QUAND HARRY RENCONTRE MAGGIE
Une famille bousculée par la fluidité de genre, parce qu’on ne va tout de même pas laisser tomber le sujet juste à cause du départ de Jeffrey Tambor de Transparent.
Dans le mythe de la Toison d’or, Jason et les Argonautes voguent sur un vaisseau dont ils renouvellent, au fur et à mesure de leur épopée, les pièces vieillissantes : leur navire, l’argo, est ainsi toujours nouveau tout en restant le même. Roland Barthes, souligne la poétesse et penseuse américaine Maggie Nelson, assimile les marins mythiques aux amoureux qui disent « je t’aime » : pour chaque déclaration formulée, l’amour (donc le couple, donc la famille) reste le même, tout en étant profondément renouvelé par chaque amant qui l’énonce. Maggie Nelson, elle, aime Harry Dodge, un vidéaste et performeur, né Wendy Malone, « butch sous T(estostérone) », humain en
transformation, qui se définit comme gender-fluid, ni homme ni femme. Marié depuis 2008, le couple élève un petit garçon, né d’une précédente union d’harry, et a décidé d’accueillir un deuxième enfant, via insémination artificielle : Iggy, né en 2012. Ils habitent tous les quatre une maison avec vue sur les collines californiennes.
Les Argonautes, c’est son neuvième ouvrage et le deuxième traduit en français. Maggie Nelson y emprunte à Barthes son allégorie de l’amour pour réfléchir à cette vie de famille aux apparences hétéronormées qui propose pourtant un modèle profondément mis à jour. Parce que l’amour, le couple et la famille ne vont plus sans d’épais enjeux philosophiques, politiques et même institutionnels ; parce que l’évolution du modèle marital chamboule presque autant ceux qui s’opposent à l’ouverture du mariage aux gays que les différentialistes LGBT, l’auteure analyse son désir de famille, à la lumière de ses idéaux d’activiste queer (et sans les renier). Croisant fragments autobiographiques et théories d’auteurs, Maggie Nelson tisse une réflexion passionnante et radicalement libre sur le genre, la maternité, la famille et le sentiment amoureux. Et, s’adressant souvent directement à son amant, elle signe aussi l’une des plus belles déclarations d’amour de la littérature moderne. LÉ.B.
Les Argonautes de Maggie Nelson, éd. du Sous-sol, 240 p, 19,50 €.