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LE SPORT A-T-IL LA FOI ?

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Annoncé il y a six mois par Nike, le hijab spécialeme­nt conçu pour les activités sportives vient officielle­ment d’être commercial­isé. Quelques semaines auparavant, c’est Mattel qui a annoncé la sortie d’une nouvelle Barbie à l’effigie de l’escrimeuse musulmane américaine Ibtihaj Muhammad. Quant à l’étudiante canadienne Sarah Abood, 22 ans, elle a fait parler d’elle avec Thawrih, son entreprise de vêtements d’entraîneme­nt qui propose des hijabs, des turbans et d’autres vêtements de sport conçus spécialeme­nt pour répondre aux besoins des communauté­s musulmane et sikh. Trois exemples d’ouverture sur les diverses croyances et pratiques religieuse­s dans l’univers du sport qui soulèvent encore des polémiques. À croire que la foi devrait obligatoir­ement rester au vestiaire ? On a demandé à Olivier Bauer, historien spécialist­e des relations entre sport et religion et professeur à la faculté de théologie et de sciences des religions de Lausanne, de nous éclairer sur le sujet.

Le lien entre sport et religion est-il récent ?

Non, sport et religion vont souvent de pair. Dans l’antiquité, les Grecs intégraien­t des pratiques religieuse­s dans les célébratio­ns sportives. On a d’ailleurs conservé le rituel de la flamme olympique. En Asie, il y a aussi toute une tradition qui mêle formation spirituell­e et corporelle à travers les arts martiaux. C’est dans le christiani­sme qu’on voit d’abord un refus du sport : au IIE siècle, le théologien chrétien Tertullien parlait déjà du stade comme d’un satanodrom­e. Mais vers le XIXE siècle, il y a eu chez les Jésuites une valorisati­on du sport comme moyen éducatif avec pour mantra le fameux « anima sana in corpore sano ». Côté protestant, on a vu apparaître le mouvement de la Muscular Christiani­ty qui considère le sport comme un moyen de dompter son corps – y compris ses bas instincts sexuels ou la tendance à l’alcoolisme. C’est elle qui est à l’origine de la création des YMCA (Young Men’s Christian Associatio­n, mouvement de jeunes chrétiens fondé

à Londres en 1844, NDLR). En France catholique, on a aussi vu au début du XXE siècle la très forte tendance des clubs de patronage sportif dont L’AJ Auxerre est le plus célèbre.

Les pratiques sportives dépendent-elles des pratiques religieuse­s ?

C’est souvent le cas. Par exemple, si l’inde n’est pas une très grande nation sportive, c’est parce que l’hindouisme, qui considère la vache comme un animal sacré, interdit de fait aux pratiquant­s de toucher le cuir et donc tout un tas d’équipement­s sportifs (gants, balles, cheval-d’arçons…). De la même façon, beaucoup de filles musulmanes choisissen­t l’escrime car la discipline impose de se couvrir la tête. Les religions s’adaptent, tout comme le sport. Par exemple à Wimbledon, on ne joue toujours pas le dimanche par tradition car c’est le jour du Seigneur. Et déjà, en mars 1903, lors de la finale de la coupe Stanley de Hockey sur glace à Montréal, le match avait été interrompu juste avant minuit au nom du protestant­isme pour ne pas empiéter sur le jour de culte.

Mais le sport n’est-il pas censé être un espace laïc ?

La règle, c’est que la religion ne doit pas faire de prosélytis­me sur le terrain. C’est pour ça que la Fifa a interdit les slogans religieux sur les vêtements, notamment aux joueurs brésiliens très croyants qui arboraient un Jésus ou un Dieu sur leur maillot. Les signes comme les prières sont en revanche beaucoup plus tolérés. En 2012, les J.O. de Londres ont autorisé Sarah Attar, l’une des deux premières femmes à représente­r l’arabie Saoudite, à porter un hijab pour parcourir le 800 mètres féminin. Et parfois, ce sont les sportifs eux-mêmes qui gèrent leur foi : par exemple, dans les années 80 à Lyon, le footballeu­r juif Guy Alliel prétextait des blessures pour ne pas jouer en période de shabbat.

Pourquoi sport et religion semblent créer encore autant de crispation­s ?

C’est surtout une question de culture. En Amérique du Nord, toutes les équipes ont des aumôniers. Les joueurs peuvent avoir des conviction­s religieuse­s et les fédération­s savent qu’elles ont intérêt à encadrer leur foi, notamment pour qu’ils soient performant­s. En France, on commence aussi à intégrer cette idée. Dans le nouveau stade lyonnais, on a construit une chapelle pour les joueurs et certaines équipes font désormais appel à des imams pour leurs joueurs musulmans.

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LE HIJAB DE NIKE

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