Stylist

Là-haut sur la poubelle

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Il avait le physique malingre à pomme d’adam et nez saillants de Difool, l’animateur de Fun Radio. Et me plaisait intensémen­t. Les yeux d’enfants font vraiment des miracles. J’avais 10 ans et j’étais partie, boule au ventre, en classe de nature, à Saint-bonnet en Champsaur faire de l’escalade. Et m’humilier une fois de plus devant ma classe de mini-athlètes. Car à cet âge-là, le sport rimait déjà pour moi avec souffrance du corps. Mon goût de la pratique sportive se limitait à une belle passion pour les survêtemen­ts que je portais jour et nuit. Pour le reste, les sessions d’endurance, de handball, de natation dégageaien­t le même fumet que les romans de Stephen King que je lisais en boucle pendant la pause déjeuner. Alors, là, l’idée de devoir crapahuter sur des cailloux accrochée à une corde… même le sandwich aux crevettes-sauce cocktail que ma mère avait glissé dans mon sac n’avait pas suffi à faire plier l’angoisse. Mais il a changé la face de mon monde. Dès la première ascension, il a posé ses bons yeux sur moi et a décidé de m’aider à mettre la main sur mon mental ignoré de sportive. En quelques jours, j’ai fait des progrès considérab­les, l’ego repimpé par notre moniteur d’escalade. Portée par un délirium quasi transcenda­ntal, je me voyais comme une fille-pierre faisant corps avec les éléments, aspirée par les cimes, loin de la bêtise crasse de Philippe B. qui m’avait refusé un slow la veille. Tout ça, grâce au moniteur, que j’étais prête à appeler Papa. Mais le feu de la rumeur commença à prendre. D’après mes camarades, mon moniteur adoré était une ordure malveillan­te, qui aimait humilier les enfants (p. 32). Impossible. Pas lui, avec ses bons yeux. Chaque jour, je guettais le monstre et rien ne venait. Que des encouragem­ents et de la douceur. À cette époque, la nuit, sous la lumière de ma lampe-torche, je dessinais des mini-bd un peu érotiques. Avec des gens tout nus qui se frottaient un peu et se disaient des trucs comme « mmm » et « hannn » écrits dans des bulles mal formées. C’était mon secret honteux. Je les cachais sous mon oreiller. Mais le dernier en date était plus explicite et la honte me le fit jeter dans la poubelle de la chambre. Le dernier jour, dans le réfectoire, j’entendis un grand éclat de rire cruel venant d’un groupe d’élèves. Je m’approchai et au milieu, le moniteur, mon moniteur, avec mes dessins étalés devant lui sur une table. Alors qu’il brandissai­t hilare le dessin défroissé représenta­nt Philippe B. et moi, tout nus, il croisa mon regard et ne rougit pas, ne s’excusa pas, mais m’applaudit sous les huées de mes camarades.

“MON GOÛT DU SPORT SE LIMITAIT À UNE PASSION POUR LES SURVÊTEMEN­TS”

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Aude Walker rédactrice en chef

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