Allumez pour vous souvenir
Petite hantologie des senteurs
Un souffle. Une odeur. Coup au coeur: vous sentez une présence…. Vous vous retournez: personne. Non, cet ex qui vous ghoste n’est pas revenu. C’est son parfum qui vous hante, apparition fugace dans le sillage d’un passant, sur l’écharpe que vous ne lui avez jamais rendue, au col du flacon presque vide qu’il a oublié… Difficile à nommer, souvent sans source visible – surnaturel, en quelque sorte –, le parfum peut susciter un sentiment d’inquiétante étrangeté. Esprit, es-tu là? Ce mot d’«esprit», qui désigne à la fois l’âme, le revenant et le produit de la distillation trahit d’ailleurs la nature spectrale du parfum. Le plus fumeux des produits de luxe est à la fois fabrique de fantasmes et de fantômes, puisqu’il peut rendre présent l’absent ou ressusciter une identité passée… Le plus renommé d’entre eux – dès qu’il s’agit de penser le parfum, tous les chemins mènent rue Cambon – serait d’ailleurs issu d’un deuil. Selon Jean-louis
Froment, commissaire de l’exposition
N°5 Culture Chanel (Palais de Tokyo, 2013), ce serait pour sublimer l’absence de son amant Boy Capel, mort dans un accident de voiture, que Gabrielle Chanel aurait créé son premier parfum. Rappelons qu’en anglais, to channel signifie servir d’intermédiaire aux esprits. Et que par un hasard de casting quasiment paranormal, les deux actrices chargées d’incarner les parfums récemment lancés par Chanel ont interprété au cinéma un personnage de médium (qui, comme l’égérie de parfum, donne à voir l’invisible). Dans Planétarium de Rebecca Zlotowski, Lily-rose Depp, visage de N°5 L’eau, joue la petite soeur extralucide de Natalie Portman, elle-même ambassadrice de Miss Dior. Dans Personal
Shopper d’olivier Assayas, c’est Kristen Stewart qui, en tentant de contacter son jumeau récemment décédé, suscite des apparitions de l’au-delà inspirées des photographies de fantômes de l’époque victorienne. On ne peut s’empêcher de voir dans ces ectoplasmes le double inquiétant des lambeaux vaporeux – bandelettes de momie, bribes de cocon, sillage? – auxquels s’arrache Kristen Stewart dans la pub de Gabrielle. Un parfum au nom d’archange où se déploie le spectre des fleurs blanches (tubéreuse, jasmin, fleur d’oranger, ylang-ylang…) qui ont rendu l’âme pour mieux nous embaumer.