LIVRE VOUS AVEZ DIT PRINTEMPS ?
Il y a deux ans, Lamia Ziadé publiait Ô nuit, ô mes yeux, grand imagier d’un monde arabe glamour et sulfureux, fait de chanteuses à clopes, de comédiens colériques, de spectacle, de modernité, englouti depuis par les guerres et le conservatisme (l’histoire s’arrêtait dans les années 70). Pas avare de titres à tomber, l’artiste franco-libanaise sort aujourd’hui son pendant sombre : Ma très grande mélancolie arabe. On y traverse des pays exsangues, des « blasts d’explosions », Septembre noir, la pendaison d’hussein et tout un fleuve de sang qui remonte des entrailles de l’histoire, jusqu’aux premiers martyrs. La forme pourtant n’a pas changé : pas du roman graphique stricto sensu, mais du récit illustré,
des échanges de texte et d’illustrations nuageuses, qui font défiler le grand tissu de douleur du Proche-orient comme un mauvais rêve façon Valse
avec Bachir. Le récit prend la forme d’un voyage, au Liban puis tout autour, percé de souvenirs personnels (la mort d’arafat : « Tu étais à New York, ce jour-là ») ou glanés (« C’est Abbas, dit le marchand amusé par ton ignorance. Et il te raconte la bataille de Kerbala comme tu ne l’avais jamais entendue. Écoute… »). On pourrait dire que c’est un récit subjectif « à la première personne », sauf justement qu’il est raconté avec la deuxième – procédé finaud et pénétrant, où Ziadé, en se baladant dans sa mémoire, semble s’interpeller elle-même comme une autre personne, en même temps qu’elle s’adresse puissamment à nous et nous invite dans sa propre peau. Derrière un tel travail (400 pages d’une richesse dingue), il y a une démarche décisive : reverser de la poésie et de l’imaginaire dans l’histoire politique. Peut-être une vogue : au même moment, La Revue Dessinée et les éditions La Découverte lancent l’histoire dessinée
de la France, série de collaborations entre un historien et un dessinateur – vingt volumes prévus dont deux déjà parus. De quoi rendre l’histoire bouleversante à vos risques et périls – car comme le dit un passant à Ziadé en ouverture, « si vous aimez la mélancolie des cimetières, vous n’êtes pas sortie de l’auberge ». T.R. Ma très grande mélancolie arabe de Lamia Ziadé, P.O.L., 414 p., 36 €. La Balade nationale, de Sylvain Venayre et Étienne Davodeau,
L’enquête gauloise, de Jean-louis Brunaux et Nicoby, La Revue Dessinée & La Découverte, 22 €.
Une histoire arabe intime, vivace, personnelle : Lamia Ziadé surligne le « Proche » dans « Proche-orient ».