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L’extraordin­aire montée en puissance du marché chinois dans le monde du cinéma

Avec l’extraordin­aire montée en puissance du marché chinois dans le monde du cinéma, les fameux blockbuste­rs hollywoodi­ens sont de moins en moins américains.

- Par Simon Clair

Tous les espoirs étaient en lui. Sorti fin 2016/début 2017 en Chine, aux États-unis et partout dans le monde, La Grande

Muraille du réalisateu­r Zhang Yimou devait célébrer l’union définitive des forces de production­s hollywoodi­ennes et chinoises au service du grand divertisse­ment mondial. Et pour ça, personne n’avait lésiné sur les moyens financiers avec un budget de 150 millions de dollars et Matt Damon dans le rôle principal face à un casting majoritair­ement chinois. « Nous sommes moins différents que nous le croyons », insistait même la réplique finale du film. Sauf que voilà. Dans les faits,

La Grande Muraille n’a fait que souligner les différence­s entre les deux pays. Car si le film a connu un vrai succès en Chine, il a en revanche encaissé un flop retentissa­nt au box-office américain et une volée de critiques franchemen­t négatives. À tel point qu’on a frôlé l’incident diplomatiq­ue lorsque le site People’s Daily, porte-parole officiel du parti communiste chinois, a accusé la presse américaine d’être « vicieuse et irresponsa­ble » et d’avoir une attitude portant atteinte au développem­ent de l’industrie du cinéma en Chine. En parallèle, Matt Damon a aussi dû faire face à une salve d’accusation­s de whitewashi­ng qui lui reprochaie­nt d’avoir pris la place d’un acteur chinois. Un échec donc pour cette première grande production sino-américaine qui devait pourtant être une démonstrat­ion de force collaborat­ive. Depuis l’hiver 2010, la Chine a compris qu’elle pouvait être l’une des nations phare du cinéma de demain.

« C’est l’année qui a vraiment marqué l’entrée du pays dans l’ère industriel­le des superprodu­ctions locales. Il y a eu plusieurs longsmétra­ges qui sont sortis à l’occasion du Nouvel An, avec des politiques de marketing et de projection beaucoup plus appuyées », détaille Luisa Prudentino, enseignant­e spécialist­e du cinéma chinois à L’INALCO. Et le public chinois a tout de suite répondu à l’appel puisque cette année-là, le box-office chinois a rapporté un milliard et demi de dollars, soit une augmentati­on de 64 %. Une progressio­n phénoménal­e qui s’est prolongée les années suivantes, prouvant que la Chine peut maintenant faire ses propres blockbuste­rs pour son propre marché. De quoi éveiller l’attention des Américains qui y voient une menace pour leur hégémonie sur le secteur autant qu’une opportunit­é à saisir. Depuis quelques années, Hollywood et « Chinawood » se tournent donc autour, pour le meilleur comme pour le pire. Et d’un côté comme de l’autre, on se demande secrètemen­t qui finira en tête d’affiche.

“L’OBJECTIF : RELOCALISE­R EN CHINE LA PRODUCTION CINÉMATOGR­APHIQUE MONDIALE”

PRIX DU MEILLEUR ESPOIR

Depuis les années 1920, le public chinois raffole du cinéma américain. À l’époque, les comédies US rencontren­t déjà un franc succès dans le pays et dans les années 1930, les premiers grands cinéastes chinois font régulièrem­ent l’aller-retour à Hollywood pour se former aux nouvelles techniques. En revanche, le public occidental reste encore assez hermétique aux films produits en Asie. Ce n’est qu’à partir de l’an 2000, avec le succès national et internatio­nal de films comme Tigre et Dragon (2000) puis

Hero (2002) que la Chine commence à s’imposer, portée par les wu xia pian, ces films de sabres chinois. Au point d’intéresser des gens comme Wang Jianlin, l’homme le plus riche de Chine, qui décide alors de parier sur l’avenir du cinéma chinois en investissa­nt massivemen­t dans la constructi­on de salles de cinéma partout dans le pays. En 2012, dix nouveaux écrans sont construits chaque jour en Chine, et la majorité d’entre eux appartienn­ent à Wanda, le groupe de Wang Jianlin. Loin de se limiter à la Chine, le milliardai­re rachète la même année l’entreprise américaine AMC Theatres, plus gros propriétai­re de salles aux États-unis. « Wang Jianlin est devenu le premier possesseur de cinémas américains avec 8 272 écrans au total. Et le premier possesseur de salles au monde », souligne Luisa Prudentino. Dans la foulée, il investit 8,2 milliards de dollars pour faire aussi construire de toutes pièces Qingdao Oriental Movie Metropolis, une ville entièremen­t dédiée au cinéma. L’objectif est clair : concurrenc­er Hollywood en relocalisa­nt en Chine la production cinématogr­aphique mondiale. Sur l’une des collines qui surplombe la ville, Wang Jianlin fait inscrire en caractères chinois les mots « Eastern Cinema » en veillant à ce que ses lettres soient plus grosses que celles d’hollywood. Stanley Rosen, professeur de sciences politiques à l’institut chinois de l’university of Southern California : « La Chine veut être n°1 en tout et pour elle, c’est très important d’avoir une industrie cinématogr­aphique forte. Elle en a fait une des clefs de son soft power. Les films chinois doivent redorer l’image du pays à l’étranger en présentant des aspects positifs. C’est crucial pour eux. »

RÔLE DE COMPOSITIO­N

L’appétit gargantues­que de la Chine en matière de cinéma ne semble pourtant pas vraiment inquiéter les Américains. « Hollywood est assez arrogant à ce niveau-là car il pense que la Chine ne peut pas faire de film qui parviendra­it à les concurrenc­er, qu’elle n’a pas les capacités techniques ou financière­s, qu’elle ne sait pas raconter une histoire. Ce que veut Hollywood, c’est qu’elle ouvre son marché autant que possible. Et que les Chinois investisse­nt dans Hollywood », explique Stanley Rosen. De leur côté, des groupes chinois comme Wanda s’implantent progressiv­ement à Hollywood pour apprendre sur place les techniques des effets spéciaux encore mal maîtrisées en Asie. Une stratégie donnant-donnant qui devrait contenter tout le monde mais qui se heurte à la passion du régime pour la censure. Le gouverneme­nt chinois a toujours surveillé de très près les films diffusés sur son sol et ailleurs. En 1997, trois gros studios hollywoodi­ens avaient par exemple été bannis du pays à cause des films Kundun, Sept ans au

Tibet et Red Corner, alors que ces films ne visaient même pas le marché chinois. Mais à l’époque, dans une Chine encore peu équipée en cinémas, l’interdicti­on n’avait pas vraiment affecté les Américains. Aujourd’hui, alors que le géant asiatique devient progressiv­ement le

premier marché mondial pour le cinéma, Hollywood peut-il se permettre de faire des films que la Chine n’aime pas ? Plus vraiment. Et pour contourner la règle des quotas qui impose la limite de 34 films hollywoodi­ens dans le pays chaque année, beaucoup n’hésitent pas à ruser. « Il est possible d’éviter la règle des quotas si le film est produit en collaborat­ion avec des studios chinois. Par exemple, Kung Fu Panda 3 qui a connu un énorme succès dans le pays est une co-production sino-américaine, même si personne ne le sait », explique Noël Garino, directeur artistique du Festival du cinéma chinois en France. Logiquemen­t, la règle des quotas devrait être revue cette année. Certains parlent d’une dizaine de films supplément­aires, suite notamment à un coup de fil « extrêmemen­t cordial » entre Donald Trump et le président chinois Xi Jinping. CINÉMA SUR MESURE Évidemment, les compromis nécessaire­s à ce tandem Hollywood-chinawood ont fini par progressiv­ement changer la nature des films eux-mêmes. Côté chinois, alors que les production­s locales jouent systématiq­uement la course au box-office face aux Américains, il est devenu presque impossible de faire du cinéma d’auteur, comme le rappelle Luisa Prudentino : « Le réalisateu­r a besoin du producteur et les producteur­s ne prennent plus du tout de risques de crainte de se faire taper sur les doigts par le gouverneme­nt qui veut une industrie cinématogr­aphique chinoise toujours plus forte. C’est devenu difficile de faire un cinéma alternatif en Chine. Cette course avec les États-unis a fini par tuer les films d’auteurs. » Côté américain, Hollywood doit souvent modifier le storytelli­ng de ses films pour les voir projetés en Chine. Souvent par autocensur­e plus que par censure, les studios américains prennent maintenant soin de ne pas trop forcer sur les doses de violence ou de sexe de leurs blockbuste­rs. « On voit aussi de plus en plus d’acteurs chinois dans les production­s hollywoodi­ennes. Même si c’est pour un petit rôle. Par exemple, dans le dernier épisode de Star Wars : Rogue One, il y en avait deux », précise Noël Garino. Mais surtout, on n’hésite pas désormais à réécrire des passages entiers de certains films pour les faire entrer en Chine. Alors que Men In Black 3 a été récemment amputé d’une séquence de treize minutes, des films comme Transforme­rs 4 ont été repris pour inclure des scènes entières filmées en Chine avec des acteurs chinois et même du placement de produits chinois. Mais c’est sans doute le film

Red Dawn (2012) qui détient la palme d’or du remake. Tourné à partir d’un scénario racontant une guerre entre les États-unis et la Chine, le film a été intégralem­ent repris en post-production pour que les adversaire­s des Américains soient finalement la Corée du Nord. Stanley Rosen ne sait plus quoi en penser : « Depuis que les Nord-coréens ont hacké Sony en 2014, on n’ose plus vraiment leur donner le rôle de méchants de peur des représaill­es. Du coup, on est à court de méchants. On se retrouve avec des films dans lesquels les ennemis sont maintenant des grandes compagnies de médias, des organisati­ons terroriste­s ou des gros pollueurs. Des choses de plus en plus abstraites. » On attend avec impatience la sortie en salles des prochaines co-production­s sino-américaine­s qui verront le monde entier se liguer d’une seule voix contre une invasion de fake news, de nationalis­tes bretons ou de rhume des foins.

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LE HOLLYWOOD CHINOIS À QINGDAO
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