Stylist

Salle d’art et navets

- Aude Walker rédactrice en chef

Sa mère a le talent de dépenser le peu d’argent qu’elle possède de manière plutôt créative. Cette fois-ci, elle l’appelle alors qu’il se trouve sur un shooting de mode à gérer une make-up artist a priori psychotiqu­e. Entre deux crises de spasmophil­ie de la dame, il croit comprendre que sa mère a vendu sa petite maison de Nogent-sur-marne pour acheter une salle de cinéma d’art et d’essai dans le même coin. Avant même d’être capable de process cette informatio­n, il s’entend lui dire qu’il est ok, il sera là samedi soir prochain pour la remplacer et jouer les projection­nistes-caissiers. Comme l’inventivit­é de sa mère l’émeut et qu’il est surtout incapable de lui refuser quoi que ce soit, il demande à son mec s’il est d’accord pour décaler la soirée qu’ils avaient prévue. Comme ce n’est pas la première fois qu’il met son monde sous cloche dès que sa mère s’agite, son mec réagit. Mal. Et le plante. Il est très triste mais sa mère semble encore plus triste à l’idée de devoir projeter Les Sept Samouraïs, en solo, samedi soir. Comme si elle lui avait administré un Roofy, il prend le RER samedi soir, direction Nogent. Elle l’accueille dans une tenue improbable, entre salonnière littéraire du XIXE siècle et Elie Kakou période Madame Sarfati. Elle est si heureuse de pouvoir recevoir « la communauté culturelle de Nogent » pour cette projection exceptionn­elle qu’elle ne remarque pas les yeux de son fils gonflés par les larmes et l’alcool. Le lieu est décrépi et sent la croquette pour chat, mais sa mère virevolte tant et si bien qu’on se croirait à Garnier un soir de générale. La petite salle tapissée de feutre gris est bondée. Il s’installe dans l’antre de l’opérateur de cabine, figure fantôme aspirée par le numérique. Par réflexe culturel, il cherche des pellicules et redescend lorsque son regard s’arrête sur l’ordinateur et le disque dur. À sa grande surprise, Les Sept Samouraïs sont bien téléchargé­s, mais dans la playlist se trouve aussi un autre film :

Road House, une magnifique bouse des années 80 mise en scène par Rowdy Herrington, avec Patrick Swayze, dans le rôle d’un videur expert en arts martiaux. Il adore ce film et se souvient qu’il n’y a rien de mieux qu’un bon gros navet pour se remettre d’équerre (p. 36). Et celui-ci va lui faire un bien fou. Hanté par la réminiscen­ce d’une scène du film mettant en scène Patrick Swayze torse nu en plein entraîneme­nt de Taï-chi dans la nature à l’aube, il lance le film, sous les yeux impatients d’une salle endimanché­e venue s’endormir devant un film japonais médiéval. Générique.

“RIEN DE MIEUX QU’UN BON GROS NAVET POUR SE REMETTRE D’ÉQUERRE”

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