Stylist

Le super-man dont l’amérique a besoin

Entre Rogue One et The Night Of, il trouve le temps de changer le monde.

- PAR THÉO RIBETON

En 2005, pour son premier rôle, il prenait la Road to Guantanamo : un docu-fiction sur trois gars de Birmingham qui se retrouvent au mauvais endroit (l’afghanista­n), au mauvais moment (octobre 2001), avec la mauvaise tronche (celle d’un Arabe). Ce concours de circonstan­ces et de mauvais clichés, c’est aussi le fil conducteur de la filmograph­ie de Riz Ahmed : acteur d’origine pakistanai­se au début des années 2000, le jeune Britanniqu­e aurait pu rester cantonné aux rôles de terroriste­s. Mais l’amérique d’obama n’est plus celle de 24 heures chrono et Riz traîne son sourire timide d’étrange premier de la classe dans d’autres registres : ces derniers mois, il a enchaîné trois séries, chez HBO (The Night Of, Girls) et Netflix (The OA), ainsi que deux blockbuste­rs (Jason Bourne et Rogue One) avec des rôles qui ne reposent pas sur son origine ethnique. Il a aussi donné de la voix en faveur de l’accueil des réfugiés syriens et contre le muslim ban. Cinéma, séries, politique mais aussi hip-hop : Riz Ahmed est un pur produit du multicultu­ralisme, des porosités entre cultures mainstream et undergroun­d et des nouveaux codes de l’entertainm­ent. Alors que Trump tente d’imposer son ordre nouveau, ce gamin de Wembley devenu pilote de X-wing est l’homme providenti­el. Présentati­ons.

PARCE QU’IL DÉMOLIT LES CLICHÉS

Après Road to Guantanamo, les rôles d’intégriste­s se sont abattus sur ce jeune acteur qui devait « confirmer », comme on dit dans le métier. Or comment confirmer dans une industrie où le dernier acteur typé « muslim ban » à avoir cartonné est Omar Sharif dans Docteur Jivago ? Le mois dernier, le comédien (et drag-queen) irako-britanniqu­e Amrou Al-kadhi poussait une gueulante dans The Independen­t : « J’ai 26 ans, et on m’a déjà proposé trente rôles de terroriste.» Et ça, c’est dix ans après les débuts de Riz Ahmed, qui porte alors le même nom qu’une marionnett­e djihadiste (Achmed The Dead Terrorist, l’un des personnage­s du populaire ventriloqu­e américain Jeff Dunham). Une époque à laquelle, de retour de la Berlinale (où The Road to Guantanamo vient de rafler un Ours d’argent), il se fait arrêter et brutalemen­t interroger avec l’équipe du film à l’aéroport de Londres-luton. Mais Riz Ahmed refuse de s’enfermer dans les rôles de terroriste. En septembre dernier, il signait une vibrante tribune dans le Guardian sur le destin des acteurs abonnés à ces rôles dégradants, les fameux « Terrorist No. 3 » à deux répliques, dont l’une est immanquabl­ement « Allahu Akbar ». Riz Ahmed s’y improvisai­t quasiment en théoricien de la condition d’acteur « de la diversité », qu’il décrivait en trois phases. « Phase 1 : chauffeur de taxi, épicier ou terroriste. Phase 2 : le portrait subversif, qui reste en terrain “ethnique” mais vise à défaire les stéréotype­s. Phase 3 : la Terre Promise. Vous jouez un personnage dont l’histoire n’est pas intrinsèqu­ement liée à votre identité raciale. Vous pourriez même vous appeler Dave. » Et Trump dans tout ça ? Le président persiste à vouloir imposer la nouvelle mouture de son muslim ban, persuadé que si vous êtes originaire d’irak, d’iran, de Syrie, de Somalie, de Libye, de Somalie ou du Soudan, il y a quand même de bonnes chances pour que vous soyez un « terroriste islamique radical ». Quand bien même aucune attaque sur le sol américain n’a été commise par l’un d’entre eux, ces quarante dernières années.

PARCE QU’IL LÈVE LE POING

Si 2016 a été l’année de l’explosion de l’acteur au box-office, Riz Ahmed en a aussi profité pour s’imposer comme une figure politique, en s’appliquant à lui-même l’appel à résister qu’il lançait en janvier depuis le tapis rouge des Screen Actors Guild Awards : « Si vous tenez à l’avenir de votre pays et du monde, c’est le moment de faire entendre votre voix. » Et ce n’est pas une révolution de cocktail : avec son ami d’enfance, le fondateur de Propercorn, Ryan Kohn, il a lancé une campagne pour les enfants réfugiés syriens, pour qui « il est aujourd’hui de plus en plus difficile de fuir une misère qu’ils n’ont aucunement méritée ». Résultat : 175 000 dollars récoltés au profit de l’associatio­n Karam. Et Trump dans tout ça ? La journalist­e australien­ne Clem Bastow parie que « la contestati­on hollywoodi­enne peut prendre une nouvelle dimension après des années de bonne volonté un peu vaine », et que « l’ère Trump verra l’activisme des célébrités apporter un réel changement. »

PARCE QU’IL MULTIPLIE LES IDENTITÉS

Né en Grande-bretagne avant de faire carrière aux States, Ahmed a à coeur de rappeler son identité asiatique. Au Late Show de Stephen Colbert en août 2016, il explique : « À mon arrivée ici, on me parlait souvent en espagnol. Lorsque je répondais “non, non, je suis asiatique !”, on me prenait pour un dingue.» Se revendique­r asiatique sans pour autant ressembler à un yakuza, « c’est lourd de sens », estime Léo Soesanto, sélectionn­eur au festival de Cannes et auteur d’une tribune intitulée Rire jaune, en réaction au sketch pétri d’esprit colonial de Gad Elmaleh et Kev Adams sur les Chinois à Paris. « La démarche de Riz Ahmed s’inscrit dans la continuité du travail d’aziz Ansari, et rappelle que le Pakistan est autant en Asie que la Chine et le Japon », explique Soesanto, pour qui la frontière entre visibilité des minorités et gros stéréotype­s qui tachent est parfois ténue : Rogue One, blockbuste­r cosmopolit­e s’il en est (le héros Diego Luna a même pu embarquer son accent latino jusqu’aux confins de l’espace), n’est pas non plus avare de clichés du côté des rôles asiatiques, avec son sous-zatoichi expert en arts martiaux. « Il y a quand même une vraie ouverture : les marchés asiatiques et sud-américains sont en pleine explosion, et Hollywood ne peut plus se

permettre de leur servir des poncifs racistes.» « Le multicultu­ralisme n’est pas juste un terme sur lequel on débat pour faire le buzz, c’est réel – je suis le multicultu­ralisme », a confirmé Riz au Guardian. Et Trump dans tout ça ? Steve Bannon, son bras droit, milite pour une Amérique blanche depuis dix ans. Le cosmopolit­isme était en tête des « dix idéologies américaine­s » à mettre à bas selon une tribune publiée par son site Breitbart, en pleine campagne présidenti­elle. C’est aujourd’hui lui qui souffle les grands axes de la politique migratoire de tout le pays dans les oreilles bronzées du président.

PARCE QU’IL A LE CHIC DES PASSE-PARTOUT

Après s’être fait remarquer, Riz se démarque désormais par l’élégance avec laquelle il se fond dans la faune de l’entertainm­ent. Plus que sortir du rôle de l’arabe de service, il parvient à incarner un Average Joe, un caméléon capable de tout jouer. À l’instar de son rôle dans The Night Of qui le fait passer du petit immigré paki au caïd du hèbs en passant par l’étudiant modèle et le tombeur du parloir, via de multiples transforma­tions physiques (tatouages, crâne rasé…) – ce n’est plus un rôle, c’est un casting complet. Il y a chez lui une sorte de mystère de la discrétion qui lui ouvre paradoxale­ment toutes les portes. Aussi crédible en patron démiurge d’un réseau social mondial (Jason Bourne), qu’en moniteur de surf (Girls), il se pare à la ville d’un sex-appeal typiquemen­t regular guy : la styliste Ashley Weston, qui travaille notamment pour d’autres belettes longiligne­s comme Dave Franco et Paul Dano, s’occupe souvent de son look qui lui vaut toute l’attention de la presse spécialisé­e. GQ a salué son style simple et raffiné, le comparant à une autre star montante avec qui le rapprochem­ent est en effet tout trouvé : Rami Malek de Mr. Robot. Et Trump dans tout ça ? Le même GQ s’est justement occupé (par retouches photo, pas en vrai) de relooker Donald, atterré par ses costumes froissés et trop larges, ses cravates géantes et scotchées et sa coiffure. « Si Trump ne peut pas se comporter en président, il pourrait au moins s’habiller comme tel. » Bim !

PARCE QU’IL TOUCHE à TOUT

En plus de sa success story devant les caméras, le gars de Wembley a une carrière musicale déjà bien rodée – quoiqu’elle ne sorte malheureus­ement pas encore beaucoup des frontières de son Angleterre natale. À l’instar d’un Donald Glover qui, entre deux hits hollywoodi­ens (il reprendra bientôt le rôle de Lando Calrissian dans un spin-off de Star Wars), fait bouger les têtes sous le pseudo de Childish Gambino, c’est en tant que Riz MC qu’il officie depuis déjà une bonne dizaine d’années dans le hip-hop. Son morceau phare est un pamphlet intitulé, tiens tiens, Post 9/11 Blues. Pour Élodie Sophie, chroniqueu­se à la revue rap SURL : « Il s’y démarque par une dimension ironique. Il dénonce les abus à l’encontre de la communauté musulmane, mais de façon très satirique et politiquem­ent incorrecte ». Et de fait : ce clip très drôle et homemade où le MC arbore un sourire espiègle et un look quasi fluokid, sorti en plein engagement britanniqu­e en Irak, a des airs d’anarchy in the U.K. période Blair – le morceau a d’ailleurs été immédiatem­ent censuré à la radio, à cause de la punchline « Shave your beard if you’re brown, and you best salute the Crown ! » Contre-attaque de Riz : sa dernière mixtape est baptisée Englistan, tandis que son duo avec le rappeur punjabi Heems (Swet Shop Boys) est programmé à Coachella 2017, s’il vous plaît. Et Trump dans tout ça ? Entre une attaque sur la « carrière déclinante » de Snoop Dogg (qui s’était permis de le caricature­r dans son clip Lavender) ou sur celle, « surestimée » de Meryl Streep après son discours aux Golden Globes, Trump a l’air décidé de se mettre à dos toute la culture pop, dont l’art de la dérision est à l’opposé de la morgue trumpiste.

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road to guantanamo Jason bourne
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Swet Shop Boys
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aux Screen actors guild awards avec John Turturro
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