Stylist

Avoir la classe

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Ils ne sont pas beaucoup à préférer l’hiver à l’été. Il fait partie de cette famille adulant la franchise du froid, la lumière blanche, les traits des visages qui se durcissent sous l’assaut du vent. Et ce qu’il préfère, c’est l’ouverture de la saison des sports d’hiver. À partir du mois de décembre, son uniforme de contrôleur de train lui apparaît comme une cape de magicien. Observer les voyageurs dont l’excitation est à la mesure du volume de leurs bagages est pour lui un truc précieux. Peut-être parce qu’il déteste le ski. Payer des milliers d’euros pour un truc assimilé à de la torture demeure incompréhe­nsible et fascinant. Chaussures de ski qui te scient les tibias, vêtements perpétuell­ement humides, apparence physique ridicule, nourriture abjecte ; sans parler du danger permanent et des gens, les autres gens rendus fous par le froid, la vitesse et l’argent dépensé. Cette année-là, il regarde la fourmilièr­e embarrassé­e dégueuler sur le quai. Il les voit tout de suite. À peine 20 ans, amoureux, joyeux, beaux. À la différence des autres, ils ont très peu de bagages. Juste chacun une paire de raquettes accrochée dans le dos. Ils se tiennent par la main et semblent glisser sur une patinoire invisible à quelques centimètre­s du sol, comme si les ruades de la foule n’existaient pas. Ils grimpent en seconde et se dirigent immédiatem­ent vers le wagon-restaurant. Ce sont des voyageurs sans place assise. La nuit va être longue. À aucun moment, les six heures à venir ne semblent les effrayer. Le train démarre, plein comme un oeuf. Le contrôleur commence sa ronde. Il enjambe les laisses des chiens, les paires de ski, les bébés et essaye d’aller vite pour ne pas déranger les gens en plein endormisse­ment. Il tombe à plusieurs reprises sur les jeunes amoureux. En train de rire ou de s’embrasser, loin au-dessus du monde. Sur des strapontin­s ou debout au bar du wagonresta­urant. Vers 2 h du matin, tout le monde dort, il ne reste plus qu’eux, une partie du staff et deux ivrognes. Le passage de la frontière risque de réveiller les dormeurs les plus fragiles, mais le contrôleur profite de cette diversion pour s’approcher du jeune couple. Il leur chuchote de le rejoindre dans le wagon de première classe (p. 38). Un peu effrayés et enivrés par le sommeil, ils s’exécutent. Une fois en première, ils observent avec envie les couchettes aux matériaux accueillan­ts, les bouteilles d’eau et les savons de qualité. Le contrôleur a disparu, ils s’apprêtent à repartir. Mais une main surgit de derrière une porte de couchette et les jette brutalemen­t à l’intérieur. Le garçon nerveux proteste, mais comprend vite qu’ils ne risquent rien. Le contrôleur leur sourit, leur souhaite une bonne nuit, leur demandant simplement de sortir une heure avant l’arrivée en gare.

“LE TRAIN DÉMARRE, PLEIN COMME UN OEUF. LE CONTRÔLEUR COMMENCE SA RONDE”

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Aude Walker rédactrice en chef

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