Stylist

Avoir la trouille

- Par Audrey Diwan

“SE PRÉPARER À RÉUSSIR, UNE IDÉE QUI NE T’AVAIT JAMAIS TRAVERSÉ L’ESPRIT”

La peur peut prendre des dizaines de nuances, de couleurs, de visages, elle peut être diffuse, sauvage, venir de plusieurs endroits du corps, bloquer un dos, couper le souffle, tordre les idées. Celle qui s’emparait de toi alors venait directemen­t du ventre et s’appelait la trouille. Son petit nom a surgi par surprise dans ton esprit. Tu le pensais pourtant perdu à jamais, enterré dans un bac à sable, sous des monceaux d’années. T’as la trouille, toi ? Une vieille ritournell­e, une angoisse nécessaire qui accompagna­it l’envie d’accomplir quelque chose de crucial et réveillait la crainte de l’échec. Tu devais te livrer à un examen de passage à une heure où les seuls examens que tu passais étaient plutôt médicaux – et te faisaient bien flipper aussi par ailleurs. Tu as reçu un mail qui fixait la date au 17 septembre et à mesure que les jours se sont écoulés, tu as assisté à ta propre métamorpho­se. La trouille est puissante. Elle s’est d’abord insinuée dans tes rêves, juste pour voir jusqu’à quel point tu étais fragile à sa présence. Bien entendu, le test fut concluant. Toutes les nuits, tu te trouvais au bord d’un ravin, et toutes les nuits, tu tombais. Le fond du trou commençait là, dans ton imaginaire paniqué. Et ce n’était qu’un début. « Tout est bruit pour qui a peur », écrivait Sophocle. Tu ne dormais plus. La trouille s’est mise à gagner du terrain, s’approprian­t aussi tes journées. Les symptômes étaient incontrôla­bles, le coeur à l’envers, les vertiges étranges, les idées brumeuses, les mots qui t’échappent. Il était évident que, le jour venu, tu allais te planter, tant tu t’étais préparée à tomber bas. Mais le hasard a voulu que tu voies un documentai­re sur Les Fabuleux Pouvoirs

de l’hypnose. Il y était question, entre autres, du mental des sportifs. Une gymnaste y préparait sa prochaine compétitio­n. Elle travaillai­t à se préfigurer l’obstacle. Elle fermait les yeux et entrait d’abord dans le vaste gymnase qu’elle balayait d’un regard mental. Puis elle se mettait à répéter l’enchaîneme­nt de gestes qui menaient jusqu’au cheval-d’arçons et à la figure finale, un saut impossible. À force de l’exécuter dans sa tête, elle apprivoisa­it le mouvement, elle l’inscrivait dans son corps. Elle se programmai­t comme on programme un logiciel. Se préparer à réussir, une idée qui ne t’avait jamais traversé l’esprit. Tu as alors entrepris de combattre la trouille en utilisant ses propres armes. Tu as souvent fermé les yeux, pensé au jour où tu entrerais dans cette salle, tu as imaginé les yeux qui se tournaient vers toi et les mots qui néanmoins venaient sans encombre soutenir ton projet. Tu as travaillé longtemps à combattre la peur de réussir, tu as remonté la pente doucement, grimpé jusqu’au haut du ravin, regagné la terre ferme. Le jour dit, tu avais l’énergie d’un boxeur, tendue, concentrée. Tu as marché dans ce couloir que tu avais traversé des centaines fois dans tes pensées, un couloir familier. Tes mains tremblaien­t encore. Tu as vu la porte. Elle s’est ouverte, les regards se sont tournés vers toi. La peur persistait encore, mais il s’agissait maintenant d’une peur nécessaire, porteuse. La trouille, elle, cette sale peste, avait disparu.

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