Stylist

on aura toujours à moitié raison avec l’adn

Vous avez envie de tester votre ADN pour savoir d’où vous venez ? On connaît déjà le résultat : ce n’est pas une bonne idée.

- Par Raphaëlle Elkrief

Avant, quand vous étiez quelqu’un de connu, vous deviez, pour jouer le jeu de la célébrité, raconter en interview des détails gênants de votre intimité, faire semblant de ne pas voir les paparazzi cachés à la sortie de votre hôtel, voire négocier un gros billet pour la publicatio­n de vos photos de mariage. Puis un nouveau pas a été franchi : désormais les people se soumettent à des tests ADN pour découvrir, face caméra, le grand récit de leurs origines. Des mises en scène qui font le succès de l’émission Finding your Roots. C’est dans ce show, qui entame sa quatrième saison sur la chaîne américaine PBS, qu’on a appris que Bernie Sanders est un cousin lointain du comique Larry David (ça tombe bien, on les confond), que la réalisatri­ce Ava Duvernay est à plus de 50 % africaine, ou que Scarlett Johansson a perdu de la famille dans le ghetto de Varsovie. Un succès qui a hissé L’ADN au rang d’outil idéologiqu­e. Alors que les antiracist­es s’en servent pour souligner l’importance des métissages chez tous les individus, les suprémacis­tes américains l’utilisent pour prouver la pureté de leur lignée. Stylist vous explique comment L’ADN est parti en vrille (une private joke pour biologiste­s).

LE GRAND ESPOIR ANTI-RACISTE

Depuis vos voyages initiatiqu­es sur les traces de votre grand-mère dans les montagnes berbères, vous êtes pétrie de certitudes inébranlab­les concernant vos origines ? C’était aussi le cas de Carlos « 100 % cubain » ou d’ellaha, jeune réfugiée kurde en Iran, qui avait un peu de mal avec les Turques. Puis, ils ont participé à une grande enquête menée par l’agence de voyages Momondo. Et le détail de leur ADN a fait voler leurs conviction­s en éclats : Carlos a

des ancêtres en Afrique et en Europe de l’est et Ellaha dans le Caucase. Un joli fond musical, des applaudiss­ements, beaucoup de larmes : la mise en scène de The DNA Journey atteint son objectif. Montrer qu’il « n’y aurait plus d’extrémisme si les gens connaissai­ent leur héritage » puisque « nous sommes tous cousins au sens figuré ». Une conclusion censée abolir la pensée raciste à laquelle était déjà arrivé, en avril 2003, le Human Genome Project, grand programme internatio­nal qui, pendant treize ans, a cherché à décoder le génome humain : les êtres humains partagent tous 99,9 % de leurs gènes. Dans le siège de ces découverte­s, de nombreux labos proposent des analyses individuel­les, à partir d’échantillo­ns de salive, et font exploser le marché du séquençage génétique. Des sociétés comme 23Andme (filiale de Google aux 2 millions de clients) ou African Ancestry (appartenan­t au généticien afro-américain Rick Kittles et à la businesswo­man Gina Paige) se mettent à séquencer L’ADN du grand public. Des tests qui peuvent retracer vos origines juives (igenea) ou natives américaine­s (Family Tree DNA). « C’est la chute du coût de ces technologi­es qui explique l’essor de ce nouveau business, note Philippe Huneman, philosophe des sciences et directeur de recherche au CNRS. À la fin des 90’s, il fallait des millions de dollars pour séquencer un génome. Aujourd’hui, on peut le faire pour 1 000 €, bientôt 100.» Mais l’argument économique ne suffit pas à expliquer le succès de ce nouveau filon, qui draine des milliers de nouveaux clients chaque année. « Nombre de ces sociétés ont été lancées par des personnali­tés afro-américaine­s, explique Louis-georges Tin, président du CRAN, le conseil représenta­tif des associatio­ns noires de France. Comme un orphelin qui cherche à savoir qui sont ses parents, les descendant­s d’esclaves veulent combler le chaînon manquant. Une grande violence de l’esclavage a été la perte d’identité et ces nouvelles technologi­es représente­nt un moyen efficace de connaître ses origines.» Une quête très présente dans la population afro-américaine, incarnée notamment par le succès à la fin des 70’s du roman Roots d’alex Haley, qui retrace le parcours d’afro-américains à la recherche de leurs ancêtres et surtout de Kunta Kinte, un personnage devenu, notamment dans le rap américain, le symbole de l’esclavage.

L’ADN, CE GRAND INCOMPRIS

L’histoire pourrait ressembler à un happy end. Nous sommes tous cousins et tout le monde comprend enfin que la « race » n’existe pas. Sauf que. Dans une violente bataille de polymères, L’ADN a été pris en otage par les fachos de tous bords. Qui en ont fait l’argument ultime pour valider le concept de « pureté » génétique. En août dernier, des sociologue­s américains montrent comment

les alt right utilisent désormais les forums et les réseaux sociaux pour exhiber leurs origines, comme sur la plateforme Stormfront, lancée par un ancien du Ku Klux Klan, que vous pouvez rejoindre à la seule condition de prouver que vous êtes « 100 % européen et non juif ». D’autres militants d’extrême droite, comme Richard Spencer, adorent poster des captures d’écran des résultats de leur test génétique bien caucasien sur Twitter, légendé du hashtag #23Andme. Une publicité dont se serait bien passée la firme, contrainte de réagir. Après avoir banni son compte client, la CEO Anne Wojcicki déclare « condamner toutes les formes de racisme. Cela inclut les individus qui utilisent nos tests pour promouvoir leurs messages haineux ». Un usage qui était pourtant à prévoir : « Un même outil peut servir deux propos opposés, explique Claude-olivier Doron, historien et philosophe des sciences. Le discours raciste a toujours utilisé la science comme argument de vérité indiscutab­le et je ne pense pas qu’il soit très stratégiqu­e pour les anti-racistes de mimer leur discours en ayant recours à ces tests ADN. » Objectiver scientifiq­uement la différence entre les individus ne date pas de l’arrivée des tests ADN (remember la couleur de la peau puis la forme du crâne ou la longueur des os du nez). Autre problème, même si évidemment vous avez envie de donner raison au fils d’esclave plutôt qu’au néonazi, les deux ont tort d’attendre trop de ces

tests ADN. Et ce ne sont pas les seuls. Car en prêtant à cette molécule inerte la science infuse (Qui est le tueur ? Cet Américain est-il le fils caché de JAY-Z ? Allez-vous mourir d’un cancer ?), on oublie qu’elle ne peut pas tout nous apprendre. « C’est une fausse promesse, confirme Catherine Bourgain, co-auteure D’ADN superstar ou

superflic (Seuil, 2013). On vous promet un résultat personnel et précis. Or, c’est impossible à obtenir au vu de la façon dont ont été établies les bases de données sur lesquelles s’appuient ces tests. Ces informatio­ns ont été récoltées par des scientifiq­ues à divers endroits de la planète. À partir de ces données, ils ont créé des grandes familles de profils génétiques. C’est ce qu’on appelle la génétique des population­s. Du coup, la seule chose que l’on peut vraiment vous apprendre, c’est que votre séquence ADN s’apparente plutôt à celle rencontrée dans tel ou tel groupe de population. Pas plus. » Et certaineme­nt pas que vous descendez d’un grand chef viking ou autre fantasme de lignée panache.

DONNÉES ULTRA-SENSIBLES

Vous êtes encore un peu perdue sur ce que va pouvoir vous révéler ou pas votre ADN ? Concentrez-vous plutôt sur le vrai danger que représente cette grande collecte de données génétiques qui est en train de s’organiser sans qu’on ne se rende compte de rien. Preuve que ces informatio­ns sont aussi sensibles que les Paradise Papers, la CNIL – qui vient de lancer une collection d’ouvrages sur la sécurité des données pour le grand public – consacre son premier opus aux données génétiques. « L’ADN est encadré par la loi française, mais des forces politiques et économique­s y voient des opportunit­és », prévient Catherine Bourgain. Comme en 2007, quand Thierry Mariani (UMP, Vaucluse, vous avez les mots-clefs ?) proposait un amendement autorisant le recours aux tests ADN pour la délivrance des visas de plus de trois mois dans le cadre du regroupeme­nt familial. Cela vous paraît flippant ? Sachez que grâce à ce type de tests, pratiqués sur n’importe quel suspect, le fichier national automatisé des empreintes génétiques en France possède plus de 2,5 millions de profils génétiques correspond­ants à des condamnés ou simplement à des mis en cause dans des affaires judiciaire­s, y compris des petits larcins. « Quand vous envoyez votre salive à 23&Me, vous acceptez que vos données génétiques soient analysées et conservées, explique le philosophe des sciences Philippe Huneman, mais ce consenteme­nt n’existe pas toujours et cela pose problème.» Comme en 2014, quand l’équateur a accusé des chercheurs d’harvard d’avoir prélevé du sang sur des membres de l’ethnie Waorani : ce petit groupe de 3 000 personnes vivant en isolement en Amazonie équatorien­ne avait la réputation d’avoir des caractéris­tiques génétiques uniques. Un précédent qui oblige aujourd’hui à plus de transparen­ce. Depuis 2010, Duana Fullwiley, chercheuse en anthropolo­gie à l’université de Stanford, suit de près les projets menés pour récolter les données génétiques de nombreuses population­s africaines, le continent bénéfician­t d’une grande diversité (vu que c’est le berceau de l’humanité). Parmi eux, H3africa, The Human Health and Heredity Project, programme internatio­nal de recherche américano-britanniqu­e, qui collabore avec des université­s africaines et dont l’objectif est d’améliorer la compréhens­ion des maladies, en créant un énorme big data D’ADN issu du continent. « La société fait collaborer des scientifiq­ues africains, explique l’anthropolo­gue. Depuis des années, on constate une meilleure inclusion des scientifiq­ues sur place. Mais il reste quelque chose de gênant dans le fait d’utiliser des données prélevées sur les corps d’africains pour améliorer la santé et la médecine pour des individus vivant en Europe ou aux États-unis. Comment être sûr que les bénéfices que va en tirer l’industrie pharmaceut­ique vont aussi profiter aux Africains ? » Malheureus­ement, il n’y a pour l’instant pas de test pour ça.

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LE MILITANT D’EXTRÊME DROITE RICHARD SPENCER LORS D’UNE CONFÉRENCE À WASHINGTON EN 2016
 ??  ?? LARRY DAVID ET BERNIE SANDERS
LARRY DAVID ET BERNIE SANDERS
 ??  ?? L’ANTHROPOLO­GUE DUANA FULLWILEY
L’ANTHROPOLO­GUE DUANA FULLWILEY
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SCARLETT JOHANSSON DANS FINDING YOUR ROOTS
 ??  ?? LA SÉRIE ROOTS
LA SÉRIE ROOTS
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 ??  ?? TRIBU WAORANI, VICTIME D’UN PILLAGE GÉNÉTIQUE ?
TRIBU WAORANI, VICTIME D’UN PILLAGE GÉNÉTIQUE ?
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LE BIOLOGISTE RICK KITTLES

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