit Louis Bodin. Car il y a toujours des moments où la Terre sera plus forte que nous avec des séismes, des irruptions, des tsunamis et peut-être même un astéroïde un jour ! »
IT’S GETTING HOT IN HERE
En plus des prévisions béton, les présentateurs météo ont désormais accès à une palette de produits visuels largement diversifiés : animation satellite, image radar, tracé d’isobares… « Avant l’hiver 2015, les précipitations étaient représentées par des taches bleues, indique Évelyne Dhéliat. Depuis, on utilise des radars qui font la différence entre la pluie, la neige et les pluies verglaçantes. En bleu, en blanc et en mauve. » L’enjeu pour les présentateurs n’est donc plus tellement de faire croire à la météo mais de ne pas perdre les téléspectateurs qui ne regardent le bulletin que d’un oeil avec, en fin de compte, toujours la même question en tête : demain, je m’habille comment ? Les présentateurs bizuts sont donc invités à faire un stage à Météo France pour apprendre les rudiments qu’ils pourront ensuite partager devant un fond vert pour un rendu sans parasite. « Au début, c’était des fonds bleus, explique Louis Bodin. Mais ils ont été supprimés car il y avait un problème de transparence avec les costumes des hommes ! » Pour parfaire la lisibilité des cartes, les chaînes sont aussi à l’affût de nouveaux logiciels. Tous les deux ans, Évelyne Dhéliat fait son marché au grand salon Ibc.org (The International Broadcasting Convention) à Amsterdam. « On a aussi fait des tests en 3D où je passais derrière les nuages, se rappelle Louis Bodin. Mais on s’est vite rendu compte que l’image allait supplanter l’information. » Les infographistes s’en sont tenus à l’ajout de quelques vaguelettes. « En fait, le plus important, c’est de raconter une histoire avec un début, un milieu, une fin, dit Fanny Agostini, qui tente souvent d’apporter un petit plus en guise de postface. En février par exemple, la canicule a frappé l’australie. Du jamais vu depuis cent ans avec plus de 40° pendant plusieurs jours consécutifs. Alors je me suis permis de mettre ma masse d’air australienne rouge sang pour conclure. C’était très beau et très parlant. Quand le Chili a été ravagé par des gros feux de forêts, j’ai zoomé sur les colonnes de fumée qu’on voyait depuis le satellite en expliquant que lutter contre le changement climatique, c’était aussi lutter contre la déforestation. » Le bulletin météo fait de la pédagogie, Fanny Agostini a lancé le Climate Bootcamp à la Bourboule pour former les médias aux problèmes climatiques et Évelyne Dhéliat se retrouve dans les manuels scolaires de 5e. « Il y a toute une page avec une photo de mon bulletin météo de 2050 », sourit-elle. Le temps qu’il fera ? Caniculaire.