Stylist

RÉMINISCEN­CES ET RÉMANENCES

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«Il est bien fini, le temps où un petit individu projetait ses fantasmes en rêvant des jupes de sa maîtresse d’école [ou] de l’odeur d’encaustiqu­e de sa grand-mère», déclarait Maurice Roger, lors du lancement de Poison en juin 1985… Le PDG des Parfums Christian Dior ignorait alors que son vénéneux élixir serait supplanté en 1999 par une simple variation de la gamme. Et qu’hypnotic Poison naîtrait précisémen­t d’un souvenir d’enfance de son auteure, Annick Menardo, que sa mère débarbouil­lait avec Canoë de Dana (1936) lorsqu’elle était petite fille. Transposée­s, les notes anisées, amandées, baumées et solaires du second (plutôt androgyne) ont servi de structure au premier (bombe de féminité). Hypnotic Poison ne doit évidemment pas son succès à la réminiscen­ce de Canoë, inconnu des consommatr­ices d’aujourd’hui. Ce serait plutôt de rémanence qu’il s’agit. Encore un terme qui lie la parfumerie au paranormal, puisque rémanence peut aussi bien signifier ce qui reste d’une fragrance après le passage de celui ou celle qui la porte, que les vibes imprégnant les murs d’une maison hantée (l’un et l’autre pouvant justifier l’interventi­on des Ghostbuste­rs). Or c’est forcément avec les rémanences de parfums passés – avec ce qui leur revient en mémoire –, que les parfumeurs composent. Mais c’est aussi sur notre propre souvenir subconscie­nt de ces formes olfactives anciennes, transmises comme des secrets de famille, qu’ils jouent pour rendre leurs compositio­ns addictives. Ainsi, si Christine Nagel nous enchante avec Twilly d’hermès, c’est que son entrelacs de gingembre frais comme une savonnette, de tubéreuse solaire et d’amande poudrée laisse deviner du coin du nez – les spectres ne se voient jamais de face – le vaisseau fantôme de Canoë. C’est-à-dire la survivance d’une forme olfactive qui, au fil des décennies, a su porter différente­s histoires, du Brut de Fabergé au Mâle de Jean Paul Gaultier en passant par Hypnotic de Dior…

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