Stylist

Parici la bonne soupe

La nouvelle idée de génie d’hollywood pour vendre ses films ? Faire croire que ce sont d’innommable­s bouses.

- Par Théo Ribeton

Pour devenir culte, un film doit être très très bon, ou catastroph­iquement mauvais. C’est ce qu’on pourrait appeler l’effet Showgirls. Conspué à sa sortie en 1985, le long-métrage de Verhoeven fait désormais partie du top 10 des critiques ciné du 11e arrondisse­ment et de Navarre. Surtout, il a connu un succès hors salles phénoménal. Depuis, que ce soit au second ou au premier degré, les studios ont bien compris qu’il valait mieux faire le pire film de tous les temps qu’un film qui passe inaperçu. C’est peut-être ce qui a motivé « une source proche de Disney » à déclarer au site Screengeek que le prochain spin-off de Star Wars (Solo : A Star

Wars Story, sortie le 23 mai) serait « un véritable crash ». Depuis plusieurs mois, le géant du divertisse­ment ne se gêne plus pour désavouer publiqueme­nt son film, virant les réalisateu­rs Phil Lord et Chris Miller en plein tournage, s’exprimant pépouze sur la prestation de son acteur principal Alden Ehrenreich, tellement décevante qu’ils lui ont collé un « coach de jeu » pour limiter les dégâts. Vous sentez poindre en vous une envie malsaine d’aller voir ce naufrage annoncé en salles ? Rien d’étonnant, c’est justement l’effet recherché. On vous explique pourquoi Hollywood a adopté la culture du fail pour vous vendre ses blockbuste­rs.

PARCE QUE ÇA FLATTE VOTRE GOÛT DU MÉTA

« Un film Netflix n’a pas besoin d’être bon, il a juste besoin d’être là. » En commentant le énième bad buzz frappant la récente sortie Netflix – The

Cloverfiel­d Paradox – Alison Willmore, journalist­e pour le Buzzfeed US, résume parfaiteme­nt la politique du géant du streaming. Peu importe que l’on aime ou non ses produits, l’important c’est qu’on les commente. Dans l’essai The Age of

Netflix, Cory Barker et Myc Wiatrowski expliquaie­nt comment l’avènement du binge-watching au tournant des années 2010 avait transformé les comporteme­nts des usagers mais aussi leurs attentes : ce qu’ils espéraient, c’était avant tout des contenus à buzz, capables de leur donner l’impression de « faire partie du club » et de les faire « participer à la conversati­on collective sur les réseaux sociaux ». Ça s’appelle « l’inclusion culturelle » et c’est sans doute ce qui explique le succès du récent Bright, pot-vraiment-pourri d’heroic fantasy urbaine avec Will Smith et un Orque, estampillé « pire film de 2017 ». Sur Rottentoma­toes (le site critique de référence qui fait bien flipper les studios hollywoodi­ens), il atteint péniblemen­t un score de 27 %, mais il a été vu par 11 millions de spectateur­s en un seul week-end, ce qui aurait fait de lui, s’il avait été diffusé en salles, le 9e démarrage de l’année. Même numéro de claquettes pour Marseille et son Benoît Magimel à faux accent. La série a beau être moquée au point d’avoir son Tumblr recensant ses pires répliques (marseillel­aserie.tumblr.com), elle a déjà été renouvelée pour une deuxième saison.

PARCE QUE VOUS AVEZ LA CAPACITÉ D’ATTENTION D’UN CHAT

Et qu’il suffit qu’on agite un truc brillant devant vos yeux pour que vous soyez tout excitée (que ce soit un diamant ou une boule de papier-alu). En 2016, une étude de Crimson Hexagon, plateforme spécialisé­e dans les réseaux sociaux, observe que les succès surprises de l’année, type Crazy Amy, émanaient de films 1,5 fois plus discutés sur Twitter que les flops. Un attrait qui s’explique certaineme­nt par la force d’un casting ultra-suivi sur les réseaux (Amy Schumer et Lebron James, en l’occurrence) qui a su faire monter la sauce.

Suicide Squad et sa clique de super-vilains, malgré un désastre critique et un désaveu de son propre cast (« Y a-t-il quelque chose qui n’a pas été coupé du film ? », se scandalise­ra Jared Leto), s’est ainsi malgré tout hissé à la 10e place du box-office annuel avec 750 millions de dollars de recettes mondiales. David Honnorat, cofondateu­r de la newsletter ciné Calmos, a du mal à y voir une stratégie préméditée de studio : « On est plutôt dans la sortie de route contrôlée. Le succès de ces films se joue dès le week-end de sortie, avant qu’une montée de bad buzz ait le temps d’atteindre le bouche-à-oreille. » Tant que les spectateur­s n’ont pas été déçus en personne, ils peuvent avoir envie d’y croire encore. Une tactique employée par Disney également, contraint d’entretenir l’attention générée par Solo : A Star Wars Story sur le mode du ratage annoncé : licencieme­nts en série dans l’équipe du film, rumeurs de reshoots sur sa quasi-totalité, désaveu de sa star, le tout dans un contexte de colère des fans suite au décevant dernier opus Les Derniers Jedi.

PARCE QUE VOUS AVEZ UN GOÛT DE CHIOTTE

« Même chez les cinéphiles les plus passionnés, personne n’a envie de regarder un chef-d’oeuvre tous les soirs. », rappelle David Honnorat. Régis Brochier, qui a fondé le site Nanarland à la gloire de ces séries Z sous-produites qu’il appelle « mauvais films sympathiqu­es », nous explique pourquoi les nanars gagnent peu à peu la sphère grand public : « La culture du “so bad it’s good” a sa place dans la culture mainstream. Preuve en est avec ces studios qui se sont spécialisé­s plus ou moins malgré eux dans les faux nanars. » Comme

The Asylum, qui produit les tornades de requins blancs de la franchise Sharknado. « L’étiquette de saga nanar ultime n’était pas encore l’esprit du premier épisode, mais elle s’est transformé­e depuis en marque de fabrique. » D’ailleurs,

Sharknado est un double précurseur : à la fois de la prise de pouvoir de la culture bad taste et… du poids des réseaux sociaux dans les stratégies de sortie (il n’y a pas de hasard). Le hashtag officiel a établi un record maison à la chaîne Syfy le soir de la sortie du film (5000 tweets par minute), et la prod tape dans les comptes les plus suivis pour recruter son casting – derniers en date, les Youtubeurs français Kemar et Natoo, à l’affiche du 5e épisode. Un succès estampillé navet et toujours pas démenti : de quoi faire enrager Laurent Baffie, qui avait cru bon en 1999 d’habiller l’affiche de ses Clefs de bagnole d’un immense « N’y allez pas, c’est une merde ! » Résultat : le public l’a pris au pied de la lettre, le film s’est cassé la gueule (180 000 entrées) et Baffie a mis sept ans à rembourser ses dettes. Le monde n’était pas prêt, Laurent.

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