La Style List
Objets du désir à portée de main
“L’EXISTENCE EST DEVENUE UNE INTERMINABLE SOIRÉE DIAPO”
Un jour, alors qu’il tripote une trousse Rembrandt dans une boutique de musée, il se dit que c’est la dernière fois. La dernière fois qu’il se fraye un chemin parmi les perches à selfies pour voir un tableau que personne ne regarde, la dernière fois qu’il dîne dans un restaurant dont la devanture est bardée de macarons de guides de voyages, la dernière fois qu’il visite un souk, un flee market, un marché de Noël bondé, une ville transformée en parc d’attractions. C’est dommage. Mais finalement, il préfère voir la fontaine de Trevi quand Anita Ekberg se baigne dedans en robe de soirée, qu’assaillie de touristes qui lui tournent le dos pour faire face au seul objectif de leur vie: celui de leur téléphone. Il ne sait plus exactement quand l’existence est devenue une interminable soirée diapo, ni pourquoi les gens s’habillent comme des clowns burlesques quand ils sont en vacances, mais pour lui, c’est terminé. Il n’ira plus dans les quartiers émergents à la recherche de coins typiques épargnés par le tourisme, ni dans les îles secrètes sans voiture, sans eau, sans route ou sans Internet, ni dans les villages reculés qui ont su garder le charme d’antan. Il ne cherchera plus à savoir quelle est la prochaine destination en vogue, ni à comprendre quels gisements soudains de hype lui ont valu cette faveur empoisonnée (p.32). S’il retourne à Jérusalem, ce sera avec Flaubert qu’il entrera par la porte de Jaffa (même si c’est le moment où l’auteur lâche un pet «voltarien»), il ne retournera à Tanger qu’avec Ginsberg, à New York avec Edmund White, au Portugal avec Pessoa, à Florence avec Stendhal. Le voyage est mort avec la grande littérature et tant pis pour ses yeux qui ne verront pas par eux-mêmes les splendides paysages jonchés de déchets et les majestueux monuments grouillants de familles épuisées, la peau luisante et rougie par le soleil. Il passera ses vacances n’importe où, tiens, à l’hôtel en face de chez lui, ou dans une ville choisie au hasard pour la poésie de son nom, à Altanboulag en Mongolie, ou à Flores Peten au Guatemala. Et puis même pourquoi pas dans une ville sans nom, sans âme, qui n’a rien à offrir d’autre au regard que le triste spectacle de notre époque, celui du tourisme de masse par exemple. Lui, libéré du joug touristique, il ira passer ses prochaines vacances à Venise.