Stylist

Bravo ma cocotte

Les filles cool portent du rose

- Beaulieu Par Denyse

C’est un rose pétant. Pétasse. Tellement kawaii qu’il en devient kickass. Le rose des pink pussyhats, ces beanies à oreilles de chat qui ont transformé les manifs anti-trump de janvier en flashmobs au rayon Barbie de Toys“r”us. Tricotés par milliers en pied de nez à l’improbable président des USA, qui s’était vanté « d’attraper les femmes par la chatte », ces bonnets phrygiens version Millennial ne sont pas qu’un signe de ralliement féministe. « It’s a girly thing so fuck you », résumait dans un tweet la journalist­e Laurie Penny, auteure de The Bitch Doctrine. Les commentate­urs ne se sont d’ailleurs toujours pas remis que l’une des égéries du mouvement #Resist bosse pour Teen Vogue. Sommée de s’en tenir aux chiffons par un animateur ultraconse­rvateur de Fox News, Lauren Duca a riposté en créant la chronique « Thigh-high Politics » (la politique en cuissardes). Comme quoi, on peut à la fois vouloir sauver le monde et craquer pour un vernis glitter, les petites soeurs de Buffy The Vampire Slayer le savent bien… Ce que le pink pussyhat a de jouissif, c’est justement ça : cette façon de détourner avec humour, en les revendiqua­nt, des trucs méprisés parce qu’ils sont féminins. Comme le tricot (ne jamais sous-estimer le potentiel subversif d’une activité qui s’exerce avec deux grandes aiguilles). Ou le rose, dont l’historien Michel Pastoureau nous rappelle qu’il n’est pas voué par nature à un genre : les bébés filles ne le portent que depuis les années 30. De même, rien n’interdit de revendique­r le parfum. Un produit féminin par excellence, qui n’a jamais peur d’en faire trop pour faire sentir sa présence. Plus girly-so-fuck-you, sincèremen­t, on ne voit pas. D’où ce panorama de senteurs pour filles en pétard.

Nasty flowers

La couturière Elsa Schiaparel­li s’y connaissai­t en bibis imbitables : les siens, en forme d’escarpin ou de côtelette, étaient dessinés pour elle par son BFF Salvador Dalí. Le rose des pussyhats ? C’est elle qui l’a baptisé shocking. « Éclatant, impossible, impudent », écrira-t-elle dans ses mémoires, ce rose lui inspire en 1937 un parfum du même nom, désormais disparu des rayons. Un jus pink et pussy qui mêle à la rose des senteurs fauves de culottes à froufrous, coulé dans un flacon en buste de couturière précédant d’un demi-siècle celui de Jean Paul Gaultier. Avec Fracas, en 1948, le premier nez féminin signalé au radar lui offre une petite soeur chez Robert Piguet. Belle, blonde, gouailleus­e, Germaine Cellier avait, dit-on, un caractère de chien (traduction : du caractère). Ça se sent dans Fracas, qui fait pousser les hauts cris à la fleur la plus bitch du jardin : la tubéreuse. Culte aux USA, son sillage à la fois voluptueux et mordant séduit les divas, de Marlene à Madonna en passant par Isabelle Huppert, qui a même été l’égérie d’une édition limitée en 2012. Peu prisée durant les Trente Glorieuses, où la libération des femmes s’exprime par de printanièr­es notes vertes, la peu subtile tubéreuse s’impose à nouveau dans l’ère Cyndi Lauper, où les Girls just want to have fun avec Poison de Dior. Ancêtre venimeux des fruités floraux avec son accord fruits rouge, l’original de 1985 s’est laissé éclipser par sa variation de 1998, Hypnotic Poison. Signée par Annick Menardo, fille spirituell­e de la grande Cellier, cette compositio­n « plus méchante encore que l’original » (dixit son auteure) est d’autant plus subversive que son jasmin sambac poudré de vanille planque sous ses candides pétales la toxicité de l’amande amère. Un gourmand pour empoisonne­use qui cache à peine son jeu.

Pussy Power

En 2010, les zoologues du Bronx Zoo découvraie­nt qu’obsession for Men de Calvin Klein avait le même effet sur les jaguars, les pumas ou les tigres que l’odeur du bacon sur le mâle américain. La faute à la civettone, molécule issue des sécrétions de la civette (ingrédient traditionn­el en parfumerie, aujourd’hui remplacé par des produits de synthèse). Et, certes, de la panthère qui pose sa patte dans la pub Miss Dior de 1947 au spot de la star blaxploita­tion Lola Falana pour Tigress de Fabergé en 1975 (googlez-la, vous nous remerciere­z), le parfum a souvent joué des affinités entre le félin et le féminin. Comment invoquer aujourd’hui sa Catwoman intérieure ? Dans La Panthère, Mathilde Laurent, parfumeur-maison de Cartier, love un musc fauve autour d’un gardénia crémeux aux accents de rhubarbe et de mousseron. Face à cette fleur griffée au sillage qui déchire, la rose fraîche de Grace by Grace Coddington, avec son capot rond en forme de pussyhat dessiné par Fabien Baron, ferait presque figure de petite chose sans épines. Mais comme la chose en question a été conçue par la flamboyant­e ex-directrice artistique de Vogue US avec Comme des Garçons, on subodore que cette rose enjouée comme un chaton, taquinée par une touffe de menthe et de basilic, ne fait que rentrer ses griffes.

BONBONS intellos

Le parfum est-il soluble dans le féminisme ? Lorsqu’elle imagine une suite à Anaïs Anaïs, vendu depuis 1978 comme le premier parfum des jeunes filles, Annette Louit, DG des parfums Cacharel, s’interroge : « Au milieu des années 80, nous émergions à peine de l’ère de la libération de la femme, et le caractère féministe est contraire à la féminité vraie », affirme-t-elle dans Parfums de légende (éd. Bartillat). Or si la vanille et la fleur de tiaré attendriss­ent dans Loulou (1987), l’impérieuse tubéreuse de Poison, c’est une authentiqu­e icône féministe qui l’inspire : la star du cinéma muet Louise Brooks, dont les mémoires publiés en 1982 dévoilaien­t, sous sa beauté de femme-enfant, l’intelligen­ce foudroyant­e et rebelle… Avec Candy en 2011, c’est une Léa Seydoux en full mode pestouille que convoque Miuccia Prada dans une série de clips signés Jean-paul Goude, puis Wes Anderson qui, lui, réinvente le trio amoureux de Jules et Jim, version kawaii. Rose shocking, dessin girly de l’étui, accord caramel où Daniela Andrier, nez complice de Prada, dévoile que le benjoin, noble résine aux facettes vanille et cannelle, aspire secrètemen­t à devenir bonbon. Lors de son lancement, Candy a choqué par son contraste avec la série des Infusions, compositio­ns d’un chic que ne renierait pas la bourgeoise milanaise la plus coincée du tweed. Ce serait oublier que le travail de Miuccia Prada, ex-militante du PC italien (elle se rendait aux manifs en Saint Laurent, dit-on), est très explicitem­ent traversé par les tensions entre féminité et féminisme et par la poursuite d'une séduction intelligen­te… Mais aussi par le tirailleme­nt entre le bon et le mauvais goût. Girly, mauvais esprit, délibéréme­nt racoleur, Candy résout le paradoxe féministe/féminin en nous collant un caramel.

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Wanda Nylon. Jeremy Scott.

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