POUR VOUS, C’EST UN SIMPLE PAYSAGE MAIS POUR EUX…
Vous ne voyez qu’une carte postale sans intérêt ? Ne bougez pas, Stylist vous fait changer de paysage.
Vous êtes au milieu de vos amis, rassemblés devant un panorama somptueux. Chacun y va de son commentaire : « Wahou », « Quelle lumière ! », voire « C’est dingue, on se sent tout petit, non… ». Jusqu’à ce qu’un de vos potes se mette à vous décrire ce qu’il voit lui : des strates géologiques bien marquées, de belles roches sédimentaires et les vestiges de la tectonique des plaques. Une saillie qui vous a vraiment fait vous sentir tout petit mais qui vous a fascinée. Un peu comme un super-pouvoir à la Matrix qui donnerait à certaines personnes la capacité de voir des glyphes vert fluo qui s’ordonnent parfaitement pendant que vous vous prélassez dans une vision parcellaire de la réalité. Sur cette image, vous ne voyez qu’un charmant vallon où vous pourriez passer vos vacances ? On a demandé à quatre personnes de nous donner leur vision singulière à eux.
UN PAYSAGISTE JÉRÉMY BOIS, CO-FONDATEUR D’OH MON JARDIN (OHMONJARDIN.FR ).
Sa première impression Le champ de blé doré au premier plan, le verger d’olivier accroché, la vigne peignée et bien sûr la villa typique avec son toit plat et son allée de cyprès dressés en militaires comme pour accueillir le visiteur… C’est la Toscane !
Ce qu’il en ferait J’essaierais de le reproduire chez moi. Le concepteur que je suis s’attache à maintenir ce qui caractérise un paysage. Les éléments constitutifs sont donc bien évidemment à conserver. L’association de plantes méditerranéennes combinée à un dessin géométrique, lui-même associé à quelques maçonneries, assure une continuité de ce paysage dans votre jardin. Un pittospore du Japon, un buis commun ou quelques citronniers en pots. Pour la touche florale, on tolérera quelques agapanthes blanches.
Ce qu’il n’en ferait pas Pitié, pas de rond point fleuri au détour d’une route (quelle horreur !) ni cette haie dite « paysagère », que l’on plante de plusieurs arbustes de variétés différentes pour donner une masse informe aux couleurs de l’arc-en-ciel.
Son flash-back À Florence : plutôt que d’acheter un objet dans une boutique de souvenirs, j’ai dérobé de l’ail éternel dans le mythique parc de Boboli, une plante qui produit des fleurs ressemblant à des petits oignons. Pas très fier du larcin… en retour de karma, l’odeur m’a poursuivi toute la fin du voyage : le parfum n’est parti qu’une fois le bulbe planté et les affaires lavées. UN MILITAIRE GÉNÉRAL VINCENT DESPORTES (LADERNIÈREBATAILLE DE FRANCE, GALLIMARD, 2015)
Sa première impression D’abord, les informations que l’image me donne et celles dont elle me prive. La photo est assez claire sur ses avantages et inconvénients militaires, mais elle n’indique pas l’emplacement exact des coupures humides (des cours d’eau, NDLR) qui doivent cependant être présentes. Elles jouent un rôle important dans toute conception tactique.
Ce qu’il en ferait Le terrain est coupé par des crêtes et des forêts. Il est donc plutôt favorable à la défense qui, si elle n’a pas pu défendre « à l’avant », pourra conduire un combat retardateur. Mais attention, car il est aussi ouvert, et une force en défensive y serait donc très exposée aux coups venant de la troisième dimension (les airs, NDLR).
Ce qu’il n’en ferait pas Les difficultés que je repère sont les suivantes : les zones sensibles sont toujours les points de contrôle de la zone, et les points de passage obligé, donc ici les hauteurs, les cols, les ponts et les lisières. Or l’absence d’agglomération empêche d’y organiser des points de défense solides.
Son flash-back Dans une temporalité parallèle… le paysage est assez caractéristique des pays européens et n’est pas sans rappeler les espaces dans lesquels il aurait fallu se battre entre Rhin et rideau de fer – si la troisième guerre mondiale avait éclaté avant 1989. UN CONCEPTEUR DE JEUX VIDÉO PIERRE ANDRÉ, GAME DESIGNER AU STUDIO DOUBLE JACK.
Sa première impression Il y a un truc très invitant, paisible et mystérieux, qui me rappelle la vision naïve et idéalisée de l’europe dans l’animation japonaise, genre Monster ou Porco Rosso.
Ce qu’il en ferait C’est un endroit où j’ai envie de rencontrer des personnages et d’écouter des histoires, où tout est fait avec soin, spécialement pour moi. Je ne veux pas aller partout dans ce décor, mais je veux que tout ce que j’y ferais ait ce goût d’exploration. Du walk & talk sympa, historique, investigatoire. Chercher dans les vignes un ancien curé pour le convaincre de me parler d’un type que je poursuis, ou montrer un manuscrit à un marchand d’art pour qu’il m’aide à le comprendre. Un parfum de « quand il faisait bon vivre » mais avec une aventure, un mystère qui fasse voyager et pousser des portes.
Ce qu’il n’en ferait pas Ça me fait clairement penser au début du XXE siècle, mais je n’ai pas envie d’y voir une colonne de Panzer labourer les collines ou de trouver des gens planqués sous le plancher de la gentille ferme aux cyprès. La seule
action acceptable je pense, c’est prendre la grande courbe en Delahaye avec un casque en cuir et des grosses lunettes.
Son flash-back Un jeu qui vient d’être montré, beaucoup plus sombre, dans lequel le joueur traverse les Étatsunis durant la crise de 1930, rencontre des personnages sur la route et échange (littéralement) des histoires avec eux – ce qu’ils appellent les « Folk Tales ». Ça parle d’identité américaine, ça s’appelle
Where the water tastes like wine, et c’est exactement le genre de jeu auquel je jouerais là-dedans, mais du coup en Europe. UNE INSTAGRAMMEUSE BÉNÉDICTE REITZEL-NIELSEN A.K.A @WANDERWONDERS, CONTRIBUTRICE DE PATHPORT, LES PREMIERS GUIDES DE VOYAGE BASÉS SUR INSTAGRAM
Sa première impression Ça me transporte immédiatement en Italie, plus précisément en Toscane ; le paysage montagneux, les couleurs, les cyprès, les champs de blé... et c’est loin d’être une référence cinématographique hautement culturelle mais je ne peux m’empêcher de penser au film Gladiator avec Russell Crowe.
Ce qu’elle en ferait Les Tocs sont nombreux sur Insta et la monochromie en fait partie : je pense que je me serais approchée un peu plus afin de couper les champs de blé et rester dans les tons sur tons verts uniquement. Et puis j’aurais partagé l’histoire derrière la photo : comment je suis arrivée à ce point de vue, l’effet que le paysage a provoqué. Quelque chose qui élargit le champ de compréhension et dépasse le simple aspect rêveur.
Ce qu’elle n’en ferait pas Les hashtags à proscrire à tout prix : #nofilter (quelqu’un y croit encore ?), #blessed #liveauthentic ou #inspiring. De même que la citation pourrie trouvée sur Evene avant de poster : « Suivez vos rêves, ils connaissent le chemin. »
Son flash-back Il est un peu flou : quand on passe beaucoup de temps sur Instagram (spoiler alert : c’est mon cas), on développe une sorte d’immunité par rapport à ce genre d’image de rêve. Il y en a beaucoup. Et parfois, au lieu de me laisser transporter ou inspirer tout simplement, je me surprends en train d’analyser, d’essayer de deviner quel filtre ou quels outils d’editing ont été utilisés…